Jean-Dominique Giuliani, après le séisme, ce qu’il faut réformer

Jean-Dominique Giuliani

Tribune sur les leçons à tirer des résultats aux élections européennes du Président de la Fondation Robert Schuman publié dans Le Figaro du 27 mai 2014.

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Sortant d’une crise de doute, l’Union européenne et ses États membres se trouvent questionnés comme jamais par la montée des populismes. À bien des égards, la France se distingue une nouvelle fois. Des enseignements autour de quelques mots-clés peuvent d’ores et déjà être tirés quand aux motivations du vote.

Abstention : elle n’a cessé de croître depuis la première élection du Parlement européen au suffrage direct, passant de 46 à 67% entre 1979et 2009. Cette tendance s’est stabilisée à ce niveau en 2014 sans qu’il y ait lieu de se réjouir de cette faible participation. La construction européenne n’est pas une question politique traditionnelle que les citoyens s’approprieraient, parce qu’elle ne constitue pas, à leurs yeux, un enjeu de pouvoir. Elle n’entre pas dans l’ordre des clivages politiques habituels.

Politisation : certains partis ont tenté de donné au scrutin une dimension pan-européenne et de structurer la campagne autour de divergences politiques de fond, pour ou contre « l’Europe de l’austérité ». Cette problématique n’a pas fonctionné.
Les Européens et même les Français n’ont pas cru qu’il y avait « une Europe de gauche et une Europe de droite ». Ils semblent avoir accepté la nécessité de remettre les comptes publics en ordre. D’ailleurs toutes les majorités aux affaires en Europe ont œuvré dans le même sens, qu’elles soient de gauche ou de droite et la composition du Parlement européen ne va pas connaître de bouleversements majeurs.

Personnalisation : le Parlement européen a voulu personnaliser la campagne en imposant aux chefs d’État et de gouvernement, qui devront « tenir compte » du résultat des élections, le choix du leader du parti arrivé en tête comme président de la Commission. Les électeurs ont eu du mal à franchir le pas et à se passionner pour un débat qui a néanmoins contribué à éclairer des enjeux européens souvent délaissés. Le succès du Parti populaire européen rassure et Jean-Claude Juncker a de bonnes chances d’être le futur Président de la Commission.

Coalition : la moitié des gouvernements européens sont formés de coalitions et il en ira de même au Parlement européen, tant pou son fonctionnement que pour le soutien à un candidat à la tête de l’exécutif. L’un des effets de la crise a été de modifier la carte politique de l’Europe et d’obliger les partis de gouvernement à s’allier, parfois avec leurs adversaires, pour adopter des programmes sévères de retour à une bonne gestion publique. Si la France fait figure d’exception, l’esprit des grandes coalitions souffle sur l’Europe. Dans une économie globalisée, sous la surveillance des investisseurs du monde entier, il semble n’y avoir pas d’autres recettes que le retour progressif à l’équilibre budgétaire et au désendettement après trente années de folles dérives. L’opposition à ce constat et à ces politiques explique la vague populiste. Elle demeure minoritaire, mais s’exprime de plus en plus fortement.

Exaspération : les eurosceptiques ont pu compter cette fois-ci sur le renfort des populistes, de gauche comme de droite, portés par le chômage élevé et des angoisses sociales inédites en Europe. Cette fusion populistes-eurosceptiques a tenté d’en faire payer le prix aux institutions et aux politiques européennes, qui ne sont pas exempts de critiques, mais qui n’’exonèrent en rien la responsabilité première des gouvernements nationaux. Leurs discours excessifs n’ont pas été crus, mais leur opération de récupération des votes protestataires a réussi, surtout en France. L’abandon de l’euro, prôné de manière peu crédible par le FN, ne l’a pas empêché d’arriver en tête. Selon les études d’opinion, 62% des Français souhaitent rester dans l’euro, soit une proportion supérieure à celle du début de la campagne électorale. On ne saurait pour autant sous-estimer l’extrême état d’inquiétude, voire de révolte que manifeste le vote français.

Obligation (ardente) : il constitue une ardente obligation de réagir. Les Européens ont compris la gravité de la situation, mais veulent que leurs dirigeants tracent des perspectives claires à leurs politiques sous contraintes. C’est aussi une obligation pour les nouvelles institutions européennes de se réformer, d’agir et de communiquer différemment. Dans les États membres, cela entraînera des conséquences diverses, peut-être de nouvelles coalitions. La France se distingue, quant à elle, par une contestation violente du gouvernement et des partis traditionnels, qui ne peut rester sans réponse. Au niveau européen, il y a urgence à ce que soient fixées des priorités, réformées les pratiques institutionnelles et réorientées certaines politiques communes. 2014 constitue un tournant majeur de la vie politique en Europe, d’abord dans certaines capitales, mais aussi à Bruxelles.

Jean-Dominique Giuliani, Président de la Fondation Robert Schuman
Pour Le Figaro

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► Voir l’équipe dite « de choc », mise en place par (et autour de) Jean-Claude Juncker, à la Commission européenne