Angela Merkel : « prochain Prix Nobel de la Paix » ! (par Leo Keller)

Diplômé en droit et en relations internationales à Sciences Po Paris, Leo Keller est un chef d’entreprise spécialiste-passionné de géopolitique et commerce international. Dans cette tribune, engagée et enflammée, il nous explique pourquoi, selon lui, la chancelière allemande Angela Merkel, mériterait d’obtenir le Prix Nobel de la Paix.

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Rarement une telle distinction n’aura été aussi méritée. C’est le cœur meurtri et avec une raison vacillante que j’écris ces quelques lignes.

Nous sommes tous redevables, collectivement et individuellement à Angéla Merkel. Je suis fier de lui dire « Yes in my name » !

En effet au trébuchet des grandes catastrophes mondiales du siècle précédent ; Shoah, grande famine en Chine et folie meurtrière de Mao ayant sciemment provoqué des morts par millions , (on parle de 36 millions de morts) Biafra, Cambodge, Rwanda , grâce principalement à Madame Merkel le monde a réagi plus vite, plus fort et plus efficacement. Même si l’on eut pu certes faire mieux !

Lorsque chaque jour nous apporte son contingent de morts noyés dans la mer de l’indifférence humaine, échoués sur le cimetière d’une plage déserte, la seule chose qui m’importe est leur survie. Parfois et fort heureusement l’émotion et les tripes l’emportent. Le mal et la barbarie sont en nous certes. Mais l’on sait avec le théorème de Jean-François Bizot que le mal est interchangeable, que le bien peut combattre avec succès le mal. La force d’un regard !

Camus, indépassable, écrivit dans les Justes: « La liberté est un bagne aussi longtemps qu’un seul homme est asservi sur la terre. J’étais libre et je ne cessais de penser à la Russie et à ses esclaves… Mais j’ai une idée juste de ce qu’est la honte. » Le lecteur remplacera bien entendu Russie par Syrie et esclaves par martyrs.

Angela Merkel a su se montrer digne de l’Histoire. Il reste à l’Histoire à se montrer digne d’elle.

« La démocratie Habermassienne a durablement vivifié la nation allemande »

S’il n’est pas nécessaire – hélas – de s’interroger pourquoi -nonobstant Angela Merkel – l’Allemagne est désormais à la pointe de ce combat humanitaire, elle avait auparavant montré sa générosité envers ses frères les « Ossies » ressortissants de l’ex RDA, l’on peut par contre s’interroger pourquoi la Chancelière de droite a réagi si juste si vrai et si vite. La réponse tient en un mot : sa jeunesse et sa formation protestante comme si ses années d’enfance passées sous la dictature communiste et la chape de plomb de la Stasi l’avaient marquée au fer rouge. Quant à l’Allemagne pourquoi ? L’Allemagne : une raison historique évidente. Parce que la nation allemande n’avait pas de vrais remparts, elle a toujours vacillé entre un bellicisme outrancier et un pacifisme échevelé. Parce que à force d’éducation civique ou morale, la démocratie Habermassienne a durablement vivifié la nation allemande, le Phobos du tryptique de Thucydide a été quasiment éradiqué et des mentalités individuelles et de la politique allemande. Soyons également sûrs que Merkel saura aussi trouver du Kerdos dans cet accueil généreux. Quant aux manifestations de la Doxa, les images d’allemands en liesse et heureux d’accueillir et d’aider ces réfugiés est suffisamment éloquente pour ne pas s’inquiéter. Certes, il n’est pas sûr que ces images soient pérennes. Mais Merkel saura tenir le gouvernail sans être troublée le moins du monde.

Jürgen Habermas

Jürgen Habermas

Angela Merkel est une chancelière hors-pair ! Et pas ou plus seulement au plan économique. Das Mädchen sait surprendre et bousculer, même très fermement, son propre camp. Elle l’avait déjà montré à Obama dont les oreilles sifflent encore dans l’affaire des écoutes téléphoniques ; elle n’a point hésité à imposer ses vues dans l’affaire grecque à Schauble héros des sondages et enfant chéri des contribuables allemands.

Là où cela devient encore plus significatif c’est sa conduite impeccable contre les abrutis de Pagida. Dans ce drame humain, Angela Merkel a été digne, parfaite, efficace et intelligente. Certes, elle n’est pas la seule ; mais elle a été la première et surtout la plus courageuse. Elle habite et habille la vêture d’une véritable Femme d’État. Suffisamment en avance sur son peuple pour ne pas suivre pleutrement ses pulsions grégaires et instincts xénophobes. Mais suffisamment déterminée et proche pour avoir tantôt subrepticement, tantôt véhémentement eu le courage d’éduquer son peuple. Son rôle pédagogique a été à l’égal de son courage. Et elle n’a ni tremblé ni reculé dans cette tâche titanesque alors que Chancelière Fédérale elle est loin d’être aussi puissante- tant s’en faut- que le Président de la République Française ou le premier ministre britannique. En témoigne sa remarque à Nicolas Sarkozy qui se plaignait (une fois n’est pas coutume) de sa lenteur : « Aber Nicolas ich bin nicht so mächtig wie du » (Mais Nicolas je ne suis pas aussi puissante que toi)

Pour cela aussi Madame Merkel : Deshalb sage ich Dankeschön mit der Freude für alle Einsätze, die dazu geleistet. C’est pourquoi je vous dis avec plaisir merci pour tous les efforts qui ont été faits pour tout cela.

La si « Karlsruhiste » Allemagne sait – mais toujours à bon escient – sortir de sa sacro-sainte légalité. En témoigne sa volonté de dénoncer le protocole de Dublin de 1990. Lorsqu’Angela dit : « Toutes les décisions d’expulsion du territoire concernant les demandeurs d’asile syriens seront révoqués… » Bravo !
« Il faut le dire clairement : il n’y a aucune tolérance vis-à-vis de ceux qui remettent en question la dignité d’autrui. » Elle se hisse en humanité ! Bravo !
« L’Europe n’est jamais autant l’Europe que lorsqu’elle est généreuse et accueillante. » Bravo ! Bravo car elle se montre la parfaite héritière des Pères Fondateurs de l’Europe.
«L’Europe est dans une situation qui n’est pas digne de l’Europe, il faut tout simplement le dire. »

« If Europe fails on the question of refugees, it’s close connexion with universal civil rights will be destroyed » J’ai envie de lui dire Frau Bundeskanzlerin : Wunderbach !
Enfin une visionnaire !

Elle n’hésite pas non plus à brusquer une frange conséquente de son électorat lorsqu’elle stigmatise ceux qui critiquent l’accueil des migrants. «… Tout aussi honteux que même des familles avec enfants les soutiennent… »
Le professeur Hajo Funcke a fort justement décrit la Chancelière : « Sans le dire clairement, elle a inscrit son action dans la ligne impulsée par les gouvernements rouge – vert (SPD et Die Grünen), équivalents respectifs du PS et de EELV et de Schroeder qui ont rénové le droit de la nationalité et mis l’accent sur l’intégration des étrangers »

Madame Merkel aura permis une refondation de l’Europe en créant un nouveau droit européen en transformant la crise. Elle a besoin de notre soutien. Elle le mérite.

Dans un superbe article publié dans The Observer, Jonathan Sacks l’ancien Grand-Rabbin du Royaume-Uni, d’Irlande et du Commonwealth citait John Donne, poète anglais du XVIe siècle. « Any man’s death diminishes me because I am involved in mankind…Therefore never send to know for whom the bell tolls; it tolls for thee.”
John Donne ne faisait d’ailleurs que reprendre le verset de la Bible “ Tu aimeras l’étranger comme toi-même, car tu as été étranger en terre d’Egypte » Lévitique XIX. 34

J’entends de-ci delà des gens qui voudraient réduire son combat tantôt à un irénisme angélique tantôt à une dangereuse naïveté ou bien encore à un cynique calcul. Peu importe ! Madame Merkel, vous étiez là au bon moment, à la bonne place et avec les bons réflexes et au bon combat. Outre le fait qu’il s’agit au mieux de critiques imbéciles venant d’esprits que la raison aurait déserté, au pire de dangereux barbares engoncés dans une xénophobie imbécile et peureuse (imbécile car peureuse ou peureuse car imbécile).

Pour cela je vous dis merci !

« L’Europe, et c’est sa chance, a fonctionné grâce au moteur franco-allemand »

Il n’aura échappé à personne que non seulement l’Europe prend un nouveau départ. Que les esprits embués et embrumés veuillent bien considérer et l’ampleur du geste et le pôle d’attraction que nous Européens avons la chance de représenter. L’on aura beau se gausser des dissensions et dissensus européens, l’on se rappellera la violence des affrontements entre les agriculteurs français et le reste de la population. L’on se rappellera aussi le peu d’enthousiasme suscité par la taxe de péréquation des communes en France ou tout simplement de la rapidité avec laquelle nombre de communes françaises accueillent l’obligation de construire des logements sociaux dans leur commune. L’Europe, et c’est sa chance, a fonctionné grâce au moteur franco-allemand. L’objet de ces lignes n’est pas d’établir qui est le pilote, qui est le copilote. Il y avait jusqu’à présent un partage de leadership. L’Allemagne pratiquait parfois un « reluctant leadership ». Mais une des leçons de cette crise est de révéler que pour la première fois, en tout cas aussi nettement, l’Allemagne vient estamper durablement son rôle de leader dans un domaine qui relève de la vraie politique.
« L’objet principal de la politique est de créer l’amitié entre les membres de la cité. » Aristote

Et la France me direz-vous. Disons-le clairement et tristement. J’ai mal à ma France, fière et bienheureuse patrie des Droits de l’Homme, patrie du Siècle des Lumières, patrie ou a éclos le superbe texte de Condorcet sur le salut du genre humain. J’ai mal à ma France, ce si beau pays qui seul pouvait susciter le génie de Victor Hugo.
J’ai mal à ma France de ne s’être ralliée que tardivement à l’Allemagne marquée au sceau du romantisme et au sceau infamant et morbide de son avatar si proche : la barbarie nazie.

Madame Merkel, lorsque vous recevrez le prix Nobel de la Paix, vous, la réfugiée de la RDA, pourrez être fière de vous ! En grâce, j’aimerais que vous soyez aussi fière de nous. Vous penserez aussi que les descendants – dont je suis – de 6 millions d’êtres humains regretteront amèrement que vous ne fussiez alors Chancelière.

Leo KELLER
(février 2017)