Yvan Glasel

[EXTRAIT] À la présidence de la mutuelle La France Mutualiste – mutuelle ouverte au public mais historiquement liée aux Anciens combattants – Yvan Glasel évoque aussi, pour la Revue Civique, son parcours personnel d’Ancien combattant en Algérie, et d’enfant qui a aussi connu, par son père, l’épreuve de l’Occupation allemande et de la déportation d’une partie de sa famille, originaire de l’Est de l’Europe. Le devoir de Mémoire, la promotion de l’esprit de Défense et des valeurs d’engagement civique sont donc, naturellement, au cœur de ses réflexions et des actions de la fondation, récemment lancée par La France Mutualiste. Entretien.

La REVUE CIVIQUE : C’est aussi en tant qu’Ancien combattant que vous êtes à la présidence de La France Mutualiste. Quelle est, en résumé, votre histoire personnelle en ce domaine ?
Yvan GLASEL : Il faut d’abord préciser que La France Mutualiste existe depuis longtemps, bien avant que j’en sois le Président : elle a été la transformation d’une ‘Société de Secours Mutuels’ créée le 17 mai 1891 par Léon Guillot à Paris, dans le quartier des Halles. Cette ‘Société de Secours Mutuels’ qui s’appelait « La Boule de Neige » avait organisé un système de cotisations et de prestations retraites pour les artisans, les ouvriers, les commerçants et les professions libérales afin qu’ils s’assurent une fin d’existence à l’abri du besoin.
Puis, la guerre de 14-18 est survenue. Et, en 1923, le Gouvernement de l’époque a créé la Retraite Mutualiste du Combattant. Elle avait pour objet d’aider les Anciens Combattants et Victimes de Guerre à préparer leur retraite ; il n’existait pas encore de système de retraite universelle. La formule était alors : « Aide-toi, le Ciel t’aidera ! Si, toi Ancien combattant, tu épargnes, l’État t’aidera à hauteur de 25 % ». « La Boule de Neige » s’est transformée en « La France Mutualiste », qui était jusqu’alors le nom de leur revue mensuelle.

Cela représentait énormément de monde, les Anciens combattants, en 1923 !
Il ne faut en effet pas oublier que près de 8 millions d’hommes ont été appelés sous les drapeaux de 1914 à 1918. Cela faisait beaucoup de monde, beaucoup d’ouvriers agricoles ou d’ouvriers car les combattants de 14-18 étaient surtout des ruraux, comme 80 % des Français.
C’est eux que l’on a appelés la « première génération du feu » ; les Anciens combattants – notamment les invalides – disaient : « Nous avons été vainqueurs de la guerre, nous ne voulons pas être les vaincus de la paix ». Clémenceau avait d’ailleurs déclaré solennellement à propos des Anciens combattants : « Ils ont des droits sur nous ».

Affecté en Grande Kabylie

La France Mutualiste est constituée dans sa forme actuelle sur de nombreux points comme en 1925. Les premiers Présidents n’étaient pas des Anciens combattants, mais ceux-ci ont progressivement investi La France Mutualiste, pour en devenir les seuls adhérents. Depuis 1932, tous les Présidents de La France Mutualiste sont des Anciens combattants.

Et vous, comment avez-vous servi la France ?
J’ai d’abord été chasseur alpin en France à Bourg- Saint-Maurice au 7e BCA, puis à Grenoble au 6e BCA, où j’ai fait mes classes pendant 4 mois ; puis j’ai été à l’école d’Officiers de Cherchell en Algérie avant d’être affecté en Grande Kabylie pendant 8 mois et demi sur deux pitons : Kef el Ogab (le nid de l’aigle) et Sebaou-el Kedim. Puis, j’ai été affecté au maintien de l’ordre à Alger, à Bab El Oued, avant de passer six mois, pour terminer, sur la dernière base atomique terrestre française terrestre où étaient effectués des tirs nucléaires, à In Ecker dans le sud du Sahara. J’étais chef du service d’études de la radioactivité.

Des postes importants en zones sensibles… Vous avez aussi été, à titre personnel, touché par le conflit de la Seconde Guerre mondiale…
Par mon père, oui. Originaire d’Europe centrale, il s’est engagé comme volontaire en septembre 1939 dans l’armée tchécoslovaque de France basée à Agde, il a combattu sur le front dans la Somme. J’ai appris récemment que son régiment était appelé « régiment ficelle » car les soldats de ce régiment n’avaient pas de dragonne en cuir mais de simples ficelles pour porter leurs armes…
Il a été démobilisé en août 1940, il n’a pas été fait prisonnier de guerre, au grand regret de ma mère car, en liberté, elle considérait qu’il était plus vulnérable. J’ai assisté à son arrestation le 1er mars 1943 par la Feldgendarmerie, à Villeurbanne, je m’en souviens très bien : j’avais 7 ans. Il était tôt le matin et mon père était en train de ressemeler nos chaussures. J’étais un petit blondinet, les Allemands me passaient la main dans les cheveux.

Des wagons à bestiaux pour mon père

Ils ont proposé à mon père d’être interprète à l’aérodrome de Bron, à côté de Lyon, car mon père parlait bien allemand. Ma mère l’a incité à accepter. Mais mon père a refusé et a demandé à ma mère de préparer sa valise. Le convoi des hommes arrêtés s’est formé dans une gare qui n’existe plus à Villeurbanne, la Gare de l’Est : c’était un train des wagons à bestiaux. Sur le quai, mon père a dit à ma mère : « Je reviendrai bientôt ». Les Allemands l’ont entendu et ont dit qu’il se faisait des illusions.

Savait-il vers où il partait ?
Non, il partait vers le camp de transit de Compiègne d’abord, puis vers Buchenwald. Il y avait des petits jeunes de 18-19 ans ; mon père, lui, était un « ancien » : il avait 35 ans quand il est tombé dans cette rafle. Ces jeunes étaient impétueux. Certains ont dévissé les grilles et sauté du train dès la sortie de Lyon, vers Trévoux, le long de la Saône. Les trains roulaient environ à 50 km/heure, il faisait nuit. Certains se sont tués sur les poteaux ou en tombant très mal.
Mon père, lui, a fait équipe avec un officier d’aviation qui était en permission chez ses parents au moment de la rafle, Ambrosi. Ils se sont dit qu’ils allaient attendre la première gare pour voir s’il y avait possibilité de s’échapper dans de bonnes conditions. À la gare de Mâcon, ils ont vu qu’il y avait un wagon devant, un wagon derrière, comportant des projecteurs, des chiens, des soldats armés, il n’était donc pas possible de s’enfuir. Dix kilomètres plus loin, ils ont défait les grilles et ont sauté sur le ballast. Sur les poteaux le long de la voie ferrée, il y avait des petites affichettes indiquant que toute personne qui recueillerait des évadés, encourait la peine de mort. Mais ils n’avaient pas le choix, ils se sont donc approchés d’une ferme isolée, celle de M. Sauvageot, le Maire de Saint-Martin- Belle Roche, qui les a accueillis tous les deux, nettoyés, soignés et nourris pour qu’ils puissent repartir aussitôt et tenter de rentrer chez eux.

Jamais revenus de déportation

Mon père est revenu à Lyon au bout de 24 heures, dans un tender de locomotive avec des cheminots résistants jusqu’à Lyon Vaise. De là, il a marché jusqu’à Villeurbanne, chez notre médecin de famille, le Dr Damidot(1), qui l’a hébergé. En tant que médecin, ce dernier avait un laissez-passer pour le couvre-feu ; il a pu venir voir ma mère pour lui dire que mon père était sain et sauf mais qu’il fallait quitter Lyon. Nous avons rejoints la Haute-Loire.
Moi-même, bien plus tard, j’ai été appelé comme deux millions de Français sous les drapeaux, pour participer à la guerre d’Algérie. Ce n’est pas, en soi, un exploit, ni un haut-fait. La famille de mon père, elle, qui était restée en Europe Centrale pendant la Deuxième Guerre mondiale a, pour sa part, vécu des choses encore plus dures. Certains ont été arrêtés et déportés. Nous les avons attendus à la fin de la guerre mais la plupart d’entre eux ne sont jamais revenus. Le frère de ma mère a déserté de l’Armée hongroise, alliée de l’Allemagne, pour rejoindre l’Armée rouge et une unité de Mongols.

Le « devoir de Mémoire », vous le portez personnellement et familialement. Comment aujourd’hui, porter ce devoir auprès des publics qui peuvent être loin (chronologiquement) de ces époques et, vers les plus jeunes, qui ignorent même parfois l’atrocité de ces périodes ?

Pour lire la suite : se procurer la Revue Civique 13

Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET
(In La Revue Civique n°13, Printemps 2014)  

1) Le Dr Damidot a été abattu par les Allemands en 1944 au moment de leur débâcle.

Prix « Grand Témoin »

La France Mutualiste, dans sa vocation à promouvoir le devoir de Mémoire et l’esprit civique de Défense, soutient diverses actions et organise, chaque année, des « Prix Grand Témoin », qui honorent des auteurs de livres, dédiés à de grands moments d’Histoire. L’édition 2013 de ces Prix a eu lieu à la Présidence de l’Assemblée Nationale, fin novembre 2013. Tous les livres en compétition concernaient, cette année, la Première Guerre mondiale, et cette cérémonie ouvrait les commémorations du Centenaire de la Guerre 14-18.

Trois Prix ont été remis, à cette occasion : le premier récompensait « Pour Genevoix » de Michel Bernard (La Table Ronde) ; le second, Prix Jury Junior, distinguait « La Grande Guerre. Carnet du Centenaire », d’André Loez et Nicolas Offenstadt (Albin Michel) ; le troisième, Prix spécial des Jurys, honorait le livre « Tromper l’ennemi, l’invention du camouflage moderne », de Cécile Coutin (Édition Pierre de Taillac ; Ministère de la Défense). Voir plus loin, la présentation de ce livre original par l’auteur.