Directrice générale de « Don en confiance », une structure qui décerne des labels qui atteste le contrôle, la transparence et la déontologie des organisations qui bénéficient de la générosité publique, Nathalie Blum répond aux questions de La Revue Civique sur la crise de défiance qui traverse la société française et les moyens, notamment pour l’Etat et les institutions, de rétablir la confiance. Les expériences du secteur associatif sont-elles transposables ?
–La Revue Civique : La période récente a montré l’ampleur des comportements, violents parfois, de défiance qui traversent le pays et visent les politiques, les institutions, les symboles du bien commun aussi que constitue par exemple le mobilier urbain ou les devantures de commerces. Comment vivez-vous et interprétez-vous ces manifestations de défiance radicale, même s’ils ne concernent qu’une minorité ? Et cela atteint-il selon vous l’esprit de confiance en France, cet esprit que vous portez dans votre organisation depuis des années, avec de grands acteurs associatifs et entrepreneuriaux qui agissent concrètement, silencieusement souvent, pour la générosité publique ?
-Nathalie BLUM : L’actualité est effectivement une illustration de la crise de défiance que la France traverse. Depuis 11 ans, le Baromètre de la confiance que nous réalisons nous permet de mesurer que cette crise s’est traduite par une lente érosion de la confiance des Français vis-à-vis de leurs institutions. Cette situation est préoccupante car dans toute société, la confiance est l’une des conditions du vivre-ensemble. Il est primordial de renouer avec elle !
Le secteur associatif échappe pourtant à cette tendance et nous enregistrons une stabilité remarquable à plus de 55% (de confiance) sur l’ensemble de cette période. L’initiative du « Don en Confiance » est sans conteste une raison de cette stabilité car elle a permis de mettre en place les éléments de contrôle et de prévention des risques financiers et humains pour le secteur associatif. Preuve en est, les jeunes de moins de 35 ans, qui n’ont pas connu les scandales des années 1980, font davantage confiance aux associations et fondations (63%) que leurs aînés (52%). Ces résultats sont très encourageants pour l’ensemble des acteurs associatifs car ils nous permettent d’apprécier le travail que les bénévoles et les salariés fournissent quotidiennement grâce aux donateurs.
-Dans votre étude annuelle et plus généralement dans les expériences et actions du « Don en confiance » dont vous êtes directrice générale, on s’aperçoit que la transparence est devenu un vrai levier de la confiance pour les donateurs. Est-ce que ce principe de transparence vous paraît transposable aux actions de l’Etat par exemple, pour qu’il puisse restaurer un lien de confiance avec les citoyens et comment cela pourrait-il se traduire pour lui ?
-Les principes et valeurs que portent le label « Don en Confiance » sont bien sûr universelles et peuvent se décliner. Un exemple récent a fait jour dans le courant de l’année dernière. L’association Reporters sans Frontières (RSF)souhaitait mettre en place un label pour les médias et ainsi lutter contre les fake news. C’est cette même problématique qui a sous-tendu la création de notre label en 1989 : rétablir la confiance du public.
Pour l’Etat, l’enjeu est un peu différent car il existe déjà des structures efficaces de contrôle, comme la Cour des comptes. Mais la plupart des institutions souffrent d’une perte de confiance des citoyens, qui émettent des doutes sur leur intégrité et leur honnêteté. Dans ce cas donc, l’enjeu central n’est pas tant le contrôle mais la transparence de leur fonctionnement et des actions qu’elles mènent.
La transparence ne se traduit pas seulement par le fait de publier des chiffres, mais de les rendre intelligibles et accessibles au grand public ».
La transparence, qui est aussi un principe fondamental que garantit notre label, ne se traduit pas seulement par le fait de publier des chiffres, comme chaque organisation en a l’obligation, mais de les rendre intelligibles et accessibles au grand public. Par exemple, notre première exigence pour les associations labellisées est de fournir aux donateurs un document, « L’Essentiel », qui présente clairement et avec pédagogie l’emploi des dons et leur destination. Une initiative qui pourrait être aisément réplicable.
-La montée des défiances, mesurée aussi par l’étude du Cevipof concernant la politique et les institutions, n’est-elle pas aussi une montée des exigences citoyennes ? Et au-delà de la transparence souhaitable, comment faire face à la montée des exigences pour les politiques et les institutions, une montée des exigences qui n’est pas mauvaise en soi dans la mesure où elles peuvent être sources d’évolutions positives ?
-L’augmentation des exigences citoyennes est la conséquence d’une conscience accrue des donateurs, des consommateurs, du grand-public sur les risques auxquels sont confrontées les institutions. Alors que, lorsque notre label a été créé, la transparence financière était la principale préoccupation des donateurs, l’efficacité des actions, la notoriété, les risques humains sont désormais fondamentaux pour eux. Nous nous devons de réfléchir sans cesse à développer notre action pour répondre au mieux aux exigences citoyennes qui évoluent avec le temps. Il est important de ne pas figer notre échelle de valeurs mais de faire en sorte qu’elle accompagne les évolutions sociétales. Au-delà du secteur associatif, cette notion d’évolution permanente doit être adaptée à tous les secteurs. Alors que certains y verraient un simple enjeu de communication et de notoriété positive, nous y voyons un état d’esprit fort et précurseur des problèmes de notre temps.
(février 2019)