Le défi de l’alternance pour les jeunes: entretien avec Bianca Schor, jeune « Start Upeuse » engagée en ce domaine.

Bianca Schor, 28 ans, est chercheuse en Doctorat à l’Université de Cambridge et entrepreneure engagée pour l’insertion professionnelle et l’accès à l’éducation des jeunes en France. Elle a fondé en 2019 Curious Connect, la start-up Tech spécialisée dans l’alternance en France. Cela fait plus 2 ans qu’elle accompagne, sur le terrain, les écoles, les universités, les entreprises qui recrutent, et les jeunes qui cherchent un contrat en alternance. Elle répond aux questions de La Revue Civique et souligne l’urgence de développer l’apprentissage en France, et l’information en ce domaine-clé.

-La Revue Civique : Les aides de l’Etat, en France, ont permis de favoriser l’emploi de certains jeunes en « apprentissage ». Pouvez-vous rappeler les aides mises en place mais aussi leurs limites, sachant par exemple qu’une date butoir de 6 mois (devait normalement amener à la fin mars de cette année) fait que certains jeunes ne trouvent pas d’entreprises ou structures d’accueil dans les délais prévus ?

-Bianca SCHOR : Dans le cadre du plan “1 jeune, 1 solution”, le Gouvernement a mis en place des aides pour toutes les entreprises qui recrutent des alternant(e)s : 5 000 € par an sont octroyés pour tout recrutement de jeune mineur(e), et 8 000 € par an pour tout(e) jeune majeur(e) embauché(e)s en alternance. Cela concerne aussi bien les contrats d’apprentissage que les contrats de professionnalisation, dans tout secteur d’activité. Suite à la conférence du dialogue social du 15 mars, ces aides sont prolongées jusqu’au 31 décembre 2021, preuve qu’elles restent indispensables pour continuer à soutenir tous les acteurs de l’alternance à savoir les jeunes, les écoles et universités, et les entreprises.

Bianca Schor, fondatrice de « Curious Connect »

« Des délais et des démarches parfois laborieuses » précèdent parfois trop la mise en oeuvre des aides aux entreprises.

La première limite du plan tient, pour les entreprises, aux délais et aux démarches parfois laborieuses qui précèdent la mise en application de ces aides. Plusieurs RH et responsables d’entreprises qui ont fait le choix de soutenir notre jeunesse en recrutant des alternant(e)s m’ont témoigné ne pas avoir perçu ces aides et ceci parfois plusieurs mois après la date d’embauche de leurs alternant(e)s. Sachant que plus de 66 % des apprenti(e)s en France sont recruté(e)s et formé(e)s au sein de TPE et PME, cela vient rajouter une pression supplémentaire non négligeable sur la trésorerie de ce type d’entreprises, souvent déjà fragilisées par la crise.

En ce qui concerne les jeunes, ils ont effectivement 6 mois à compter de leur entrée en formation pour trouver un employeur en alternance. Alors que plus de 20 000 jeunes  sont toujours à la recherche d’un contrat d’apprentissage à ce jour, le 31 mars marquera, pour près de la moitié d’entre eux, la date d’échéance de leurs recherches, et donc leur sortie du dispositif de formation en alternance. Autrement dit, pour ces jeunes c’est effectivement le risque de se voir privés d’une formation unique combinant expérience professionnelle et enseignement en lien direct avec leur poste. Le risque aussi de renoncer à leurs projets, voire de « décrocher » et de se retrouver en rupture de parcours.

Cette échéance demeure inchangée par les nouvelles mesures prises au 15 mars, il est donc urgent d’agir pour recruter ces 10 000 jeunes avant le 31 mars et pour cela existent des solutions concrètes et applicables rapidement.

« Une nette croissance du nombre d’apprenti(e)s recruté(e)s se dessine depuis 2 ans. Une croissance record, de 20%, a eu lieu en 2020 »

-Traditionnellement, la France était en retard en matière de formation professionnelle en alternance et d’apprentissage, par rapport à certains de ses voisins européens (l’Allemagne en particulier). Ce retard est-il, y compris dans la crise sanitaire, en train d’être comblé ou non ?

-L’alternance a longtemps été dévalorisée et sous-exploitée comme dispositif de recrutement et de formation des jeunes en France, voire elle était considérée comme un dispositif cantonné à certains métiers uniquement; mais cela est en train de changer. Depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, on observe une multiplication du nombre de centres de formation en apprentissage en France (on passe de 965 CFA avant la loi à 1 200 CFA au 31 décembre 2019) proposant ainsi des alternant(e)s pour tout type de métiers et de secteurs d’activité. Mais surtout une nette croissance du nombre d’apprenti(e)s recruté(e)s se dessine depuis 2 ans, y compris en 2020 (voir graphique) : 495 000 contrats d’apprentissage ont été signés en 2020 soit une croissance record de 20% dans le secteur privé par rapport à 2019 où l’on avait déjà atteint un sommet historique de 368 000 nouveaux contrats et 16% de croissance annuelle.

Source: Ministère du Travail.

Cette nouvelle dynamique est donc encourageante et avantageuse pour tou(te)s, y compris sur le long terme : en effet 70% des jeunes sont recruté(e)s dans les sept mois qui suivent leur apprentissage et 57 % des entreprises qui ont fait le choix de l’alternance réitère leur recrutement d’alternant(e)s l’année suivante. On peut donc affirmer que ce dispositif bénéficie durablement à tous les acteurs concernés. L’alternance engendre également de fortes externalités positives pour l’ensemble de la société française, comme par exemple l’effet non négligeable de favoriser la diversité dans nos entreprises.

Il subsiste cependant un retard encore significatif entre la France et ses voisins européens en matière de formation en alternance. 7 % des jeunes de 16 à 25 ans sont formé(e)s en apprentissage en France aujourd’hui, ce qui est bien inférieur comparé à d’autres pays, et deux fois moins qu’en Allemagne par exemple. C’est pourquoi il est crucial de continuer à promouvoir activement l’alternance comme tremplin de réussite pour les jeunes afin de généraliser ce dispositif de recrutement avantageux à toutes les entreprises françaises.

« Une méconnaissance du dispositif de recrutement en alternance persiste à tous les niveaux. Une grande partie de mon temps est donc consacré à informer ».

Vous avez personnellement lancé une start up qui vise notamment à améliorer les liens entre tous les acteurs concernés (administratifs, éducatifs, associatifs…) par cette question-clé de l’apprentissage des jeunes. Quelles sont les premières leçons que vous tirez de votre expérience, qui est à la fois entrepreneuriale et solidaire pour les jeunes ? Quels sont les potentiels que vous avez identifiés, et les obstacles rencontrés aussi ?

-Depuis deux ans que j’accompagne des jeunes, des écoles et des entreprises qui recrutent sur le marché de l’alternance, je constate une forte asymétrie d’information entre ces trois acteurs clés et plus généralement une méconnaissance du dispositif de recrutement en alternance qui persiste à tous les niveaux. Une grande partie de mon temps est donc consacré à informer et répondre aux questions à ce sujet, quand bien même il existe aujourd’hui une multitude d’entreprises qui souhaitent s’engager pour la jeunesse par cette voie, et plusieurs acteurs publics mobilisés sur le sujet de l’alternance, dont en premier lieu les Opérateurs de compétences (OPCO) qui sont entre autres en charge de financer la formation des apprenti(e)s.

J’étais conviée la semaine dernière à un webinaire avec 5 TPE dont aucune ne savait que les aides étaient prolongées ; 3 d’entre elles m’ont affirmé vouloir être accompagnées pour en savoir plus à ce sujet. En effet, ce choix de l’alternance est non seulement une opportunité au coût avantageux pour les entreprises de toute taille et de tout secteur, pertinent à tous les niveaux de formation, mais aussi un acte politique fort en faveur de notre société. Je pense que ce choix des entreprises mérite d’être mis plus en valeur et partagé bien plus largement afin de favoriser une réelle dynamique positive.

Il faut faire de l’alternance un vrai « tremplin de réussite » pour tou(te)s les jeunes de France, « et ce avant qu’il ne soit trop tard ».

Concernant les acteurs publics, je pense qu’il y a un fort potentiel d’action de promotion de l’alternance qui commence à se généraliser. Plusieurs initiatives locales et régionales publiques sont déjà en cours pour promouvoir l’alternance, par exemple un projet en faveur des emplois inclusifs, dont l’alternance fait partie, porté par la CCI 93 dans le cadre du contrat de Ville. Cependant, des mesures fortes pour avancer vers une coordination et une mise en valeur de ces acteurs publics restent nécessaires pour faire face à l’ampleur de la crise actuelle. Un projet de facilitation des démarches de recrutement en alternance au niveau national s’annonce comme étant une priorité pour accélérer les démarches collaboratives dans cette direction et employer l’alternance comme levier d’insertion professionnelle pour tou(te)s les jeunes de France.

Forte de cette expérience sur le terrain auprès de tous les acteurs, j’en conclus que le futur des jeunes de France est la responsabilité commune de tou(te)s et nos choix individuels et collectifs en ce mois de mars auront un impact important sur notre société. Nous pouvons et devons faire de l’alternance un vrai tremplin de réussite pour tout(e)s les jeunes, et ce avant qu’il ne soit trop tard.

Il est en effet urgent de s’engager chacun(e) à son niveau via la promotion de l’alternance et de ne pas ignorer les conséquences de court et long terme de la crise profonde que traverse toute une génération de jeunes.

(25/03/21)


-Le compte twitter de Bianca SCHOR : https://twitter.com/BiancaSchor
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