Pour la fête de l’Europe, l’entreprise Enedis, l’association « Citoyennes pour l’Europe » et la Maison de l’Europe de Paris, réunissaient des personnalités et experts sur le thème « L’Europe et l’engagement des femmes ».
L’après-midi de débat a commencé par un moment de recueillement: Michel Derdevet, Secrétaire général d’Enedis, tenait à rendre hommage à Simone Veil et Nicole Fontaine, deux femmes d’exception, qui ont toutes deux été Présidentes du Parlement Européen. En introduction aux réflexions, une minute de silence a été respectée en leur mémoire. Une manière de mettre en relief l’apport de ces personnalités à la construction européenne, à la promotion des droits des femmes, à une certaine idée des libertés politiques et de la solidarité.
Dans la foulée, Barbara Hendricks a tenu à placer son propos sur les principes fondamentaux qui ont fait, et doivent continuer de faire, l’Union européenne. La chanteuse d’origine américaine a raconté sa demande d’acquisition de la nationalité suédoise et son attachement à l’Europe en tant qu’espace de Culture et de Liberté. « Quand je suis née, ne n’avais pas le droit de voter », la ségrégation à l’encontre des noirs sévissait alors encore aux Etats-Unis, l’acquisition des droits civiques n’étant arrivé que dans les années 60: « Etre citoyenne active, cela m’a donné la liberté » relève-t-elle, comme pour souligner l’importance de droit de vote aujourd’hui, malheureusement trop souvent négligé lors des élections européennes.
Rendant elle aussi hommage à Simone Veil, elle évoque l’Europe comme « le grand dessein du 21ème siècle », avec la défense de la Paix, des Droits humains et de la solidarité. Dans un contexte de « résurgence de l’extrémisme », elle estime qu’il faut s’engager lors des élections européennes, « ne pas donner, au Parlement Européen, une tribune aux europhobes et populistes, qui caricaturent l’Europe ». Et de souligner le rôle des femmes : « elles ont un rôle considérable à jouer, observe-t-elle, les femmes ont le plus à gagner ou à perdre dans le projet européen. Car elles connaissent le péril des discours de haine et d’exclusion ». Et de citer Simone Veil : « L’Europe doit être le carrefour de la liberté et de la solidarité ». Barbara Hendricks ajoute : « La liberté, elle se gagne, elle appelle notre vigilance ».
Ancienne représentante de la France au Conseil de l’Europe et ancienne Ministre chargée des affaires européennes, Catherine Lalumière a ensuite confié son admiration pour Barbara Hendricks et raconté les circonstances de leur rencontre. C’était le 31 décembre 1991. Bernard Kouchner avait affrété « un vieux rafiot », dans lequel avait embarqué une centaine de personnalités en direction de Dubrovnic: « la ville avait été bombardée (par les Serbes), la bibliothèque incendiée, l’atmosphère était très lourde, la guerre était là ». Un concert était prévu dans la cathédrale de Dubrovnic. Une trêve avait été négociée, les canons braqués sur la ville se sont tus et, dans la cathédrale, la voix de Barbara Hendricks, mêlée à celle d’un chœur d’enfants croates et serbes, s’est élevée et a bouleversé toute l’assistance.
« Barbara Hendricks, c’est un talent formidable au service des meilleures causes. Quand le talent rencontre la profondeur des convictions, c’est marquant: Barbara, vous m’avez ce jour là marqué à jamais ! » a lancé Catherine Lalumière. Qui a tenu souligner, elle aussi, les fondamentaux de liberté et de solidarité qu’il faut défendre aujourd’hui: « L’Europe doit défendre des principes qu’il a fallu trois millénaires à construire. C’est ce qu’il y a de plus précieux, et de plus fragile aussi ».
Après ces rappels, les séquences thématiques pouvaient se succéder. Sur « le travail demain », « les enjeux Climat-énergie », « la citoyenneté européenne » et « le populisme », des expertes de hauts niveaux se sont succédé pour livrer leur analyse, à la fois sur les avancées que l’Europe a pu permettre pour le progrès et la vie quotidienne des citoyens et sur le rôle des femmes dans chacun des domaines évoqués. Laurence Tubiana, Présidente de « European Climate Foundation », « chef d’orchestre » des fameux Accords de Paris sur la lutte contre le réchauffement climatique, a relevé l’importance des avancées collectives: « Il y a les Etats, mais aussi les territoires, les entreprises, les ONG, qui se sentent engagées »: « les Accords de Paris ne sont pas morts, ils sont bien vivants ».
Soulignant l’engagement « formidable » des jeunes pour le Climat, Laurence Tubiana estime qu' »aucun gouvernement ne peut l’ignorer ». Elle estime même que » la prochaine campagne électorale américaine se fera sur cet enjeu Climat ». Barbara Hendricks lui demande: « et si vous aviez une baguette magique pour l’Europe en 2040 ? » Laurence Tubiana répond: « Il n’y aurait quasiment plus de voitures à Paris; les centrales à charbons fermeraient en Pologne; l’agriculture serait respectueuse de l’Environnement et convertie à l’alimentation Bio; on ne jetterait plus nos vêtements tous les mois et demi, comme c’est le cas en moyenne aujourd’hui… »
Sur les enjeux de la « citoyenneté européenne », Isabelle Coustet, cheffe du Bureau du Parlement européen à Paris, observe qu’on voit apparaître « une opinion européenne » sur une série de sujets d’avenir: » par exemple sur le glyphosate, sur les crises migratoires, sur le changement climatique, sur les travailleurs détachés, sur la protections des données personnelles, etc… » Elle reconnaît que l’organisation institutionnelle et politique de l’Europe est complexe, et qu’elle peut paraître incompréhensible aux citoyens. Elle cite d’ailleurs l’eurodéputé Alain Lamassoure, qui évoquait le mode de décision du Conseil européen (qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement): « c’est comme si vous réunissiez toutes les régions françaises pour définir, à l’unanimité, donc avec un droit de blocage, la politique française ! »
Analysant les forces populistes en Europe, la chercheuse de l’IRIS Magali Balent a avancé une définition du populisme. « Une posture » avant d’être une idéologie, fondée sur « le manichéisme »: les populistes s’expriment « au nom du peuple, présumé toujours sains, contre les élites, présumée toujours mauvaises ». Une posture qui induit « la suppression des intermédiaires », les instances représentatives. Et qui est parfois en lien avec « l’enjeu identitaire », celui qui renvoie aux origines ou aux religions. Intervient alors l’idéologie, la défense de l’Etat-nation face aux étrangers, « ceux qui veulent détruire son homogénéité (présumée), diluer l’identité dans un ensemble européen ou mondial » présenté comme menaçant. Cette tendance, ajoute Magali Balent, « peut exister à l’extrême gauche comme à l’extrême droite ».
Sur le fond, ajoute cette chercheuse, l’Union européenne, qui s’est surtout faite sur les questions économiques, est fragilisée par son incapacité à parler des sujets sociétaux. Or, les sujets sociétaux sont au cœur des préoccupations : les migrations, le vieillissement de la population, la mondialisation, le Climat… « L’Union européenne a des difficultés à parler d’une même voix ; les populistes, eux, non. » Pour l’Europe, la menace est que « le libéralisme politique » – le pluralisme et l’Etat de droit – « n’est pas dans la logique national-populiste: les populistes préfèrent la sécurité (des nationaux) à la liberté ».
(mai 2019)
–