Président de l’ORSE, l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises, François Fatoux, répond aux questions de la Revue Civique. Il explique pourquoi, «s’il n’y a pas de prévention de certains risques, on peut aller vers des catastrophes sociales, sanitaires et, a fortiori, économiques». Les entreprises sont de plus en plus nombreuses, donc, à s’éveiller à ces risques même si, dit-il, «il est vrai que concilier les valeurs de développement durable avec la croissance économique n’est pas toujours chose aisée» : «Le vrai problème est la logique court-termiste des marchés. Les entreprises sont constamment en train de faire le grand écart». Mais d’observer que «sur un certain nombre de sujets, les entreprises françaises sont à la hauteur. Elles peuvent même être davantage engagées, notamment sur la question du dialogue social international.»
– La Revue Civique: Quel est le «programme» de l’ORSE en matière de développement durable ?
– François FATOUX : L’ORSE, association de 1901 créée en juin 2000, assure d’abord une mission de veille des enjeux du Développement durable et de la Responsabilité sociale des entreprises, tout en étant un lien entre l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise.
Après avoir beaucoup travaillé sur les outils relatifs à la responsabilité sociétale des entreprises (notation, reporting, normalisation, certification…), nous nous sommes penchés sur les enjeux proprement dits que nous avons traités au regard d’abord des parties prenantes (les investisseurs), avec une articulation finance et développement durable, puis avec les fournisseurs (relations grandes entreprises et PME) ; enfin, notre travail s’est tourné vers les salariés avec un focus sur le dialogue social et la question de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. S’agissant de la société civile, nous avons travaillé sur le partenariat ONG/entreprises, et les sur les enjeux de la « RSE » (responsabilité sociale des entreprises) en Chine.
Aujourd’hui en 2007, nous continuons à travailler activement sur les questions d’égalité hommes femmes et sur les engagements des entreprises avec leurs parties prenantes. Les entreprises qui rentrent dans une démarche de développement durable sur le long terme doivent ainsi s’engager avec leurs parties prenantes internes (salariés) et externes (ONG, association de syndicats, etc.). Les entreprises doivent opérer pour cela de façon négociée, concertée, dans le cadre d’un dialogue avec leurs parties prenantes. Nous faisons aussi la promotion de la « RSE » à l’étranger, l’ORSE est un correspondant de réseaux internationaux. Comme CSR Europe ou BSR.
– Quels sont les enjeux du développement durable dans les entreprises ?
– La responsabilité sociétale des entreprises comprend la prise en compte des enjeux du développement durable par les entreprises. Le concept de RSE est apparu d’abord dans le domaine de la recherche, puis il a été formalisé par la Commission européenne dans un livre vert en 2001 en lui attribuant une définition précise. La RSE est « la prise en compte par les entreprises, de manière volontaire, de préoccupations sociales et environnementales dans le cadre de leurs relations commerciales avec leurs parties prenantes ».
L’enjeu est de pouvoir concilier les préoccupations sociales et environnementales avec les performances financières et commerciales des entreprises. Il s’agit d’être à la fois en réaction par rapport aux parties prenantes, d’être en capacité d’innovation, et de pouvoir être proactif vis-à-vis de ces questions devenues majeures. Il faut toujours que ces entreprises soient en posture d’anticipation.
Aujourd’hui nous nous rendons compte que les grands enjeux planétaires (environnement, corruption, non-respect des droits de l’Homme) sont des enjeux à différencier selon les secteurs d’activité. Une banque n’aura pas les mêmes enjeux qu’une caisse de retraite par exemple. Mais tous ces acteurs devront avoir une démarche dans laquelle, il n’y a pas forcément de référentiels qui, à l’origine, peuvent les aider. Le cas de l’obésité est un des enjeux du Développement durable pour le secteur de l’industrie alimentaire, car il touche à un enjeu de santé publique pour les consommateurs. Historiquement, la prévention des risques et l’intervention de l’Etat touchaient les problèmes liés à l’alcool et au tabac. Aujourd’hui, nous avons le Sida en Afrique, et la prévention arrive quasiment trop tard. S’il n’y a pas de prévention de certains risques, on peut aller vers des catastrophes sociales, sanitaires et, a fortiori, économiques.
s’il n’y a pas de prévention de certains risques,
on peut aller vers des catastrophes sociales,
sanitaires et, a fortiori, économiques
– Les entreprises sont-elles bien réceptives face à vos démarches ? Sont-elles véritablement libres et/ou consentantes, et vraiment sincères ?
– Il y a deux types de posture. La première est celle de réaction sous la pression des parties prenantes. Par exemple, la loi NRE de 2001 oblige les entreprises cotées en bourse d’intégrer dans leur rapport des informations sociales et environnementales. Elles vont être notées par des agences extra financières et alors seront éligibles à des indices boursiers de développement durable.La deuxième posture découle d’une logique d’opportunité. La RSE est dans leur intérêt car elle permet de développer l’innovation, elle est un facteur de différenciation vis-à-vis des concurrents, elle est aussi un moyen d’anticiper des réglementations ainsi qu’un outil de management qui donnera un regard transversal dans l’entreprise sur différentes fonctions comme l’informatique, les ressources humaines, etc.
Ces entreprises attendent de l’ORSE une analyse critique des enjeux. La RSE ne marche que sur des démarches volontaires.
– Qu’est ce qui est le plus contraignant à mettre en place pour une entreprise obéissant à une « politique » de développement durable: l’efficacité économique, l’équité sociale ou la responsabilité environnementale ?
– Tout est une question d’identification des enjeux. Dans le secteur traditionnel de l’industrie, les enjeux sont clairs: l’utilisation de l’énergie et de matières premières génèrent des impacts environnementaux forts. Par contre, dans les secteurs d’activités de services (média, conseil, finance, assurance…), les enjeux sont moins visibles. Par exemple, dans les médias, a priori on ne pollue pas ou peu. Par contre, il peut y avoir d’autres enjeux comme la précarité des salariés, l’indépendance des journalistes vis-à-vis des actionnaires, etc. Donc, à chaque fois, il faut s’interroger sur les enjeux stratégiques. L’ORSE peut aider les entreprises à se poser les bonnes questions. Il faut veiller à ce que ces enjeux traversent l’ensemble des fonctions de l’entreprise car d’emblée on pense environnement, qualité ou ressources humaines. Or, toutes les fonctions (achats, marketing, informatique, contrôle de gestion, etc.) ont un impact.
La troisième difficulté des entreprises est de faire partager les valeurs et l’engagement à tous les niveaux. Il peut y avoir un décalage entre les engagements des directions et le vécu des salariés au quotidien. Et il est vrai que concilier les valeurs de développement durable avec la croissance économique n’est pas toujours chose aisée. Le vrai problème est la logique « court-termiste » des marchés. Les entreprises sont constamment en train de faire le grand écart. Les marchés demandent une performance immédiate, des objectifs de croissance à deux chiffres tous les ans.
Le vrai problème est la logique court-termiste des marchés.
Les entreprises sont constamment en train de faire le grand écart
– Quels effets les notations attribuées aux entreprises ont-elles sur leur fonctionnement ?
– L’ORSE, à la différence de l’agence Vigéo, ne juge pas et ne note pas les entreprises, nous nous posons en observateur dans la mesure où les membres de l’ORSE viennent de toutes les composantes de la société avec des intérêts contradictoires. En revanche, nous essayons de concevoir des documents pédagogiques qui mettront en valeur des bonnes pratiques des entreprises. Donc l’ORSE cherche à cibler ce qui se fait de mieux, afin de toujours promouvoir le développement durable.
– En comparaison avec leurs voisins européens, à quel niveau les entreprises françaises se placent-elles en matière de développement durable ?
– Sur un certain nombre de sujets, les entreprises françaises sont à la hauteur. Elles peuvent même être davantage engagées, notamment sur la question du dialogue social international. Elles n’hésitent pas à formaliser leur RSE dans le cadre de réunions syndicales. Nous avons travaillé sur l’analyse de ces formes d’engagement et cela a abouti à un guide pratique qui pose la question et tente de répondre à la question de la mise en place d’un dialogue social international avec les syndicats. À cela ont participé Peugeot, EDF, L’Afage, Rodia, Renault, Accord, France Télécom, Carrefour, Club Méd et Danone. Je dirais que les entreprises françaises sont souvent efficaces en matière de « reporting social », dans leurs relations avec les ONG et les fournisseurs. Mais on ne peut pas généraliser. On peut seulement faire apparaître que, sur certains sujets, les Français sont au même niveau si ce n’est au-delà que leurs homologues européens.
sur un certain nombre de sujets, les entreprises françaises sont à la hauteur.
Elles peuvent même être davantage engagées,
notamment sur la question du dialogue social international.
– L’entreprise cherche donc à donner le bon exemple, à être une « citoyenne modèle » ?
– L’ORSE se veut un « observateur engagé », car le dialogue avec nos adhérents (ONG, entreprises, syndicats…) passe par l’examen en aval des meilleurs pratiques dans le cadre d’une concertation avec les parties prenantes. Nous voulons ainsi permettre à nos membres d’aller de l’avant. Le but est toujours d’être plus réactif par rapport aux enjeux émergents. Les enjeux évoluent dans le temps. L’obésité et le sida d’aujourd’hui seront remplacés demain par d’autres problèmes.
Souvent, un produit n’est pas nocif en lui-même, mais tout dépend de son usage maîtrisé ou non. C’est le cas avec les voitures, le tabac, le téléphone portable, etc… L’usage excessif d’un téléphone portable peut engendrer des comportements négatifs. Les entreprises qui cherchent à tout prix à conquérir tous les marchés doivent être surveillés. Le marché de la petite enfance pour les téléphones portables pourrait avoir des conséquences sur la relation parent/enfant, avec des parents qui voudraient surveiller leurs enfants par GPS par exemple. Nous réfléchissons dès maintenant aux conséquences que cela peut avoir sur le long terme.
Autre exemple, celui des nouvelles technologies informatiques. Les mails pourraient générer des impacts négatifs sur les processus de décisions à cause de la rapidité de la prise de décision qu’elle engendre par son immédiateté. Quand on répond instantanément, on réfléchit moins à ce qu’on va dire. On commence à constater que les professionnels passent davantage de temps à réparer les erreurs d’un émail écrit précipitamment. La RSE doit être vue comme une opportunité d’anticiper ou de prévenir des problèmes, ou des réglementations qui s’avéreraient inadaptés car ne pouvant appréhender la complexité des enjeux de société.
Propos recueillis par Jane BIRMANT (printemps 2008).