Scénariste, réalisatrice et romancière, Emilie Frèche est l’auteure à la fois de la pièce poignante, « Le professeur » (Albin Michel), qui retrace avec précision les derniers jours de Samuel Paty et du livre « Le cours de Monsieur Paty » (Albin Michel), écrit à quatre mains avec la sœur du professeur décapité par un islamiste, Mickaëlle Paty. Dans cet entretien avec la Revue Civique, Emilie Frèche s’élève contre les mécanismes pervers des « renoncements » qui aboutissent au pire, nous dit-elle, soulignant les menaces qui pèsent sur notre démocratie. Son appel: « il faut réarmer idéologiquement la génération qui vient pour qu’elle comprenne l’importance d’être formé à l’esprit critique. Sinon, c’est la démocratie elle-même qui sera en danger ». Entretien avec cette spectatrice engagée, combattante de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme qui dénonce aussi, ici, un Emmanuel Macron « dépourvu de courage ».
-La Revue Civique : dans votre récit, on voit que la peur et la lâcheté – deux choses qui peuvent se distinguer – ont dramatiquement joué un rôle majeur, favorisant l’isolement de Samuel Paty et, in fine, son assassinat. Qu’est-ce que cela dit sur les capacités, pour l’islamisme, de progresser et de menacer en France ?
– Emilie FRÈCHE: La peur oui, a joué effectivement un rôle majeur. Et on ne peut blâmer personne d’éprouver ce sentiment face à un lynchage sur les réseaux sociaux qui concernait Samuel Paty mais aussi tout le collège, et face à la violence islamiste qui a déjà fait tant de morts partout dans le monde.
Concernant la lâcheté, je préfère parler de « renoncement ». Les islamistes, pour faire progresser leurs idées, ont mis en place une stratégie assez perverse dans le panneau de laquelle nous sommes tombés: sous couvert de lutter contre des discriminations visant des musulmans (en l’espèce, une élève musulmane aurait été forcée de quitter la classe par son professeur), ils attaquent nos principes (la liberté d’expression en réclamant que le professeur qui l’enseigne soit viré). Et, au lieu de dénoncer ce mécanisme pervers en disant « on ne rentrera pas dans votre jeu, vous pouvez toujours vous victimiser et nous traiter d’islamophobe, ça ne marchera pas », on essaie d’éviter le scandale: on envoie un référent laïcité pour fournir des éléments de langage à l’équipe pédagogique, on s’explique, on se justifie. Mais peut-être est-ce dû au fait d’une culpabilité liée à un racisme anti-musulman bien réel, trop présent, auquel nos politiques ne s’attaquent pas . S’il y avait un vrai plan de lutte contre la discrimination à l’embauche, au logement, contre le délit de faciès etc… dont sont victimes les minorités, quand les islamistes crieraient à l’islamophobie, cela aurait peut-être moins d’écho.
Face à l’islamisme, qui est un totalitarisme, il faut réarmer idéologiquement la génération qui vient pour qu’elle comprenne l’importance d’être formé à l’esprit critique car, sinon, c’est la démocratie elle-même qui sera en danger. Il faut comprendre et assumer que l’école n’est pas seulement le lieu de la transmission des savoirs, elle est cette maison commune où l’on apprend à devenir des citoyens libres et égaux en droit, quelles que soient nos origines, notre religion, notre milieu social.
« Prendre le problème à la racine, empêcher la diffusion de la propagande islamiste qui gangrène le cerveau de nos jeunes »
– Depuis la vague d’attentats des années 2015 et 2016, beaucoup de tentatives d’attentats, malgré l’assassinat des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard, ont pu être déjoués par les services de sécurité français. Est-ce à dire que les faiblesses et les failles sont surtout dans la société elle-même, dans une partie du monde éducatif ?
– Emilie FRÈCHE: J’ai écrit un livre (Je vous sauverai tous) et un film ( Le ciel attendra), en 2016, sur des jeunes filles qui partaient faire le djihad en Syrie. Ce que j’ai constaté, c’est que pour la plupart, elles se radicalisaient de manière express sur les réseaux sociaux. Et il suffisait que des hommes leur demandent de se voiler, parce qu’elles étaient des « joyaux » et ne devaient pas être « abîmées » par le regard d’aucun autre homme, pour qu’elles se sentent valorisées. Elles épousaient ces espèces de chevalier macabre sur skype et s’envolaient pour Raqqa grâce à l’aide d’autres filles embrigadées, nommées « les soeurs ». Ce terme-là montrait à quel point elles étaient réceptives à une idéologie qui leur donnait l’illusion d’appartenir à un groupe, à une famille, quand la « fraternité » en République, pourtant au frontispice de tous nos édifices publics, demeurait dans les faits lettre morte.
Anzorov (l’assassin de Samuel Paty, ndlr) s’est lui aussi radicalisé via les réseaux sociaux. Il avait visionné des dizaines et des dizaines de vidéos de décapitation de moutons. Pareil pour les terroristes du 13 novembre. Dans le café de Salah Abdeslam, à Molenbeeck, ils regardaient beaucoup de films où, à Raqqa, des djihadistes s’adonnaient à des actes de pure barbarie. Tout cela nous dit qu’il faudrait pouvoir prendre le mal à la racine et empêcher la diffusion d’une propagande islamiste qui gangrène le cerveau de nos jeunes, mais nous ne sommes pas en Chine… La démocratie est juridiquement très mal équipée pour se protéger de ces discours et de ces images.
« Emmanuel Macron est dépourvu de courage et de sens des responsabilités »
Globalement, êtes-vous inquiète quant à la progression de l’islamisme et de son fanatisme meurtrier ? Les attaques qui ont frappé Israël, menées notamment par le Hezbollah depuis plus d’un an, ne sont pas toujours perçues en France – euphémisme – comme s’inscrivant dans une stratégie plus générale visant les juifs et les démocraties, dont l’Iran est l’un des commanditaires affichés. On a vu Emmanuel Macron, contrairement par exemple à l’ancien Premier ministre Manuel Valls, avoir d’abord du mal à qualifier le Hezbollah d’organisation terroriste. Comment analysez-vous l’attitude française qui, au nom de la paix, peut tendre à édulcorer ou relativiser le problème à affronter ?
-Emilie FRÈCHE: Emmanuel Macron prouve chaque jour un peu plus qu’il n’a rien d’un homme d’Etat. Il est dépourvu de courage et de sens des responsabilités, deux qualités indispensables dans des périodes aussi inquiétantes. Manque de courage parce qu’il refuse de prendre le risque de dire des choses qui pourraient déplaire – il ne veut pas faire de pédagogie, il veut qu’on adhère, qu’on « like » – et absence totale de responsabilités, parce qu’il participe à l’enterrement généralisé du langage. Or, quand les mots perdent leur sens, quand ils sont employés à tort et à travers, c’est la folie qui nous guette. Et c’est ce qui se passe depuis le 7 octobre.
On ne peut pas qualifier de génocide à la fois ce qui s’est passé pour les juifs pendant la seconde guerre mondiale ou pour les tutsis au Rwanda, et pour les palestiniens de Gaza . Dire cela n’enlève rien au cauchemar que vivent les gazaouis, ni à l’empathie que l’on ressent en voyant ces crimes de guerre mais ce n’est pas un génocide, qui répond à une définition juridique bien précise (un élément matériel et un élément intentionnel). Pareil pour le mot « terroriste ». Si Macron n’est pas capable de qualifier le Hamas et le Hezbollah comme tel, alors il donne raison à ceux qui appellent à la destruction de l’Etat d’Israël (ce qui serait, pour le coup, un vrai génocide) et considèrent que tuer des jeunes au Festival Nova, comme les terroristes l’ont fait au Bataclan, est un acte de résistance. Ces massacres-là ne seront jamais des actes de résistance Et qu’il allume ensuite les bougies de Hanouka à l’Elysée avec le grand rabbin est pour moi pire que tout: c’est le signe de sa lecture communautariste de la société. Et un petit clin d’oeil aux juifs, et un petit mot pour les musulmans – les Français valent et attendent mieux de leur chef de l’Etat.
Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET
(29/10/24)