José Manuel Barroso : l’Union politique, notre horizon

[verbatim] Dans son « discours sur l’état de l’Union », le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso s’est solennellement adressé aux membres du Parlement européen et aux citoyens. Nous reproduisons de larges extraits de ce discours, qui appelle les États membres à aller plus loin dans l’unité : « N’ayons pas peur des mots, nous devrons évoluer vers une fédération d’États-nations » car, « à l’ère de la mondialisation, la mise en commun des souverainetés n’équivaut pas à une perte mais à un gain de pouvoir ». La crise appelle, selon lui, un sursaut : « Nous sommes à un tournant, qui exige des décisions et une volonté politique. Oui, la mondialisation exige un surcroît d’unité européenne. En Europe, cela signifie avant tout que nous devons accepter l’idée que nous sommes tous embarqués sur le même bateau ».

Le défi – une nouvelle philosophie pour l’Europe

« Quand nous parlons de la crise, et nous en parlons tous, en avons-nous réellement tiré les conclusions qui s’imposent pour notre action ? Quand nous parlons de la mondialisation, et nous en parlons tous beaucoup, avons-nous véritablement mesuré son incidence sur le rôle que doit jouer chacun de nos États membres ? Adopter une nouvelle philosophie pour l’Europe, c’est d’abord prendre toute la mesure des défis qui s’imposent à nous et qui changent fondamentalement le monde qui est le nôtre. C’est d’abord arrêter de vouloir répondre aux problèmes de demain avec les solutions du passé. Depuis le début de la crise, nous avons régulièrement constaté que les marchés mondiaux interconnectés sont plus rapides et, dès lors, plus puissants que des systèmes politiques nationaux fragmentés. Ce constat sape la confiance des citoyens dans l’action politique et alimente le populisme et l’extrémisme en Europe et ailleurs.

La réalité d’aujourd’hui, c’est que dans un monde interconnecté, les états membres ne sont plus en mesure de maîtriser seuls le cours des événements. Pourtant, ils n’ont pas doté leur Union – notre Union – des outils nécessaires pour affronter cette réalité nouvelle. Nous vivons actuellement une transition. Nous sommes à un tournant, qui exige des décisions et une volonté politique.

Oui, la mondialisation exige un surcroît d’unité européenne. Une plus grande unité passe par plus d’intégration. Et plus d’intégration appelle un supplément de démocratie, de démocratie européenne. En Europe, cela signifie avant tout que nous devons accepter l’idée que nous sommes tous embarqués sur le même bateau.
Cela signifie prendre conscience de la communauté d’intérêts qui nous lie. Cela signifie assumer l’interdépendance de nos destinées. Cela signifie aussi exiger de chacun un véritable sens des responsabilités communes et une solidarité.
Parce que sur un bateau pris dans la tempête, le moins que nous puissions attendre de nos compagnons d’équipage est de faire preuve d’une loyauté sans faille.
C’est le seul moyen de régler notre pas sur le rythme du changement. Ce n’est qu’ainsi que nous atteindrons l’envergure et l’efficacité requises pour assurer à l’Union un rang d’acteur mondial. (…)
L’histoire s’accélère. Il a fallu à la Grande-Bretagne 155 ans pour doubler son PIB par habitant, il en a fallu 50 aux États-Unis, et seulement 15 à la Chine. Mais si l’on se souvient d’où viennent certains de nos nouveaux États membres, les transformations économiques qu’ils connaissent ne sont pas moins impressionnantes.
L’Europe d’aujourd’hui possède tous les atouts nécessaires. Mais il nous faut agir en conséquence et exploiter toutes ces ressources ensemble. Le moment est venu de faire coïncider nos ambitions, nos décisions et nos actes. Le moment est venu d’en finir avec les solutions boiteuses et les demi-mesures […]

Réagir à la situation – « un pacte décisif pour l’Europe ».

Ce que j’appelle de mes vœux et ce que je vous soumets aujourd’hui est un pacte décisif pour l’Europe.
Un pacte pour projeter nos valeurs, notre liberté et notre prospérité dans le contexte mondialisé de demain. Un pacte conciliant la nécessité de préserver nos économies sociales de marché d’une part et celle de les réformer d’autre part. Un pacte qui stabilisera l’UEM (union économique et monétaire), stimulera une croissance durable et rétablira notre compétitivité. Un pacte qui créera un contrat de confiance entre nos pays, et entre les États membres et les institutions européennes, entre partenaires sociaux et entre les citoyens et l’Union européenne.
Ce pacte décisif pour l’Europe entraîne les conséquences suivantes : nous ne devons pas laisser subsister le moindre doute quant à l’intégrité de l’Union ou au caractère irréversible de l’Euro. Les pays les plus vulnérables ne doivent pas laisser subsister le moindre doute quant à leur volonté de réforme, quant à leur sens des responsabilités. Mais les pays les plus forts ne doivent pas non plus laisser subsister le moindre doute quant à leur volonté de serrer les rangs, quant à leur sens de la solidarité. Tous, nous ne devons pas laisser planer le moindre doute quant à notre détermination à appliquer les réformes nécessaires, et à RÉFORMER ENSEMBLE (…)
Ce pacte décisif exige l’achèvement d’une union économique profonde et véritable, fondée sur une union politique.

Union économique. Notre modèle européen d’économie sociale de marché est tributaire de la croissance : elle crée des emplois et soutient notre niveau de vie. Mais nous ne pouvons maintenir la croissance que si nous améliorons notre compétitivité.
Au niveau national, cela nécessite d’entreprendre des réformes structurelles qui ont été reportées pendant des décennies. Moderniser l’administration publique. Réduire les dépenses inutiles. S’attaquer aux intérêts catégoriels et aux privilèges. Réformer le marché du travail pour y créer un équilibre entre sécurité et flexibilité. Et assurer la durabilité des systèmes sociaux (…)
Il est essentiel d’achever l’union économique et monétaire. Nous devons mettre sur pied une union bancaire et une union budgétaire ainsi que les mécanismes institutionnels et politiques que cela suppose.
La Commission présente des propositions législatives en vue de la création d’un mécanisme unique de surveillance à l’échelle européenne. Il s’agit là de la première étape dans la création d’une union bancaire. La crise a montré que si les banques étaient devenues transnationales, la réglementation et le contrôle étaient restés, quant à eux, nationaux. Et lorsque les choses ont mal tourné, ce sont les contribuables qui ont dû passer à la caisse (…)
Le mécanisme de surveillance unique proposé créera une architecture renforcée, au sein de laquelle la Banque centrale européenne jouera un rôle clé, et l’interaction requise avec l’Autorité bancaire européenne, qui rétablira la confiance dans la surveillance des banques de la zone euro (…)

Union politique : si nous voulons faire de l’union économique et monétaire une réussite, il nous faut alors allier ambition et planification rigoureuse. Nous devons prendre des mesures concrètes sans attendre, avec l’union politique comme ligne d’horizon.
Je souhaiterais que se développe un espace public européen où les questions européennes puissent être examinées et débattues d’un point de vue européen. En effet, essayer de résoudre des problèmes européens en y apportant uniquement des solutions nationales ne rime à rien, et nous ne pouvons continuer ainsi.
Ce débat doit avoir lieu dans nos sociétés et parmi nos citoyens. Mais aujourd’hui, je souhaiterais lancer un appel particulier aux intellectuels européens. Aux hommes et femmes de culture, pour les inviter à prendre part à ce débat sur l’avenir de l’Europe. Et je m’adresse à vous, à votre assemblée qui incarne la démocratie européenne. Nous devons renforcer le rôle du Parlement européen au niveau européen. Et il nous faut promouvoir une complémentarité et une coopération véritables entre le Parlement européen et les parlements nationaux.
Ce qui sera également impossible sans un renforcement des partis politiques européens. En effet, il existe très souvent un véritable clivage entre les partis politiques dans les capitales et les partis politiques européens ici à Strasbourg. Voilà qui explique pourquoi, force est de le reconnaître, le débat politique semble bien trop souvent se limiter aux partis nationaux (…)
Une véritable Union politique européenne exige que nous concentrions l’action européenne sur les questions réellement déterminantes qui doivent être traitées au niveau européen. Soyons francs : tous les points ne peuvent pas être traités en priorité simultanément. Une certaine dose d’autocritique est probablement la bienvenue en la matière (…)
Une union politique implique aussi de redoubler d’efforts pour jouer notre rôle sur la scène mondiale. Partager sa souveraineté en Europe, c’est en réalité renforcer sa souveraineté dans un monde globalisé.
Dans le monde d’aujourd’hui, la taille est déterminante. Et les valeurs font la différence. Voilà pourquoi le message de l’Europe doit être un message de liberté, de démocratie, de primauté du droit et de solidarité, soit nos valeurs européennes.
Plus que jamais, nos citoyens et le nouvel ordre mondial ont besoin d’une Europe active et influente. Il importe que nous réussissions, pas seulement pour nous, mais pour le reste du monde. L’Europe doit se battre pour défendre ses valeurs et sa conviction que les droits de l’Homme ne sont pas un luxe réservé au monde développé mais que ces valeurs ont réellement vocation universelle.
La situation dramatique en Syrie nous rappelle que nous ne pouvons pas nous cantonner dans un rôle passif d’observateurs. Une nouvelle Syrie, démocratique, doit voir le jour. Et notre responsabilité commune est engagée : nous avons un rôle à jouer dans ce processus. Et nous devons travailler avec les acteurs de l’ordre mondial qui ont également besoin de coopérer à cet objectif.
Le monde a besoin d’une Union européenne qui demeure en première ligne en matière de développement et d’aide humanitaire, qui défende les économies ouvertes et combatte le protectionnisme, qui soit à la pointe de la lutte contre le changement climatique.
Le monde a besoin d’une Europe qui soit en mesure de déployer des missions militaires afin de stabiliser les zones de crise : nous devons pour cela entreprendre un relevé exhaustif des capacités européennes et commencer à établir des plans de défense qui soient réellement collectifs. Oui, nous devons renforcer notre politique étrangère et de sécurité commune et notre approche commune en matière de défense, car ensemble, nous avons le pouvoir et la dimension nécessaires pour peser sur le monde et tenter de le rendre plus équitable et plus respectueux des règles juridiques et des droits de l’Homme (…)

Une fédération d’États-nations – Un nouveau traité

N’ayons pas peur des mots : nous devrons évoluer vers une fédération d’États-nations. Voilà de quoi nous avons besoin, tel est notre horizon politique.
C’est cette ambition qui doit guider nos travaux au cours des années à venir. Aujourd’hui, j’en appelle donc à une fédération d’États-nations. Pas à un super-État, mais à une fédération démocratique d’États-nations capable de régler nos problèmes communs en partageant la souveraineté d’une manière qui permette à chaque pays et à chaque citoyen d’être mieux équipé pour maîtriser son propre destin. Une Union qui soit aux côtés des États membres, et pas une Union qui se dresse contre eux. À l’ère de la mondialisation, la mise en commun des souverainetés n’équivaut pas à une perte mais à un gain de pouvoir.
J’ai parlé à dessein d’une fédération d’États-nations parce qu’en cette période troublée, angoissante, nous ne pouvons pas abandonner la défense de la nation aux seuls nationalistes et populistes. Je crois en une Europe dont les citoyens sont fiers de leur nation mais également fiers d’être Européens et fiers de nos valeurs européennes. Et pour créer cette fédération d’États-nations, nous ne pourrons pas faire l’économie d’un nouveau traité. Je ne dis pas cela à la légère. Nous savons tous combien il est devenu difficile de modifier les traités. La préparation sera cruciale. Les débats sur les modifications des traités ne doivent pas nous faire perdre de vue ce qu’il est possible et indispensable de faire, dès aujourd’hui, ni nous faire prendre du retard (…)
L’époque d’une construction européenne qui se faisait avec l’accord tacite des citoyens est révolue. L’Europe ne peut plus se permettre d’être technocratique, bureaucratique ou même diplomatique. L’Europe doit être toujours plus démocratique. Le rôle du Parlement européen est essentiel. Voilà pourquoi les élections européennes de 2014 peuvent se révéler décisives.
D’ici aux prochaines élections européennes de 2014, la Commission présentera son ébauche pour les contours de la future Union européenne. Et nous présenterons des idées concrètes pour modifier les traités, dans un délai qui permettra d’organiser un débat […]
Voilà notre projet : un projet par étapes mais avec une vraie ambition pour l’avenir et une fédération en tant qu’horizon pour l’Europe. Nombreux sont ceux qui jugeront ce programme trop ambitieux, irréaliste.
Mais je vous pose la question : est-il réaliste de poursuivre sur la voie actuelle ? Est-il réaliste de voir ce à quoi nous assistons aujourd’hui dans de nombreux pays européens ? Est il réaliste de voir les contribuables payer pour les banques, puis être forcés de céder leur maison à ces mêmes banques parce qu’ils ne peuvent plus payer leur crédit ? Est-il réaliste de voir que plus de 50 % des jeunes sont au chômage dans certains de nos États membres ? Est-il réaliste de continuer à vouloir éteindre les incendies et de simplement accumuler les erreurs et les solutions peu convaincantes ?
La voie réaliste est celle qui va nous rendre plus forts et plus unis. Le réalisme consiste à hisser notre ambition au niveau de nos défis. Nous pouvons y arriver ! Envoyons à notre jeunesse un message d’espoir. »

José Manuel BARROSO, Président de la Commission Européenne
(septembre 2012)