GB, Italie: quand les nationaux-populistes font courir des risques (à leur peuple). Par JP Moinet.

Manifestes depuis la rentrée, les fuites en avant de Boris Johnson comme de Matteo Salvini sont une marque de fabrique populiste contre « les élites » mais aussi un signe de grande faiblesse. Analyse de Jean-Philippe Moinet, auteur, chroniqueur, fondateur de La Revue Civique…

Ce texte a été publié par Le HuffPost

Les surenchères et les postures radicales sont souvent, quand elles sont répétées, des marques de faiblesse. Elles sont aussi une marque de fabrique: la fuite en avant et la confrontation brutale aux « élites » ont pu faire, dans quelques circonstances, le succès des nationaux-populistes, mais elles tracent aussi toutes les limites de l’exercice du pouvoir par ces forces politiques.

Boris Johnson en Grande-Bretagne, Matteo Salvini en Italie, chacun à leur manière, sont entrain d’expérimenter les limites de la radicalité national-populiste. Et ce n’est pas un hasard si leur fuite en avant vise, dans les deux cas, le Parlement, pourtant central dans la culture politique de ces deux grandes démocraties européennes.

Johnson comme Salvini ne sont-ils pas aveuglés par leur outrecuidance ?

Le britannique n’a pas hésité à prendre le grand risque de heurter la grande tradition parlementaire anglaise. Il pense sans doute être, seul, l’homme de la situation, le représentant d’une révolte des peuples contre les élites et ses corps intermédiaires. L’italien, lui, a rompu brutalement aussi l’alliance (avec le mouvement « 5 étoiles ») qui lui avait pourtant permis d’accéder au gouvernement. Il pensait aussi, seul, pouvoir « marcher sur Rome » et emporter les prochaines élections contre tous les autres, y compris ses anciens alliés.

Emporté par ses succès de populiste-démagogue, le leader d’extrême droite a rompu son alliance avec « 5 étoiles », et fait explosé le Gouvernement auquel il appartenait.

Mais ne sont-ils pas aveuglés par leur propre outrecuidance ? La virulence de leur posture a pu plaire dans des périodes particulières, où « la menace » des migrants a été instrumentalisée, dans ces deux pays, comme un épouvantail attractif pour nombre d’électeurs apeurés. Mais l’exploitation des peurs suffit-elle à assurer une bonne politique, et surtout un avenir pour les peuples concernés ?

Cette question est centrale en Europe et dans les démocraties plus généralement. Elle est loin d’avoir une réponse unanime, que ce soit dans Royaume Uni de plus en plus désuni, ou dans une Italie, dont la Ligue d’extrême a contribué à hystériser le débat public. La question se pose en tout cas de plus en plus, dans ces deux pays, du risque que fait désormais encourir les postures radicales et les surenchères nationales-populistes.

Les citoyens voient aussi à l’usage la caricature des schématismes

Bien sûr, les « nationaux » de ces pays se voient flattés par les discours démagogiques du « grand peuple » soumis aux lois injustes d’une élite parlementaire (et « bruxelloise ») dont les « combinazione » répétées seraient attentatoires à leurs libertés. Mais, d’un autre côté, les citoyens voient aussi à l’usage la caricature des schématismes, la violence de l’utilisation factice des boucs-émissaires (les étrangers, l’Europe, le voisin…) et les limites de ces fuites en avant quand il s’agit de gérer le concret, de traiter les dossiers, de résoudre les problèmes, tels qu’ils se posent réellement et non tels qu’ils sont fantasmés.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : les tenants de « l’autre vérité » populistes, sont les champions d’une parole qui cherche surtout à échapper aux contraintes du réel (la gestion des comptes publics, les relations avec les autres, formations politiques ou pays voisins) et qui trouve dans la surexploitation artificielle de problèmes réels (la mondialisation, les migrations, les insécurités, sociales ou culturelles) des sources de popularité à court terme, qui évitent aux démagogues de se perdre dans la rigueur de la gestion publique.

D’où le sabordage du gouvernement de Giuseppe Conte, par Matteo Salvini qui a tenté un coup politique. Quitte à se retrouver seul contre tous (ou presque), quitte à perdre sa fonction de Ministre de l’Intérieur et à voir ses alliés d’hier trouver une solution alternative dans une nouvelle coalition avec les pro-européens du Parti Démocrate, mouvement honni par l’extrême droite italienne. Mais l’essentiel est sauf,  en surface, pour Salvini : après 14 mois d’exercice du pouvoir, il préfère largement être sur les plages pour faire campagne que dans son bureau de Ministre, où les choses sont forcément plus compliquées.

Le nationaliste italien, curieux « patriote » pro-russe, prétend marcher seul sur Rome pour emporter le pouvoir ? Il a face à lui une nouvelle coalition et surtout un pays et une société civile qui, pour partie adhère à son discours mais qui, pour grande partie aussi, s’inquiète des dérives où les postures nationalistes peuvent mener. Y compris sur le plan économique : le populisme, qui prétendait enrayer un déclin,  risque de l’accélérer.

Une surenchère en GB qui contient le risque du déclin

En Grande-Bretagne, les mêmes interrogations se posent dans la crise actuelle. Les partisans d’un Brexit dur et du « no deal » sont, avec Boris Johnson, dans une forme de surenchère qui contient, en fait, le risque de déclin, économique et politique, du pays. Au lieu de faire la preuve que la sortie de l’Union Européenne peut se faire dans la conciliation avec ses voisins et sans choc, ce Premier ministre préfère faire monter la pression – appuyé par un Trump, qui apprécie (comme Poutine) tous les spectacles de division des Européens…– il accentue donc le bras de fer. Le Parlement ? Un obstacle, pour ces nationaux-populistes, qu’il s’agit d’enjamber en renvoyant les députés à leurs foyers !

L’autoritarisme que porte le national-populisme peut atteindre les fondements de la démocratie. En cela aussi il y a danger.

Ce simplisme parle à une partie du peuple mais pas à son ensemble. Injurier une tradition démocratique ne fait pas un avenir radieux ! Il est évident que ce jeu de la tension est à double tranchant pour ces acteurs populistes qui font, dans l’outrance et la démesure, le pari du rejet des « élites installées ». Car même si le simplisme caricatural peut faire quelques succès électoraux, les citoyens des démocraties mûres attendent aussi, voire surtout, des résultats concrets. Or, où mènent les surenchères Johnson ou Salvini, sinon dans le mur des dures réalités économiques et sociales qui, elles, sont bien plus têtues -et constantes- que les discours flamboyants sur la grandeur « souverainiste » des peuples.

L’Europe présenté comme un problème, alors qu’elle est une part de solution

Dans ces deux pays, après quelques moments d’expériences populistes au pouvoir, l’heure de vérité approche et clarifie les positions et les débats. Dans les deux cas, anglais et italien, l’Europe a été présentée comme un bouc-émissaire facile d’une inquiétude nationale légitime. Elle a été présentée comme un problème, alors que beaucoup pensent, en Grande-Bretagne, en Italie comme dans le reste du Continent, que l’Europe est une part de la solution, si elle s’organise mieux pour faire face aux défis actuels de la mondialisation, qu’il s’agisse des échanges économiques, des équilibres sociaux, des migrations, de géopolitique et de sécurité. 

Conclusion : Boris Johnson et Matteo Salvini font les « fiers à bras », des complices extérieurs (Trump pour le premier, Poutine pour le second) aimeraient les aider dans leur aventure politique, mais les citoyens, anglais et citoyens, s’inquiètent aussi des risques que font courir des postures, qui tournent le dos à la fois aux traditions démocratiques et aux intérêts (économiques, sociaux et géopolitiques) de ces nations européennes.

Jean-Philippe MOINET @JP_Moinet , auteur, chroniqueur, fondateur et directeur de La Revue Civique. Ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme.