Comment la haine antisémite a déferlé en France: retour sur l’origine du mal, l’intifada de 2000. Par l’historien Marc Knobel

Alors que nous assistons à une flambée des actes antisémites, retour sur les premiers temps de la contagion d’une haine antisémite en France. Que s’est-il passé à la fin de l’année 2000 ? L’historien et essayiste Marc Knobel précise, pour La Revue Civique, comment à partir du  début de la seconde Intifada à la fin septembre 2000, une violence antijuive a déferlé en France de façon quasi simultanée pour s’enraciner par la suite.

Depuis le 7 octobre 2023, les derniers chiffres nationaux répertoriés par le ministère de l’Intérieur font état de « 460 signalements pour des actes antisémites ». Ils ont donné lieu à « 214 interpellations », en deux semaines. Sur Internet, « 3 500 signalements » ont par ailleurs été enregistrés par la plateforme Pharos. Ces chiffres sont considérables et particulièrement inquiétants. Or, les journalistes qui m’interrogent sur ce sujet, me demandent d’expliquer si cette augmentation des actes est forcément liée à la guerre actuelle qui voit s’affronter Israël et le Hamas. Dans mes réponses, je remets brièvement en perspective historique ce sujet. Car ces violences antisémites débutent au tout début du mois d’octobre 2000 [1].

Dans cet article, nous revenons sur les premiers instants de cette déferlante antijuive, qui ne s’est pas démentie par la suite, notamment lors des conflits qui se sont déroulés entre Israël et le Hamas, en 2002, 2004, 2009, 2012, 2014, 2015, 2019 et 2021. Faisons donc un peu d’histoire et racontons les premières semaines de cette contagion antijuive.

Que se passe-t-il en octobre 2000. Quels actes et quelle violence antisémite ?

Le 1er octobre 2000, des fidèles sortent de la synagogue d’Aubervilliers. Une petite voiture de couleur blanche se met alors à foncer brusquement sur eux. Les gens s’écartent, il n’y a aucun blessé, et la voiture s’éloigne rapidement. La police, prévenue, se rend sur place mais repart très vite. Quelques heures plus tard, les fidèles présents dans la synagogue sont aspergés de liquide, projeté depuis l’aire de jeux mitoyenne. Affolés, ils sortent paniqués.

D’autres agressions du même type vont secouer la communauté juive, ponctuellement, régulièrement, durablement, faisant des lieux de culte et d’écoles, des fidèles, de certains responsables ou membres de la communauté juive autant de cibles terriblement vulnérables. Dans la semaine du 2 octobre 2000, une synagogue du XIXe arrondissement de Paris reçoit des menaces et des insultes téléphoniques. Une bouteille incendiaire est lancée dans l’enceinte de la synagogue. Dans la nuit du 3 au 4 octobre, un engin incendiaire est projeté sur celle de Villepinte. Les 4 et 5, des élèves se font agresser à la sortie de l’école Ohr Yossef, dans le XIXe arrondissement de Paris. Le vendredi 6, des jeunes de l’école juive Gaston-Tenouji de Saint-Ouen reçoivent des pierres et sont insultés. Le 7, un cambriolage à lieu à la synagogue de Bagnolet.

Un cocktail Molotov est lancé le même jour dans un restaurant casher parisien. Et, durant l’office, un inconnu en dépose un autre à l’intérieur de la cour de l’école Chnei Or d’Aubervilliers. Un jeune fidèle éteint in extremis l’engin incendiaire. Le dimanche 8, ce même type d’explosif atteint la synagogue de Clichy-sous-Bois, tandis qu’au cimetière de Trappes, les tombes juives sont profanées, les veilleuses arrachées et des pots de fleurs cassés. Le même jour, trois cocktails Molotov sont lancés sur la synagogue des Ulis. Le premier niveau de la synagogue est entièrement ravagé, le rabbin monte au premier étage et échappe ainsi à la mort. À Trappes toujours, la synagogue est complètement dévastée par un incendie. Quelques jours plus tard, le rabbin de la synagogue de Creil est victime d’injures racistes.

Deux engins incendiaires sont lancés contre l’édifice, et plusieurs fidèles, à la sortie de l’office, sont la cible d’injures racistes. Le lendemain, deux appartements sont incendiés à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). À Paris, une personne qui portait un pendentif se fait agresser et frapper par un homme « de type nord-africain », près de la station de métro Pyrénées. Dans la nuit du 12 au 13 octobre 2000, un ou plusieurs individus cassent deux vitres de la synagogue de Bondy et lancent un ou plusieurs engins incendiaires dans la synagogue. Une pièce de 30 m² brûle entièrement.

Les synagogues (ici celle d’Epinal) doivent malheureusement être protégées, aujourd’hui en France, par la police nationale. Après le 7 octobre 2023, 460 signalements pour actes antisémites en seulement 15 jours !

Dans la capitale, la porte d’une synagogue du XXe arrondissement est incendiée à une heure du matin. Le soir, un cocktail Molotov est lancé sur l’école Tenouji de Saint-Ouen, au moment même où dix personnes cagoulées (un commando) et armées de battes de baseball et de barres de fer lancent des pierres et incendient la porte d’un particulier de Choisy-le-Roi en jetant un objet incendiaire.

Quarante personnes scandent des slogans antisémites dans le XIXe arrondissement de Paris dans la nuit du 13 au 14 octobre 2000, aux alentours de 22 h 30. Deux personnes portent sur elles des cocktails Molotov. L’un des deux meneurs est appréhendé. À la même heure, deux bouteilles incendiaires sont lancées sur la synagogue de Chevilly-Larue ; ils ne provoquent que des dégâts mineurs. La police a été prévenue par un coup de téléphone. Les policiers trouvent des objets explosifs qui n’ont pas été allumés. Plus tard dans la nuit, des jets de pierre sont projetés contre la synagogue de Bagnolet. La nuit précédente, déjà, elle avait été la cible de jets de pierres. À Villeneuve-la-Garenne, près de Paris, les incidents se multiplient : injures et menaces, agressions de fidèles rentrant chez eux après l’office, jet de pots de fleurs sur les fidèles depuis des appartements. Trois personnes sont poursuivies par des jeunes cagoulés, qui leur jettent des pierres et profèrent des injures antisémites.

Dans la nuit du 15 au 16 à Meudon, deux cocktails Molotov sont lancés contre la synagogue, qui fait également office de centre communautaire. L’un explose, l’autre pas. Quelqu’un qui se trouvait là aurait crié « Allah Akbar », avant d’être arrêté par la police pour interrogatoire.

La typologie des actes (cibles et lieux)

Tous ces faits tragiques ont été relevés ou relatés brièvement par la presse de l’époque. Pour la période sensible du 1er au 25 octobre 2000, nous avons relevé une cinquantaine d’agressions intervenues à Paris et en région parisienne. Le premier indicateur concerne la répartition des actes violents commis au cours de ces trois semaines : 6 incendies; 18 jets de cocktails Molotov; 7 agressions physiques; 12 jets d’objets; 1 tentatives d’incendie; 6 saccages, soit un total de 50 actions violentes.

Ce sont donc les jets de cocktails Molotov comme d’autres projectiles lancés sur des écoles ou synagogues qui priment.

Le second indicateur concerne cette fois les répartitions par types de cible : 37 synagogues, écoles visées; 5 biens privés; 1 cimetière profané (au total, 43 cibles).

Dans un troisième indicateur, la répartition géographique des actes et agressions antisémites est donnée. Il permet de voir avec un peu plus de précision que c’est notamment dans l’est parisien – les XIXe et XXe arrondissements –, où se concentrent des populations multiethniques, qu’a lieu le plus grand nombre d’agressions antijuives [2].

Sur les 14 actes antisémites commis durant cette période dans le XIXe arrondissement, on compte notamment 3 menaces, 3 insultes, 3 jets d’objets, 2 jets de cocktail Molotov, 1 agression physique, 1 saccage et 1 dépôt d’objet incendiaire.

En banlieue, c’est en Seine-Saint-Denis que les agressions antijuives sont les plus élevées : 14 actes, dont 7 sont constitués par des jets de cocktail Molotov et 3 par des jets d’objets contondants. Ce département est suivi de près par le Val-de-Marne, 10 agressions antijuives y ont lieu, dont 3 incendies et 2 agressions physiques. Mais, que ce soit à Paris ou en banlieue, le paroxysme est atteint entre le mardi 10 et le mardi 17 octobre 2000.

Conclusion provisoire

Finalement, en un an (octobre 2000 – novembre 2001), les violences se sont enracinées sur le territoire national. Les pouvoirs publics d’alors, comme je l’écrivais dans un article que je publiais dans les pages « Rebonds » de Libération [3], en 2001, ont fait preuve de mollesse devant les agressions antijuives qui se sont multipliées et je reviendrais sur ce sujet, ultérieurement. J’écrivais alors, « Il y a fort à parier que les agressions commises continueront ».  Elles se sont poursuivies et aggravées – O ! combien – depuis.

Marc KNOBEL, historien et essayiste.

(23/10/2023)

Marc Knobel, est un chercheur infatigable sur les racines du mal antisémite en France et dans le monde.

[1] La seconde Intifada se déclenche fin septembre 2000, à la suite de la visite d’Ariel Sharon (à cette époque chef du Likoud et dans l’opposition) sur l’Esplanade des Mosquées, le 28 septembre 2000. Cette visite est interprétée comme une provocation par les Palestiniens.

[2] Voir à ce sujet, Marc Knobel, Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013, Berg International éditeurs, 2013, 350 pages.

[3] Marc Knobel, « Trop de silence face à la flambée antisémite », Libération, 12 novembre 2001.