Le Président de la Société Générale, Frédéric Oudéa, analyse ici, en profondeur, le rôle des banques françaises, qui « se sont plutôt bien comportées » depuis la crise de 2007, faisant « leur métier au service de l’économie, plus que partout en Europe ». Convaincu que le retour de la confiance et de la croissance passe par « plus d’Europe », il considère que l’annonce du pacte de compétitivité « est un bon signe ». À propos des objectifs d’une meilleure régulation financière mondiale, qu’il approuve, Frédéric Oudéa indique qu’il faut « prendre garde aux effets de distorsion de concurrence qui sont en train de voir le jour » : « les banques européennes sont les bons élèves, alors que les États-Unis semblent rechigner ». Les activités de marchés des banques « sont utiles à l’économie, aux grandes entreprises et aux États » : « il faut dépasser les tentations punitives et ne pas perdre de vue l’enjeu collectif », déclare-t-il à la Revue Civique.
La REVUE CIVIQUE : La crise financière, en 2007-2008, a placé les banques dans la tourmente. À partir de certaines dérives, réelles, qui ont surtout eu lieu outre-Atlantique, on a parfois assisté en France à des amalgames visant le secteur bancaire dans son ensemble. Comment avez-vous vécu cette période et peut-on parler d’une spécificité des banques françaises, qui se seraient mieux comportées ; est-ce que cela a un sens à l’ère de la mondialisation des échanges financiers ?
Frédéric OUDÉA : Il y a eu des dérives dans la finance mondiale, c’est indéniable, mais il est aussi clair que la finance ne peut être accusée de tous les maux, ni les banques françaises assimilées à tous les excès de la finance internationale. Il faut effectivement dépasser les amalgames et contre-vérités, et faire une analyse sérieuse et lucide de la situation si on veut tirer les bonnes leçons pour l’avenir.
Les banques ne sont pas à l’origine de la crise que nous vivons, même si elles ont une part de responsabilité, surtout dans la diffusion de la crise ; elles en sont à la fois les symptômes visibles et les victimes directes. Au-delà des aspects financiers, il est important d’avoir conscience que l’origine de la crise qui a éclaté en 2007 est fondamentalement économique. Nous assistons en fait à une crise du modèle de croissance de nos économies développées, qui repose depuis trente ans sur un excès d’endettement, à la fois public et privé, pour entretenir à crédit la consommation et la redistribution sociale. Le système financier – dans toutes ses composantes, y compris les banques – a contribué à alimenter cette bulle du crédit. La crise s’est déclenchée aux États- Unis à cause des mauvais crédits immobiliers appelés subprimes ; les produits financiers toxiques associés qui ont été vendus dans le monde entier ont ensuite contaminé en un rien de temps toute la sphère financière mondiale. Les banques ont été affectées, directement ou indirectement, par la crise de liquidité qui s’en est suivie. Le sauvetage des banques en difficulté a représenté un coût variable pour les différents contribuables nationaux.
Des pratiques saines
Mais toutes les banques n’ont pas traversé la crise de la même façon et à cet égard, il est légitime de souligner que les banques universelles françaises se sont plutôt bien comportées. Elles ont particulièrement bien résisté à la crise, sans rien coûter aux contribuables français in fine, tout en continuant à faire leur métier au service de l’économie, plus que partout en Europe. Sans invoquer une spécificité française à proprement parler, les établissements français ont bénéficié de leur modèle de banque universelle diversifiée, de la qualité de la régulation en place en France et des pratiques saines d’octroi de crédit ; ce sont clairement des atouts que nous devons veiller à préserver. Mais pas question pour autant de nous exonérer des leçons collectives qui peuvent être tirées pour renforcer le système financier et restaurer la confiance. Les banques françaises sont pleinement engagées dans les différents chantiers réglementaires en cours pour sécuriser le système financier ; cela implique au niveau d’une banque comme la Société Générale un mouvement de profonde et rapide transformation qui dure déjà depuis 2010 et qui est loin d’être terminé.
Comment, aujourd’hui, faire comprendre aux citoyens, mais aussi à une série de décideurs – du monde institutionnel, politique, culturel ou des médias – la place et le rôle des banques dans l’économie, leur rôle social aussi ?
Pour restaurer la confiance, il est effectivement clé que les banques expliquent davantage ce qu’elles font et comment elles le font. Nous avons certainement insuffisamment expliqué notre métier par le passé. Les banques jouent un rôle fondamental dans le financement, le fonctionnement de l’économie ; il ne peut y avoir de vie économique sans banques. Notre mission, en quelques mots, consiste à collecter les dépôts, l’épargne, et à la transformer en crédits. Sur le terrain, notre métier de banque de détail apporte plusieurs services utiles au quotidien des clients, particuliers et entreprises : conseils sur la gestion de leurs dépôts, de leur épargne, financements de leurs projets et fourniture/gestion des moyens de paiement comme les cartes bancaires. Par ailleurs, mal connues et souvent décriées, les activités de banque d’investissement ont également une utilité économique fondamentale pour accompagner les grandes entreprises et les États sur les marchés financiers, pour les aider à placer leurs obligations et leurs actions auprès des investisseurs et à couvrir leurs risques financiers (par exemple le taux de change). Ce rôle de financement sur les marchés a d’ailleurs vocation à prendre une part grandissante avec les nouvelles réglementations de Bâle 3.
Un des premiers employeurs
Au total, malgré la crise économique, et contrairement aux idées reçues, les banques françaises ont continué de jouer leur rôle au service du financement de l’économie, plus que dans tous les autres pays européens. Selon les derniers chiffres disponibles à fin septembre 2012, les crédits à l’économie continuent d’augmenter (+ 2 % en rythme annuel), même si la détérioration de la situation économique (avec un PNB proche de zéro) provoque un ralentissement compréhensible. À ce propos, il faut rappeler notre devoir de banquier d’assurer une pratique de crédit responsable, c’est-à-dire de veiller à soutenir des projets viables pour éviter le surendettement des ménages et des entreprises et éviter les prises de risque excessives.
Les banques ont bien sûr aussi un rôle social important puisqu’avec plus de 400 000 salariés, le secteur bancaire est un des premiers employeurs privés de France et continue de recruter malgré la crise des milliers de jeunes chaque année.
Le Président Hollande, quand il était candidat et en campagne, déclarait que « la finance » était son « ennemi ». Son discours, une fois élu, a rapidement mis en avant la rigueur budgétaire, la réduction de l’endettement, l’adoption du traité européen qui renforce l’Union en matière monétaire et bancaire. Comment appréciez-vous les orientations des politiques publiques en France, et les perspectives d’un dispositif européen renforçant le contrôle des banques ?
Le défi commun auquel l’Europe et la France sont confrontées est celui de trouver une voie nouvelle pour une croissance durable fondée sur la compétitivité de nos économies et non sur l’endettement excessif. Les mesures récentes en Europe comme en France semblent aller dans la bonne direction mais le chemin est encore long, difficile et incertain.
Au niveau européen, les États ont enclenché une double dynamique : premièrement remettre de l’ordre dans chacune des économies nationales en s’imposant discipline budgétaire et réduction des dépenses publiques, deuxièmement renforcer progressivement la cohérence et l’intégration financière, économique et politique de la zone euro. Je suis convaincu que la restauration de la confiance et le retour de la croissance passent par « plus d’Europe », mais avancer tous ensemble prendra forcément du temps.
En France, l’annonce du pacte de compétitivité est un bon signe et témoigne de la prise de conscience de la nécessité de redresser la compétitivité de nos entreprises pour assurer l’avenir de notre économie et de nos emplois. Le choix de financer ce soutien aux entreprises par la réduction des dépenses publiques et la hausse de la TVA va également dans le bon sens, mais restons vigilants sur la mise en oeuvre. Il y a urgence et encore beaucoup de chantiers clés à faire avancer comme le travail et l’allocation de l’épargne. Relever le défi français va nécessiter la mobilisation de tous, avec courage et détermination.
Le bon équilibre à trouver
C’est dans cet état d’esprit qu’avancent les banques françaises. Cela fait plus de quatre ans que nous sommes engagées dans des stratégies de transformation pour nous adapter au contexte économique et aux nouvelles exigences réglementaires, tout en veillant à continuer à jouer notre rôle au service du financement de l’économie. Mais attention à ne pas multiplier les différents chantiers réglementaires, sans bien prendre en compte leur impact sur la capacité des banques à financer l’économie. Il en va de l’intérêt général de trouver le bon équilibre entre nécessité de renforcer, de sécuriser le système financier et celle de lui permettre de continuer à financer l’économie, en particulier en période de crise. In fine, si nous voulons des économies fortes, nous avons besoin de banques fortes.
Quelles sont les avancées réelles et les perspectives prochaines, en ce qui concerne la fameuse « régulation financière », évoquée si souvent par les chefs d’États et de gouvernement (du G8 notamment), depuis la crise de 2007-2008 ? Les chantiers en cours en matière de régulation financière sont colossaux et il ne faut pas sous-estimer les changements profonds déjà réalisés par les banques depuis le début de la crise. Sous l’égide du G20 et de l’Union européenne, les banques européennes ont engagé un train de réformes à marche forcée pour se conformer aux nouvelles exigences. Les nouvelles réglementations de Bâle 3 qui prévoient un renforcement massif du montant de capital et de liquidité nécessaire pour un montant donné de prêts ont été largement anticipées par les banques. Avec la crise de la zone euro, le calendrier a été avancé et cela a exigé des mesures drastiques de réduction des bilans pour atteindre les objectifs dans un délai plus court. La Société Générale a par exemple accéléré son plan de réduction de bilan, significativement renforcé ses fonds propres, amélioré sa situation de liquidité, ce qui lui permet aujourd’hui d’avoir un ratio de capital de 10,3 % (à fin septembre 2012) et de confirmer sa capacité à atteindre les objectifs en capital que la banque s’est fixés pour 2013 (bien au-delà du niveau et du calendrier initial définis par Bâle 3).
Élément clé du dispositif de restauration de la confiance dans la zone euro, les décideurs européens ont également mis sur les rails le projet d’Union bancaire qui prévoit, dans un premier temps, la mise en place d’une supervision bancaire homogène au niveau européen et, dans un deuxième temps, la mise en oeuvre de garanties des dépôts grâce à des mécanismes de solidarité. En plus de ces réformes d’envergure en cours, d’autres projets concernant l’organisation bancaire sont en gestation, mais en ordre dispersé entre les États-Unis et l’Europe et au sein de l’Europe. Encore une fois, il faut faire attention aux effets contre-productifs de l’empilement des contraintes qui s’imposent aux banques et prendre garde aussi aux effets de distorsion de concurrence qui sont en train de voir le jour. Les banques européennes, et françaises en particulier, sont les bons élèves et appliquent les réformes en avance de phase, alors que les États-Unis, pourtant à l’origine du déclenchement de la crise, semblent rechigner et viennent d’annoncer le report sine die de l’application de Bâle 3. C’est tout de même paradoxal !
La structure des banques n’est pas le sujet
Quels sont les enjeux de la vague de régulation axés sur la redéfinition des périmètres d’activités bancaires ? Comment les banques françaises abordent-elles ce sujet ?
Renforcer la sécurité du système financier, c’est la leçon maîtresse de la crise qui guide toutes les réformes en cours. Comme je le disais précédemment, les banques françaises sont pleinement mobilisées sur cet objectif et nous travaillons déjà sur plusieurs axes pour renforcer la solidité financière des établissements d’un côté et renforcer la supervision bancaire de l’autre. Faut-il de surcroît revoir l’organisation des banques ? Je ne pense pas que ce soit prioritaire pour atteindre l’objectif, surtout dans le cas des banques françaises. Le rapport européen Liikanen reconnaît lui-même que la structure des banques n’est pas le sujet en matière de stabilité bancaire ! Les banques qui ont eu des problèmes pendant la crise avaient des organisations très variées, allant d’activités de banque de détail simples (le cas des banques irlandaises et espagnoles) aux activités de marchés (le cas de Lehman Brothers). Le modèle de banque universelle diversifié a plutôt bien résisté pendant la crise. Le rapport Liikanen souligne d’ailleurs que les banques françaises ont particulièrement bien traversé la crise. Alors pourquoi casser le modèle des banques françaises qui a fait ses preuves ?
Derrière les réflexions sur l’organisation bancaire, il y a en fait l’idée, l’opinion préconçue, que les activités de marché sont risquées, peu ou pas utiles à l’économie et qu’il convient donc de les cantonner, les séparer des activités de banque de détail. La majeure partie des activités de marchés que nous exerçons est au contraire utile à l’économie, utile aux grandes entreprises et aux États pour se financer sur les marchés, et même de plus en plus nécessaire car la réglementation de Bâle 3 encourage indirectement le recours au financement par les marchés. Il faut dépasser les tentations punitives et ne pas perdre de vue l’enjeu collectif, à savoir le financement de l’économie, la compétitivité, la croissance, l’emploi. Les contraintes qui pèsent sur les banques sont déjà multiples. Et au bout du compte, ce qui est clé pour la sécurité du système financier, c’est la qualité de la gestion des risques qui est assurée par chaque établissement et la qualité du superviseur, qui est exemplaire en France (la place de Paris est certainement l’une des mieux régulées).
Chaque entreprise a un rôle à jouer dans la société, qu’il s’agisse de son rôle pour l’économie, l’emploi, ou de son rôle pour la cohésion sociale. Quelle est votre conception de la responsabilité sociale de l’entreprise banque, et comment cela se traduit-il pour un grand groupe comme le vôtre (dans la mesure où, dans la mondialisation des échanges, certains groupes ou pays étrangers n’hésitent pas à pratiquer sans scrupule des formes de dumping social ou environnemental) ?
Compte tenu de notre mission au cœur de l’économie, les banques ont une responsabilité économique et sociale particulièrement importante. Nous devons tirer les leçons de la crise et replacer cette mission première au centre de notre action. La Société Générale est pleinement engagée dans cette voie. Nous avons, depuis 2010, remodelé nos activités et redéfini une stratégie de croissance à moindre risque qui donne la priorité aux clients et à la maîtrise des risques. Selon moi, la responsabilité d’entreprise de notre banque se décline selon quatre axes :
- Être une banque de référence pour nos clients en s’appuyant sur une attitude responsable dans la conduite de toutes nos activités.
- Être un employeur responsable, soucieux du bien-être et du développement professionnel de nos employés.
- Gérer les ressources utilisées pour mener à bien nos objectifs avec efficacité et parcimonie, en veillant au pilotage de notre impact direct sur l’environnement.
- Veiller à ce que notre image reflète la richesse de nos apports et interactions avec les parties prenantes. Pour prendre en compte et maîtriser les enjeux environnementaux, économiques et sociaux dans l’exercice de nos métiers, la Société Générale a par exemple établi des Principes Généraux Environnementaux et Sociaux qui trouvent leur source dans le cadre réglementaire et législatif et dans l’adhésion volontaire à des principes ou initiatives, qui sont complétés par des politiques sectorielles et des procédures internes de mise en œuvre dans les différents métiers. C’est une des pierres angulaires de notre démarche responsable avec les actions conduites dans le cadre de notre politique de ressources humaines.
La responsabilité au cœur de nos métiers
Je suis convaincu que notre objectif de création de valeur dans la durée ne peut se réaliser que dans le cadre d’une politique favorable au développement social et à l’environnement. Nous visons à être parmi les banques de référence pour notre démarche de Responsabilité Sociale et Environnementale. Nous nous inscrivons dans une dynamique d’amélioration continue qui s’inspire en permanence des meilleures pratiques de la profession et des autres secteurs de l’économie. Nous mettons en place cette démarche dans tous nos métiers, dans tous nos faits et gestes au quotidien, et dans tous les pays où nous sommes présents, en France mais aussi dans les 76 autres pays où nous sommes implantés. Notre engagement sociétal se concrétise par ailleurs par une politique active de solidarité et de mécénat- sponsoring, qui associe partenariats de long terme et mobilisation des collaborateurs. La détermination de nos engagements, la cohérence de nos actions dans la durée, seront un gage de réussite pour restaurer la confiance avec toutes nos parties prenantes et avancer sur la voie d’une véritable croissance durable au service de l’économie.
Propos recueillis par Georges LEONARD
(in la Revue Civique n°10, Hiver 2012-2013)
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