Thierry Chopin, directeur des études de la Fondation Robert Schuman et professeur à l’Université catholique de Lille (ESPOL), propose une nouvelle définition des pouvoirs régaliens. Dans l’étude « Défendre l’Europe pour défendre la vraie souveraineté », publiée par l’Institut Jacques Delors en collaboration avec la Fondation Robert Schuman, il soutient que les « biens communs » partagés par tous les Européens (l’euro, la stabilité financière, le contrôle des frontières extérieures, les défis migratoires…) nécessitent une action commune et une forte coordination des moyens des États membres à l’échelle européenne. Décryptage de ses arguments en faveur d’une « Europe régalienne ».
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C’est un concept novateur: une « Europe régalienne » renforcerait la souveraineté de la puissance publique, qu’elle soit exercée au niveau national ou européen, car les deux niveaux sont complémentaires. Thierry Chopin argumente: les États et l’UE ont la même raison d’être, « protéger la sécurité de leurs citoyens, physiquement et économiquement, et garantir le plus grand espace possible à la liberté individuelle ». La préservation de l’ouverture des frontières au sein de l’Europe et des valeurs fondatrices de l’union européenne « appelle d’elle-même, continue cet expert, la constitution d’une ‘Europe régalienne’ ».
En fait, après la consolidation de la paix et la création d’un marché commun, il est nécessaire, affirme Chopin, que l’UE porte un message politique clair sur ce qui peut légitimer l’Europe face aux défis actuels, car un système politique qui se paralyse, qui craint la réforme ou le changement, finit presque toujours par disparaître. Or, quels sont les objectifs collectifs des Européens ? Quels domaines requièrent une action commune ?
La réponse semble évidente car, au moins dans le contexte international, les défis auxquels sont confrontés tous les Européens sont les mêmes. Il évoque d’abord la question du terrorisme, car il a une dimension transfrontalière: il s’agit d’un enjeu qui requiert une coordination plus étroite des capacités nationales de différents Etats membres de l’Union européenne, ainsi qu’une coopération sincère pour s’y attaquer efficacement. Dans cette perspective, le projet d’ »Europe régalienne » a, selon lui, de solides justifications.
« Le protectionnisme n’a de protection que le nom «
Le domaine commercial est, lui aussi, un domaine majeur dans la mesure où les sources de la croissance sont, en grande partie, situées hors d’Europe : aujourd’hui, les innovations technologiques et la production se rentabilisent seulement si l’on exporte à l’échelle mondiale. Dans ce sens, affirme l’auteur, « le protectionnisme n’a de protection que le nom ». S’il est essentiel que l’Europe défende ses intérêts et ses préférences, cela passe par l’exigence d’une réciprocité en matière de respect des normes de l’économie de marché, de protection de la propriété intellectuelle, de garanties à l’exportation, etc. L’UE, qui demeure le premier marché du monde, pourrait profiter spécialement de cette situation. C’est seulement ensemble, et non séparément ou encore moins en conflits les uns contre les autres, que les États membres de l’Union européenne pourront faire valoir dans le monde leurs règles communes concernant la protection des consommateurs, la santé, le secteur agricole, l’environnement ou la finance. Et bien entendu, « cela demande que l’Europe dispose d’outils de contrôle du respect de ses règles qui soient aussi efficaces que les outils américains ».
In fine, la dimension économique apparaît essentielle car aujourd’hui la capacité régalienne étatique de lever l’impôt ou de construire la justice sociale est mise en question par l’incapacité des États à s’attaquer, seuls, à la fraude fiscale, à l’évasion et à l’optimisation fiscale des grandes entreprises. Il est donc nécessaire que l’Europe puisse agir de façon encore plus concertée et efficace dans ce domaine, crucial pour le développement économique et la cohésion sociale.
Les sujets régaliens renvoient aussi à la question des frontières et à l’identité de l’UE. Qui sommes-nous, nous les Européens ? Que voulons-nous devenir ? C’est ce type de questionnement, soutient Thierry Chopin, qui permettra de renforcer la cohésion européenne et sa reconnaissance dans le monde. Le débat sur la question régalienne, affirme-t-il, doit aussi se développer en tenant compte des trois grands choix très différents dont disposent les Européens. D’abord, l’option du repli national, un scénario tentant pour de nombreux citoyens qui cherchent la protection dans le cadre jugé le plus « naturel », l’État national. Pourtant, cette option conduit au choix d’une Europe fragmentée, divisée et donc affaiblie.
Ensuite, continue l’expert, il y a la tentation de ne rien changer, de maintenir le statu quo, ce qui conduirait, « dans le meilleur des cas », à consolider l’Union sous l’effet des différents chocs mais sans réforme d’ensemble. Mais l’histoire montre, selon lui, que les systèmes politiques qui, dans un contexte de crise, ne se réforment pas, par crainte du changement, finissent souvent par disparaître.
Enfin, soutient Thierry Chopin, il y a la troisième option, celle des partisans d’une Union d’États-nations ouverte au monde qui s’appuie sur un projet politique de long terme visant à (re)construire un modèle politique, économique et social proprement européen. Où les idéaux de liberté, de solidarité et d’influence internationale puissent être partagés, et renforcés.
Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ
(mai 2017)