La Russie a été au centre des discussions, en matière stratégique, aux États-Unis tout au long des dernières mois. Elle a fait la Une des journaux au cours de la campagne électorale présidentielle. Pour Nicolas Bouchet et Steven Keil, deux experts du German Marshall Fund of the United States, la Russie, avec ses actions en Syrie et en Ukraine et ses tentatives d’ingérence dans l’architecture de la sécurité euro-atlantique, s’est placée au centre de l’attention internationale et d’une méfiance américaine durable. Au lieu de devenir l’homologue respecté que Poutine désirait – et même si Donald Trump a affirmé sa proximité de vues avec le Président russe au cours de sa campagne – les positions de Vladimir Poutine auraient donc conduit, souligne les deux experts de ce think tank de haute qualité, à percevoir aux Etats-Unis la Russie comme un obstacle pour les objectifs américains dans le monde. Les actions menées par le Président russe auraient donc plutôt érodé la confiance des dirigeants américains (malgré le prisme pro-Poutine de Trump, largement évoqué par les médias, notamment en France). Voici le détail de cette analyse, qui apparaît à contre-courant des analyses faites sur la nouveauté du courant positif Trump-Poutine.
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La Russie, on le sait, aspire avec d’autre à un monde dît « multipolaire », dans lequel elle serait capable de jouer un rôle prédominant dans les hautes sphères d’influence, expliquent les deux experts. Elle veut surtout être acceptée comme une puissance incontournable dans la résolution des conflits internationaux et participer activement aux initiatives de politique étrangère, qui la relierait aux Etats-Unis. Toute la ligne d’action de Poutine, affirment les deux experts, vise à ce que les Etats-Unis reconnaissent la Russie comme son égal, en particulier en Europe.
Pourtant, puisque la géopolitique est toujours un jeu à plusieurs, la Russie ne pourra être, pour le prochain gouvernement américain, que l’une des priorités parmi d’autres. Même si l’intention de Poutine est toujours de démontrer que son pays peut agir seule en tant que grande puissance, les auteurs de l’analyse considèrent que Poutine n’y réussira pas. Il serait pour autant tout aussi erroné de surestimer le défi russe, que de le sous-estimer…
Certes, la Russie ne peut plus garder le rôle d’adversaire absolu qu’elle possédait aux temps de la guerre froide mais elle a bien la capacité de bloquer les initiatives internationales de l’Occident, ce qui a d’ailleurs encouragé Poutine, expliquent les auteurs, à prendre des décisions dangereuses en Syrie, en Géorgie et en Ukraine. D’après cette analyse, le succès russe se mesure non par sa capacité à se battre contre les objectifs américains mais par sa capacité à les compromettre. Nuance…
Un effort américain en Europe contre la Russie,
au détriment d’un effort américain en Asie contre la Chine ?
Il est certain que le comportement de la Russie constitue une menace pour l’Europe de l’Est qui, ses dernières années, a conduit les Etats-Unis à adapter leur stratégie dans la région (une situation qui s’est répétée, avec acuité, au Moyen-Orient). Poutine a poussé les Etats-Unis à augmenter leur présence militaire en Europe, ce qui ne peut-être que regrettable, ajoutent Bouchet et Keil, dans la mesure où cet effort se serait réalisé aux dépens de ressources destinées à faire face au défi considéré comme majeur, et à plus long terme, à savoir la menace que constitue la montée en puissance de la Chine en Asie et dans le reste du monde.
Même si la question russe reste importante, Nicolas Bouchet et Steven Keil estiment que la prochaine administration américaine n’aura pas le temps de la considérer comme une menace réelle, ni de traiter l’administration russe d’égal à égal: dans cette analyse (qui précédait les événements syriens et la « chute » d’Alep), il est rappelé que Donald Trump exprime des sentiments pro-russes et favorables à Poutine mais que personne ne peut vraiment prédire avec certitude quelle sera la politique étrangère de l’administration Trump.
Malgré l’état des relations assez tendues entre les deux puissances mondiales ces dernières années, il est probable que les diplomates américains essaieront de continuer de réengager la Russie sur certains dossiers communs, tels que la coopération antiterroriste. Il n’est surtout pas à exclure, en fait, une approche au cas par cas même si le niveau de méfiance continuera à être très haut des deux côtés, dans la mesure où les Etats-Unis ont plus ou moins renoncé à attendre des progrès significatifs avec la Russie, tant que Poutine en sera le Président.
Les actions menées par le leader russe en tant que partenaires stratégiques ont donc plutôt érodé, en tendance lourde et ironie du destin, la confiance des dirigeants américains d’un point de vue général. Certes, les Etats-Unis poursuivront bien sûr leurs relations avec la Russie, bien sûr la nouvelle donne Trump pourra jouer mais, la note précise que les Etats-Unis pourraient ne pas changer fondamentalement leur approche : ils continueront à considérer le pouvoir russe comme une administration dysfonctionnelle et même temporaire. Les efforts des Etats-Unis se concentrant sur une minimisation des dégâts provoqués par la Russie. Sans espoir (ou sans illusion) d’une amélioration, dans le court terme.
Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ
(novembre 2016)
Pour aller plus loin :
► Dix contentieux entre la Russie et l’Occident
► L’analyse du géopolitologue Dominique Moïsi dans les Echos : « Tenons-nous à distance de Poutine »
► La tribune de Jean-Pierre Filiu sur « l’impérialisme russe » qu’il faut désigner