Directeur de l’ouvrage collectif « La société des marques » (Ed « Parole et Silence », issu de tables rondes co-organisées au Collège des Bernardins), Denis Gancel, Président de l’agence W, était l’invité d’une rencontre du Club Viavoice (études et conseils; présidé par François Miquet-Marty), animée par le fondateur de la Revue Civique, Jean-Philippe Moinet.
L’occasion pour Denis Gancel d’indiquer que le monde connaissait une profusion de marques : « Il y a environ 20 millions de marques aujourd’hui dans le monde », même si « la mémoration des marques, pour chaque citoyen, n’en retient en moyenne que trois ou quatre ». La Chine, précise-t-il, est le pays qui « dépose le plus de marques, et est en même temps le pays de la contrefaçon ». Les Etats-Unis arrivent en 2ème position pour le nombre de marques déposées chaque année, le Japon en 3ème position et l’Union Européenne en 4ème position.
« Guerres de mouvement contre guerre de position »
La marque « est devant », relève Denis Gancel, son étymologie « merche » signifie marcher, avancer. Et d’expliquer: « on marque d’abord, on réalise après », « la réputation précède donc le succès ». Toujours selon le Président de l’agence W, l’économie numérique permet à la fois d’accélérer et d' »horizontaliser » les processus de production, de biens ou de services, alors que l’économie traditionnelle est caractérisée par une structure « verticale » qui a tendance à être dépassée par les logiques de réseaux. « L’ubérisation » de l’économie consiste à « prendre des positions rapidement, puis de se développer ensuite, en étant devenu incontournable » sur un marché. Et d’observer : « Nous assistons désormais à des guerres de mouvement alors qu’on était auparavant dans des guerres de position », celles du monde industriel ancien.
Dans ces mouvements incessants, favorisés par l’économie du numérique, et en Europe particulièrement du fait de la faiblesse (financière) d’Etats surendettés, le problème est que « la marque est entrain de dépasser les bornes », estime Denis Gancel, qui s’alarme d’un « point de rupture » possible, actuellement, entre « un Etat ( trop) faible » et « des marques (trop) fortes ». Selon lui, autant les enjeux de responsabilité sociétale doivent être pris en compte pleinement par les entreprises, autant l’Etat et les pouvoirs publics en général doivent garder la main dans des domaines où l’intérêt général doit être garanti. Concernant les géants du numérique, comme par exemple Google, Denis Gancel s’inquiète : il constate l’immensité des investissements de cette multinationale, qui s’intéressent à tout et notamment aux « biotechnologies » ; Denis Gancel parle d’un risque de « secte mondiale ».
Faisant référence à un documentaire de référence de la chaîne ARTE sur ce sujet, documentaire nommé « Un monde sans humain », Denis Gancel, tout en défendant la coresponsabilité individuelle et collective ou les partenariats public-privé, estime que les marques ne doivent absolument pas prendre tous les pouvoirs, économiques, sociaux et culturels… sans risque pour la société elle-même et son équilibre démocratique. Il en appelle donc à l’ouverture, mais aussi à l’indispensable vigilance.
G.L.