Présidente de l’ANAJ-IHEDN (Association nationale des Auditeurs jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense nationale) depuis juin 2016, Ingrid Lamri est diplômée d’HEC Paris et de Sciences Po Paris. Elle cofonde la startup Monkey tie durant ses études puis contribue durant plus de deux ans au développement de l’agence d’innovation FABERNOVEL INNOVATE. Ingrid Lamri est également officier de réserve dans la Marine et passionnée par le secteur énergétique. Elle répond aux questions de La Revue Civique, notamment sur son engagement à l’ANAJ-IHEDN, sa passion pour les enjeux de sécurité/Défense ainsi que sur le lien armée-nation.
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La Revue Civique : Qu’est-ce qui a fait « déclic » chez vous, en terme d’engagement, pour vous intéresser fortement aux enjeux de Défense et vous impliquer sur ces sujets ?
Ingrid Lamri : L’Armée, je l’ai découverte lors de mon intégration à HEC où j’ai eu la chance de suivre un stage « Leadership et esprit d’équipe » : un séminaire d’une semaine à Saint Cyr, destiné à fédérer la nouvelle promotion et surtout à « vivre » le leadership. Cette expérience a été un réel électrochoc : j’ai vraiment eu l’impression de me trouver dans un univers parallèle !
Surtout, c’est grâce à cette première expérience que j’ai découvert les valeurs profondes de l’armée : la loyauté, le respect, l’esprit de corps et bien sûr l’engagement. J’étais très impressionnée par ces jeunes officiers qui avaient mon âge et m’expliquaient qu’ils avaient choisi cette voie pour servir leur pays. C’est suite à cette expérience que j’ai sauté sur l’occasion de mieux comprendre ce qu’était « l’esprit de défense » et le fameux lien « armée – nation » en suivant le séminaire « Grandes écoles » de l’IHEDN à la fin de mes études. Ces séminaires, sont une réelle opportunité pour rencontrer des jeunes de la France entière, avoir la chance d’échanger avec des intervenants civils ou militaires de haut niveau et surtout contribuer à la réflexion stratégique sur des sujets d’actualité, au travers de groupes de travail. C’est cette dernière partie qui m’a le plus plu : cela reste encore assez rare de demander à des jeunes de plancher sur des sujets complexes et d’écouter leurs recommandations parfois pertinentes et souvent originales !
Suite à ces séminaires, le cheminement logique est d’intégrer l’ANAJ-IHEDN, association des jeunes de l’IHEDN, afin de pousser les réflexions sur les questions de Défense et de rencontrer davantage de jeunes sensibilisés à ces thématiques. Passionnée depuis longtemps par le secteur énergétique, j’ai souhaité créer le Comité « Énergies », qui réunit aujourd’hui environ 80 membres et sensibilise les jeunes aux questions de souveraineté énergétique et de transition énergétique. À l’ANAJ, j’ai découvert une communauté très unie, composée pour l’essentiel de jeunes âgés de 20 à 35 ans et désireux de contribuer à la réflexion stratégique sur les questions de défense, de sécurité et d’engagement de la jeunesse. Nous sommes aujourd’hui près de 2 000 membres et organisons environ trois événements par semaine dans toute la France, une véritable « machine de paix » !
C’est encore suite à des rencontres et des échanges passionnants avec des militaires et des civils que j’ai suivi la Préparation Militaire d’Estienne d’Orves au sein de la Marine nationale. J’avais effleuré l’engagement militaire lors de mon stage d’une semaine à Saint Cyr. Lors de cette PMS d’un an, je l’ai vécu à 300%. La patrie, l’esprit d’équipage… toutes ces notions très abstraites se sont soudainement ancrées dans la réalité.
Aujourd’hui présidente de l’ANAJ-IHEDN, je ne peux qu’encourager les jeunes à vivre à leur manière leur engagement : celui-ci n’est pas forcément synonyme d’engagement militaire, il peut être politique, associatif, local… Il peut mûrir avec les années ou arriver comme une évidence, qu’importe ! Je découvre tous les jours des parcours de membres extraordinaires qui s’engagent sans finalement s’en rendre compte et parfois malgré eux : nos membres ont souvent des études ou un emploi très prenants, parfois une famille. Ils ne s’investissent pas à l’ANAJ parce qu’ils s’ennuient, mais souvent parce que c’est une évidence pour eux de contribuer à l’effort collectif. C’est ça que je trouve le plus fort !
Rétrospectivement, je me rends compte que l’engagement n’a pas été le fruit d’une décision murement réfléchie. Je n’ai pas effectué une étude de marché des différents sujets qui pourraient m’intéresser à vingt ans ! Ça a été un cheminement, une série de rencontres, de remises en question et d’échanges qui m’ont permis de construire petit à petit cet engagement. Une seule chose toutefois me semble indispensable : il faut accepter que les choses ne viennent pas toutes seules, que les opportunités sont à saisir et parfois à créer. Cela m’a toujours semblé naturel d’agir pour ce que je voulais et pour ce en quoi je croyais.
La Revue Civique : Qu’est ce que les participants aux Séminaires Jeunes d’une semaine organisés par l’IHEDN attendent et peuvent retirer de ces formations ?
Ingrid Lamri : Ces séminaires sont une expérience assez exceptionnelle. Imaginez-vous partir volontairement durant une semaine sur une base militaire ou dans un centre de formation, avec 80 autres jeunes venus de la France entière et provenant de parcours variés, pour approfondir vos connaissances sur les grands enjeux et défis de la défense.
C’est une expérience humaine très forte : lorsque les participants se retrouvent quelques années plus tard lors des afterworks ou conférences organisés par l’ANAJ, ils se tombent dans les bras comme de vieux amis d’enfance. C’est intense parce qu’on vit ensemble H24 durant une semaine et parce que les jeunes sont missionnés : on leur demande de réfléchir à une thématique stratégique sur laquelle on a besoin de leurs lumières. Cela peut paraitre insignifiant, mais lorsque vous avez 20 ans et qu’un Général vous explique qu’il compte sur vous pour faire avancer la réflexion sur un sujet, qu’il a besoin du regard des jeunes pour traiter d’un enjeu, cela responsabilise le groupe ! Durant nos études, il est courant que des exposés soient commandés par des professeurs mais ces réflexions ne finissent en général pas leur course sur le bureau du grand Directeur. C’est une responsabilisation forte et souvent bienvenue de la part des jeunes stagiaires.
« L’IHEDN croule sous les demandes d’inscriptions ! »
C’est enfin bien sûr un outil d’ouverture incroyable qui permet à chaque jeune de sortir de sa zone de confort, de mettre un pied dans l’inconnu et de rencontrer des femmes et des hommes aux parcours hors du commun. Lorsqu’un commandant d’un bâtiment de la Marine nationale vous explique ses missions, son parcours, son rôle et son quotidien, on sort souvent plus exaltés qu’après une présentation à l’école d’un Partner de cabinet de conseil ! Cette semaine permet aussi de sortir de l’entre-soi : lors de nos études, on a souvent l’habitude de fréquenter des personnes qui ont le même parcours, les mêmes ambitions, les mêmes intérêts. Lors de ces séminaires, les deux seuls points communs sont souvent l’âge et la curiosité. Il s’agit donc d’un terreau très stimulant. Ce cocktail fonctionne parfaitement, la preuve : l’IHEDN croule sous les demandes d’inscriptions ! Définitivement, il faut qu’on arrête de me parler du désintérêt de la génération « Y » pour le monde qui l’entoure, ou de me dire que la notion de Défense est périmée depuis la fin de la Guerre Froide !
La Revue Civique : Comment évolue à vos yeux, depuis 2015, le « lien Armée-Nation » ? Est-ce que vous avez vu des jeunes venir davantage à vos réunions par exemple ?
Ingrid Lamri : Notre association a été créée il y a 20 ans et le nombre de membres est en constante croissance. Je perçois également une implication plus forte : la grande majorité des ANAJiens sont là pour « contribuer », pour apporter leur pierre à l’édifice. On compte finalement très peu de « consommateurs » qui viennent uniquement assister à nos événements sans jamais apporter leur aide. Suite aux attentats commis en 2015 sur le sol français, nous avons reçu de nombreux appels et messages de nos membres, désireux de contribuer à leur manière à l’effort collectif. La question évidente du « que puis-je faire ? » s’est posée dans de nombreux esprits. C’est finalement à ce moment là que l’engagement concret prend tout son sens. Même si je suis convaincue qu’il n’existe pas de recette miracle qui puisse convenir à tout le monde.
Nous avons d’ailleurs créé cette année-là le Comité « Sécurité Intérieure » qui est extrêmement dynamique malgré son jeune âge. Les membres de ce comité s’intéressent ainsi plus particulièrement à la lutte contre le terrorisme sur le territoire national, ainsi qu’au rôle des préfets, de la Gendarmerie ou encore de la Police.
La Revue Civique : Comment percevez-vous pour l’avenir les volontés d’engagement civique des jeunes et l’articulation, possible et souhaitable, avec les actions de Défense et de Sécurité menées par les professionnels en France ? Quels sont les potentiels que vous percevez et les orientations que vous pouvez préconiser en ce domaine ?
Ingrid Lamri : Je pense que cette volonté d’engagement est naturellement une bonne chose : elle détonne avec les portraits souvent très sombres qui sont censés représenter notre société et notre jeunesse. Je ne me qualifierai pas d’éternelle optimiste mais j’ai beaucoup de mal avec les personnes qui brossent un tableau noir de la réalité sans se donner les moyens de la changer. Il y a ceux qui font et ceux qui commentent. Nous avons tous aujourd’hui la possibilité d’agir à notre niveau. Cet engagement se construit tout au long d’une vie, et son intensité peut bien sûr se moduler dans le temps, mais je pense que c’est aussi à l’école de poser l’une des premières pierres. J’ai quelques souvenirs de mes cours d’Éducation civique lors desquels on nous enseignait le nombre de députés élus à l’Assemblée nationale mais où des concepts aussi fondamentaux que la nation ou la patrie avaient été rapidement mis de côté. Parler de notre projet de société et de la manière dont nous pouvons chacun y contribuer me parait autant indispensable que de connaître et comprendre la manière dont certains ont choisi d’organiser et structurer la gouvernance de notre pays.
Au sein de l’ANAJ-IHEDN, nous cherchons à canaliser ces volontés d’engagement de la jeunesse afin de créer de la valeur pour notre société : l’avenir de notre pays, la protection de nos intérêts, notre place sur la scène internationale, etc. Nous échangeons également fréquemment avec les pôles « Rayonnement » des différentes armées, qui cherchent elles aussi à améliorer la compréhension et l’appropriation des enjeux de défense et de sécurité par la population.
« Permettre l’appropriation de la notion d’engagement »
Je trouve d’ailleurs que le travail effectué en la matière est remarquable, notamment en termes de communication et de vulgarisation : les missions et chiffres clés de la défense sont accessibles à tous. Un axe de développement majeur réside désormais dans la connaissance des passerelles existantes pour contribuer activement aux enjeux de défense et de sécurité : dans mon entreprise par exemple, la plupart de mes collègues étaient persuadés que pour être réserviste, il fallait être un ancien militaire. C’est un peu le rôle de tous les ANAJiens : rayonner dans notre environnement de tous les jours pour partager nos clés de lecture, dissiper les préjugés admis sur les armées, et permettre l’appropriation de la notion d’engagement.
Il me semble également indispensable de davantage nous ouvrir. Cette ouverture me tient particulièrement à cœur à l’ANAJ-IHEDN : toutes nos conférences sont ainsi gratuites et accessibles à tous. Avant chaque conférence, j’incite également les personnes présentes à prendre deux minutes pour se présenter à leurs voisins : on se retrouve vite dans une cacophonie digne d’un amphi de fac sans professeur, mais vous n’imaginez pas le nombre d’opportunités créées grâce à ce réflexe tellement simple à instaurer ! Cette ouverture passe également par le partage du savoir. Ainsi, tous nos travaux de recherche et articles sont disponibles en ligne sur notre site internet et nous publierons d’ici quelques semaines un ouvrage papier reprenant nos grandes réflexions de l’année qui vient de s’achever.
Tout engagement, quelle que soit la forme qu’il revêt, mérite d’être mieux valorisé au sein de notre société, et également dans la sphère professionnelle. La France ne peut être défendue et protégée convenablement par ceux qui s’engagent, en se contentant de la faveur de certains accords et dérogations. Pour sortir de cette République à la carte, nous devons privilégier l’esprit de corps et la responsabilité citoyenne à tous les étages de notre nation.
Ingrid LAMRI
janvier 2017
► En savoir plus sur l’ANAJ-IHEDN :
L’ANAJ-IHEDN est la première association française à destination des jeunes sur les questions de défense, de sécurité et d’engagement de la jeunesse. Forte d’une communauté de 2 000 membres âgés pour la plupart de 20 à 35 ans, elle contribue à faire vivre une réflexion stratégique sur ces thématiques et fait rayonner l’esprit de défense.