Rama Yade : « Être à la hauteur, quitte à être transgressif… »
Extraits du discours de Rama Yade, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l’Homme, prononcé à la Conférence des Ambassadeurs le 28 août 2007.
«Le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui est celui-ci : entre valeurs et intérêts, quelle politique pour la France et pour l’Union européenne ? Concilier valeurs et intérêts, c’est tout l’objet de ma fonction de secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l’Homme (…)
«Mon secrétariat d’Etat est inédit. Il y a bien eu un secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères (Renaud Muselier) et un secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme (Claude Malhuret, rattaché au Premier ministre) : chacun d’entre eux m’a fait part de leurs difficultés de leurs missions si particulières. On imagine aisément que la mienne, fusion de leurs deux portefeuilles, en sera sans doute pas simple (…)
«Je me sens la gardienne et l’exécutrice de la profession de foi de l’ex-candidat UMP qui déclarait: «notre identité démocratique nous destine à promouvoir la liberté et le respect des droits de l’individu dans le monde»; «valeurs et intérêts, en réalité, se rejoignent. Il faut refuser l’opposition stérile entre réalisme et idéalisme». Et le 6 mai dernier, au soir de sa victoire, il ajoutait : « Je veux lancer un appel à tous ceux qui, dans le monde, croient aux valeurs de tolérance, de démocratie et d’humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures, à tous les enfants et à toutes les femmes martyrisées dans le monde pour leur dire que la France serait à leurs côtés, qu’ils peuvent compter sur elle (…)
«Bien évidemment, les polémiques qui ont accompagné la libération des infirmières (bulgares) montrent qu’il n’est pas facile de concilier la promotion des Droits de l’Homme et la défense de nos intérêts (…) j’expérimente fréquemment cette contradiction dans mes déplacements (à l’étranger) : il n’est pas facile de réaffirmer l’amitié entre deux peuples et, dans le même temps, d’attirer l’attention de nos interlocuteurs sur la nécessité pour eux de respecter les Droits de l’Homme. Seulement, il me faut bien me jeter à l’eau car, à l’étranger, je me dois de représenter le pays des Droits de l’Homme. Et mon secrétariat d’Etat doit contribuer à faire avancer la cause des Droits de l’Homme. La difficulté vient également du fait que la France, dans sa volonté de promouvoir les Droits de l’Homme, est souvent accusée d’être arrogante, de donner des leçons, de faire de l’ingérence, de se mêler des affaires des autres. Mais je coris qu’il s’agit là d’un faux procès. Je ne crois pas que nous soyons arrogants. Nous avons un devoir vis-à-vis de l’histoire parce que nous avons été considérés, et nous le sommes toujours, comme le pays des Droits de l’Homme. Ce n’est pas un hasard si c’est à Paris qu’a été adoptée la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, dont nous célébrerons le 60ème anniversaire en 2008. Nous nous devons d’être à la hauteur de cette réputation, quitte quelquefois à être transgressif (…)
«Il est vrai toutefois que cette transgression peut nous coûter cher, notamment en termes d’intérêts. C’est l’argument que l’on avance notamment à propos de la Chine. Mais je ne suis pas convaincue par cette position : après tout, les Etats-Unis, tout en concluant des contrats commerciaux avec les Chinois, n’hésitent pas à évoquer la question des prisonniers politiques avec eux. Par ailleurs, je pense que l’on ne peut pas, à un an de la tenue des Jeux Olympiques à Pékin, ignorer cette question. Sans vexer, sans blesser, sans humilier, je pense qu’on peut rappeler la Chine à ses droits. Elle sera bientôt la vitrine du monde. De ce fait, elle ne peut se permettre d’offrir une image régressive de l’olympisme. C’est pour cela que j’ai prévu, dans un premier temps, de rencontrer M. Dogge qui préside le CIO, pour qu’il pousse la Chine à faire des efforts substantiels.
« Les Français ne comprendraient pas nos silences face à certaines violations des droits de l’Homme qui les choquent. Notre activisme en la matière doit toutefois se baser sur une méthode. Ainsi, face à une certaine impatience médiatique, il faut savoir rester discret pour être efficace. Je pense par exemple à la Tunisie. Il me semble que, si l’on veut obtenir la libération d’une prisonnier politique comme Maître Abbou, la discrétion doit, dans un premier temps, être de mise. Plutôt que de créer du tapage médiatique pour bien me faire voir et risquer ainsi la vie de ce prisonnier, j’ai d’abord le devoir d’expliquer aux autorités tunisiennes pourquoi l’emprisonnement de cet homme est choquante et nuit à l’image de la Tunisie dans le monde. En procédant ainsi, j’essaie d’éviter de montrer du doigt, de blesser ou d’insulter, ce qui n’aurait pour résultat que de « braquer » les autorités en question et de prolonger le calvaire du prisonnier. Cette méthode peut s’avérer efficace puisqu’au retour de mon voyage en Tunisie, l’avocat tunisien a été libéré. Si tel n’avait pas été le cas, il aurait été alors temps de prendre l’opinion et les médias à témoin.
« La méthode n’interdit pas la fermeté. Je n’accepte pas, par exemple, que les Droits de l’Homme soient remis en cause par certains pays qui considèrent que le développement économique doit primer sur le respect des droits humains ou qui préfèrent le particularisme de leur culture à l’universalité de ces droits. En ce qui me concerne, je ne crois pas du tout à l’approche culturaliste, parce que si j’ai du respect pour les traditions de certains pays, je considère qu’on ne peut résolument pas, au nom de ces traditions, accepter que des femmes soient lapidées pour adultère. On ne peut pas non plus, au nom de ces traditions, accepter que des femmes s’immolent par le feu après un viol ou pour échapper à un mariage forcé, ou après ledit mariage forcé.
« A l’inverse, il est important de ne pas confondre «Droits de l’Homme» et « droit de l’hommisme». La promotion des Droits de l’Homme, ce n’est pas les droits à tout et à n’importe quoi. Pour moi, c’est avant tout le droit à vivre. Et le droit de vivre dans la sécurité et dans la paix. Il ne faut pas brader ce droit élémentaire. C’est pour cela qu’il faut des principes d’action (…)
« Je pense qu’il est important d’intégrer la défense des Droits de l’Homme dans notre action diplomatique. Pour cela, il est important, sur le plan organisationnel, de ne pas la marginaliser dans des sous-directions très spécialisées du Quai d’Orsay.
Il est également primordial de mettre fin à ce fossé qu’il y a entre notre activisme à parler des Droits de l’Homme et notre fréquente discrétion sur le plan bilatéral. Ainsi, en déplacement en Moldavie, dont l’ambition première est d’intégrer l’Union européenne, j’ai tenu à, évaluer la situation des femmes moldaves, notamment celles qui sont victimes des réseaux de traite des femmes. En Libye, une fois que les infirmières bulgares ont été libérées, j’ai tenu à m’exprimer au journal télévisé du soir, pour dire que rien n’est fini et qu’il nous faut penser à ces personnels humanitaires et médicaux, occidentaux ou non, emprisonnés à l’étranger depuis de nombreuses années. De la même manière, les retrouvailles entre la France et le Sénégal ne doivent pas nous faire perdre de vue le fait que le procès d’Hissène Habré doit avoir lieu dans ce pays et qu’il est important que la France, souvent en pointe en matière de justice pénale internationale, aide le Sénégal à trouver les moyens financiers pour l’organisation de ce procés très attendu par les victimes de l’ex-président du Tchad. Enfin, nous nous devons d’être en contact permanent avec les défenseurs des Droits de l’Homme partout où ils sont. Il est important que nos ambassades soient les avant-postes de la défense des Droits de l’Homme. Pour cela, elles doivent devenir des maisons des Droits de l’Homme afin que les militants des Droits de l’Homme, soucieux de faire part de leurs préoccupations, ne trouvent pas porte close (…)
«Enfin, je crois qu’il est important de tenir un discours cohérent. Parmi les nombreuses personnalités que j’ai rencontrées depuis ma prise de fonctions, certaines doutent de notre sincérité en matière de défense des Droits de l’Homme : elles dénoncent un système de « deux poids deux mesures », jugeant que la France et l’Union européenne préfèrent être forts avec les faibles et faibles avec les forts. Il est donc important pour nous de rééquilibrer notre politique de promotion des Droits de l’Homme, en alertant autant sur la situation des droits humains dans les pays pauvre que sur celle de pays comme les Etats-Unis ou la Russie.
« Pour mettre en œuvre ces principes et cette méthode, j’ai voulu défini trois priorités de mon action future. La première concerne les femmes et les enfants qui sont les premières victimes des sociétés archaïques ou des conflits. La deuxième porte sur la Justice pénale internationale qui permet, grâce à des instruments juridiques de lutte contre l’impunité, de montrer que les Droits de l’Homme ne sont pas que des mots. Enfin, ma troisième priorité est la liberté d’expression, en particulier la liberté de la presse. (…)