Comme tout parti, le FN est intégré à un « écosystème » international. Pour des raisons liées à son développement, comme la nécessité de financements ouverts par le fait de disposer d’un groupe parlementaire européen, le Front National travaille à la définition de son espace européen. La Fondation Jean-Jaurès a présenté l’analyse de l’historien Nicolas Lebourg sur la stratégie du parti d’extrême droite français et sa représentation du monde, au sein du Parlement européen. Décryptage.
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Depuis le début de son mandat, Marine Le Pen a essayé de consolider ses partenariats stratégiques en Europe. Son principal objectif a été de composer un groupe parlementaire au sein du Parlement européen ayant une structure homogène, capable aussi d’exclure ceux considérés comme les plus radicaux, ou les moins présentables, ceux insérés dans une filiation fasciste affichée. Rien de surprenant, affirme Nicolas Lebourg, car son attitude s’inscrit dans la logique de tous les partis d’extrême droite populiste européenne depuis trente ans : pour eux, il est essentiel d’éviter « que leurs contacts internationaux ne leur valent d’être dénoncés comme fascisants auprès de leurs opinions nationales ». Préoccupation marketing, donc.
C’est ainsi qu’a été fondé le « Mouvement pour l’Europe des nations et des libertés » (ENL), groupe parlementaire né en octobre 2014, réunissant les eurodéputés du FN, de la Ligue du Nord italienne, du Parti de la Liberté d’Autriche (FPÖ) et du Vlaams Belang néerlandais.
Des alliés stratégiques
Tous les éléments d’expression antisémites étant évacués, la relation du FN avec le FPÖ autrichien se base sur l’idée qu’il faut rester attractifs pour tous les électeurs déçus de l’offre politique traditionnelle car, à gauche et à droite, « elle semblerait indifférenciée ». Ces deux partis nationaux populistes se soutiennent parce que la progression de l’un d’entre eux au niveau électoral sert l’autre pour affirmer que le « printemps patriote », une formule lepéniste, est arrivé en Europe.
Quant au parti Vlaams Belang néerlandais, Nicolas Lebourg explique qu’il s’efforce d’accentuer son caractère « néo-libéral » et qu’il revêt un racisme « islamophobe », une formule plus électoraliste, reprise par les souverainistes du FN et par la Ligue du Nord italienne qui, présidée par son nouveau leader Matteo Salvini depuis 2012, a oublié sa demande traditionnelle pour l’indépendance de la Padanie nord-italienne (une notion géographique inventée puisqu’un tel territoire n’a jamais existé historiquement) pour se concentrer sur « une opposition franche à l’immigration, à l’islam, à l’Union européenne, aux Roms et aux réfugiés » qui, selon lui, débarquent dans le sud italien depuis 2007.
En outre, en avril 2016 un eurodéputé d’Alternative für Deutschland (« Alternative pour l’Allemagne », AFD, fondé en 2013), le parti d’extrême droite allemand, a rejoint l’ENL pour favoriser financièrement le groupe, qui devrait percevoir grâce à cet apport une subvention plus élévée en 2017.
Aimantation pro-russe
Énormément de sujets les séparent, mais il y a un fil conducteur qui les unissent : l’islamophobie, le rejet de l’immigration extra-européenne et la revendication d’une démocratie plus directe. L’économie les relie aussi, sauf dans le cas du FN, car le parti français est le seul à adopter une vision nettement plus interventionniste de l’État. La question la plus pointue est pourtant : comment articuler leur idéologie « subversive » en s’intégrant au système ? D’après Lebourg, dans ce conglomérat, le Front National est dans une position médiane et, en raison de son ancienneté et de son succès électoral, sert de boussole aux autres.
Il y a, en outre, une question sur laquelle tous semblent converger : leur aimantation pro-russe. En fait, « dans 93% des votes de juillet 2014 à juillet 2015, les députés ENL ont voté contre les résolutions défavorables aux intérêts du Kremlin ». Cette sympathie pro-Poutine s’accompagne d’un vif intérêt pour le gouvernement hongrois de Victor Orbán. Et en fait, même s’il est facile de retrouver des divergences, le projet social de tous ces partis se rassemble. Certes, alerte l’expert, le discours social-interventionniste du FN ou social-populiste du FPÖ ne sont pas le signe d’un glissement « à gauche » de l’extrême droite mais plutôt qu’ils prônent un libéralisme « ethnicisé » leur permettant de désigner toujours un ennemi clair : si avant, c’était le communisme, aujourd’hui il s’agit de l’islam.
Resteront-ils ensemble ? D’après Nicolas Debourg, « la dénonciation de la crise migratoire et du caractère ‘post-démocratique’ de l’UE leur offre un socle revendicatif commun efficace » qui leur permettra d’essayer d’éluder toute dispute dans les années à venir. Ces deux éléments cherchent à éviter les polémiques historiques entre nationalistes européens de l’après-guerre. Ils se tournent cette fois vers un ennemi continental et commun.
R.G-L
octobre 2016
Pour aller plus loin :
► La politique étrangère du Front National (par la Fondation Jean-Jaurès)
► Le Front National et les relations internationales (par la Fondation Jean-Jaurès)
► Les « droites-extrêmes » en Europe : le panorama (par la Revue Civique)
► 4 livres sur un « problème » : l’extrême droite en France (par la Revue Civique)