Des voix juives de France, de plus en plus fortes, s’élèvent contre les dérives de l’extrême droite israélienne

Le journal Le Monde a relevé, dans son édition du 13 mai, la montée en puissance des expressions publiques de personnalités juives françaises, prenant clairement position pour dénoncer la situation à Gaza et les déclarations des alliés d’extrême droite du gouvernement de Benyamin Netanyahou. La journaliste de ce quotidien, Louise Couvelaire, écrit ainsi que « bravant ce qu’elle décrit comme une  »injonction au silence » et le faisant par  »amour d’Israël », l’essayiste et rabbine Delphine Horvilleur a dénoncé, dans une tribune (du 8 mai), la « déroute politique » de l’Etat hébreu. Sont cités aussi la journaliste Anne Sinclair, l’historien Marc Knobel (membre du conseil éditorial de la Revue Civique), ainsi que d’autres personnalités de renom, tel le philosophe Alain Finkielkraut, qui s’élève fortement aussi contre les décisions du gouvernement israélien. Voici quelques extraits de cet article.

Ce n’était qu’une « question de temps avant que les divisions et les déchirures internes à Israël se répercutent sur les diasporas juives et donc les Français juifs », estime le philosophe Alain Finkielkraut. Une question de temps, surtout, avant que ces « déchirures » s’expriment publiquement. Dans une tribune intitulée « Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire », publiée dans Tenoua, la revue dont elle est directrice, la rabbine Delphine Horvilleur dénonce la « déroute politique » et la « faillite morale » du gouvernement de l’Etat hébreu et appelle à un « sursaut de conscience » face à la « tragédie endurée par les Gazaouis ».

« Il me semble urgent de reprendre la parole par amour d’Israël », écrit Delphine Horvilleur

« Je me suis tue mais aujourd’hui il me semble urgent de reprendre la parole (…) par amour d’Israël », écrit-elle dans un texte salué dans la foulée par le dessinateur Joann Sfar sur X et Instagram. « Nous devons être nombreux à prendre la parole contre la fuite en avant à laquelle nous assistons. (…) Nos représentants ne doivent plus rester silencieux. »

La journaliste Anne Sinclair s’est également exprimée en ce sens sur Instagram, le 8 mai : « Nous sommes meurtris, déchirés, par l’action que mène le gouvernement israélien à Gaza. (…) La forme des actions que mène l’armée israélienne à Gaza à la demande du gouvernement de Netanyahou est indéfendable. » Et ajoute : « Nous nous sommes tus, car l’antisémitisme qui gagne du terrain (…), nous a contraints à faire bloc », puis : « Les juifs ont trop souffert pour ne pas supporter qu’on fasse du mal en leur nom. »

Le même jour, dans les colonnes de L’Express, l’historien spécialiste de l’antisémitisme Marc Knobel écrivait: « Mon engagement en faveur de l’existence d’Israël, dans la paix et la sécurité, n’a jamais faibli. Pourtant, au vu de la situation actuelle, je suis convaincu que les juifs établis à l’étranger ont non seulement le droit mais aussi le devoir de s’exprimer ».

Le 11 mai, dans La Tribune Dimanche, un collectif de 45 historiens, philosophes, sociologues et membres de l’Académie française, « français, laïcs, républicains, de toutes opinions », de confession juive ou pas, parmi lesquels le réalisateur Michel Hazanavicius et l’écrivain Erik Orsenna, a interpellé l’Europe, le Royaume-Uni et toutes les grandes démocraties, afin qu’ils agissent pour la paix, se disant « révoltés par le sort fait aux Palestiniens, inquiets pour l’âme d’Israël » et dénonçant le « gouvernement Netanyahou et ses ministres, la plupart d’extrême droite », qui « attaquent la démocratie israélienne et son Etat de droit ».

Le désastre annoncé du plan israélien à Gaza

Marc Knobel évoque, dans le climat actuel de la radicalisation des positions, la difficulté à prendre la parole sur cet enjeu: « Nous savons à quelle violence nous nous exposons, de part et d’autre, il n’y a qu’à voir la façon dont La France insoumise se déchaîne contre Delphine Horvilleur. » L’historien fait notamment référence aux messages postés sur X par certains « insoumis » tels que l’eurodéputée Rima Hassan, qui accuse la rabbine de vouloir se « racheter une conscience », ou encore le député de Seine-Saint-Denis Thomas Portes, qui dénonce une « opération de communication ».

Au sein de la communauté juive, certains tentent (notamment à l’encontre d’Anne Sinclair) un procès en « traîtrise » ou en « indécence » . « Je ne critique jamais Israël, c’est le prix à payer pour avoir choisi de ne pas y vivre », disait l’écrivain et Prix Nobel de la Paix Elie Wiesel maintes fois cité, relève Le Monde, par ceux qui ne cautionnent pas la démarche des esprits critiques à l’égard du gouvernement israélien. « Cet état d’esprit joue encore beaucoup et explique beaucoup du silence au sein des diasporas juives », souligne Alain Finkielkraut.

« Nous n’avons pas le droit de nous taire. Nous devons simultanément combattre le nouvel antisémitisme et dénoncer les répugnants fanatiques qui mènent Israël à sa perte », déclare Alain Finkielkraut

« C’est à la démocratie israélienne de répondre à ces questions, à elle de se prononcer sur la politique du gouvernement israélien, a estimé Yonathan Arfi, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Nous sommes par ailleurs très sensibles aux risques d’instrumentalisation et de récupération de nos propos, ce qui nous amène à une certaine prudence et à de la mesure. Mais cela ne nous a pas empêchés de prendre nos distances avec Bezalel Smotrich [ministre des finances israélien d’extrême droite] il y a deux ans déjà. Nos valeurs démocratiques nous tiennent à distance de ses déclarations, anciennes et récentes. » Yonathan Arfi a tenu à rappeler que le Crif était « garant à la fois de l’unité et de la pluralité des associations et institutions juives » et rappeler dans un édito « Le monde juif n’est ni une meute, ni une secte », « quelques principes pour que les débats qui animent le monde juif ne soient jamais un trophée pour les antisémites ».

Le 6 mai, interrogé lors d’un colloque sur sa vision de l’après-guerre à Gaza rappelle Le Monde, cet homme politique israélien, fondamentaliste religieux, a affirmé que la bande de « Gaza serait totalement détruite » à l’issue de l’offensive menée par l’Etat hébreu dans l’enclave palestinienne. Il a également affirmé que la population gazaouie, après avoir été déplacée vers le sud, commencerait à « partir en grand nombre vers des pays tiers ». Dans les jours qui ont précédé, Tel-Aviv avait annoncé le lancement d’un plan visant à étendre ses opérations militaires dans la bande de Gaza pour une « durée significative ».

« Sans aucune concertation, nous avons, les uns et les autres, réagi à la suite de ces prises de parole insupportables », explique Marc Knobel. « Avec sa volonté d’éradiquer le Hamas, le gouvernement de Benyamin Netanyahou mène une guerre atroce, refuse toutes les propositions de cessez-le-feu et sacrifie délibérément les otages », dénonce Alain Finkielkraut, qui parle de « deux Israël irréconciliables », de « deux judaïsmes irréconciliables ». « Cette brutalisation déshumanise et déjudaïse Israël. En tant que juifs, nous n’avons pas le droit de nous taire. Nous devons simultanément combattre le nouvel antisémitisme et dénoncer les répugnants fanatiques qui mènent Israël à sa perte. »

Dans L’Express (le 8 mai), Marc Knobel écrivait notamment, à l’encontre du « plan » avancé par l’extrême droite israélienne concernant Gaza: « Lorsqu’une telle politique est planifiée ou répétée, elle relève également de la catégorie des crimes contre l’humanité. En définitive, l’idée d’anéantir un territoire civil et de contraindre sa population à l’exil, telle qu’exprimée par Smotrich, va à l’encontre des principes fondamentaux du droit international. De telles mesures ne sauraient être justifiées par des arguments militaires et doivent être rejetées avec la plus grande fermeté ».

L’essayiste et historien ajoute: « J’ai consacré ma vie à combattre l’antisémitisme et l’israélophobie. Mon engagement en faveur de l’existence d’Israël, dans la paix et la sécurité, n’a jamais faibli. Pourtant, au vu de la situation actuelle, je suis convaincu que les juifs établis à l’étranger ont non seulement le droit, mais aussi le devoir de s’exprimer. » Un droit et un devoir que partage la Revue Civique.

(13/05/25)

Marc Knobel, historien et essayiste, s’insurge contre les dérives extrémistes en tous genres. Y compris quand elles sont portées par l’extrême droite israélienne. « Au vu de la situation actuelle, écrit-il dans L’Express, je suis convaincu que les juifs établis à l’étranger ont non seulement le droit, mais aussi le devoir de s’exprimer. »

-La tribune complète de Marc Knobel dans L’Express: face à la radicalisation du gouvernement israélien, « les juifs ne peuvent plus se taire »