Il y a 4 ans : Merah, ce terroriste (par Marc Knobel)

Cette tribune, destinée à la Revue Civique, fait acte de Mémoire quatre ans après les assassinats perpétrés par le djihadiste Mohamed Merah, qui s’en était pris, dans une violence sauvage et fanatique propre au terrorisme, à des enfants juifs dans une école de Toulouse, après avoir abattu, à Montauban, des soldats français d’origine maghrébine.

Cette tribune revient avec précision sur les faits et le contexte de cette séquence dramatique. Elle est écrite par l’historien Marc Knobel, directeur des Etudes au Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF), membre de la commission de lutte contre l’antisémitisme et au dialogue interculturel à la Fondation pour le Mémoire de la Shoah et membre du conseil scientifique de la Délégation Interministérielle de Lutte contre le Racisme et l’Antisémitisme. Cet auteur est également rapporteur pour les questions de racisme et d’antisémitisme auprès de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) ; co-directeur du groupe de travail sur l’antisémitisme en Europe de l’Ouest auprès du Global Forum against antisemitism (Israël) ; membre du Conseil consultatif International de l’Online Hate Prevention Institute (Australie) ; Correspondant en France et en Europe de l’Institute (américain) for the Study of Global Antisemitism and Policy.

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Les juges antiterroristes ont renvoyé aux Assises spéciales le frère du djihadiste Mohamed Merah, Abdelkader, pour complicité d’assassinats lors des tueries qui avaient fait sept morts, en mars 2012, à Toulouse et Montauban. Les trois magistrats ont également renvoyé un complice présumé, Fettah Malki, notamment pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Il est soupçonné d’avoir fourni un pistolet mitrailleur Uzi et un gilet pare-balles au tueur. Un non-lieu a en revanche été ordonné pour un troisième mis en examen, Mohamed Mounir Meskine (Le Figaro, 16 mars 2016).

Rappelons les faits.

Le lundi 19 mars 2012, peu avant 8 h 30 du matin, à l’heure où les élèves de l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse s’apprêtent à entrer en cours, un homme gare son scooter et garde son casque. Il s’avance d’un pas tranquille, sort une arme et ouvre le feu sur un groupe de personnes massées devant l’établissement. Un professeur de religion du collège, Jonathan Sandler, trente ans, est atteint au ventre. Il s’écroule aux pieds de son fils Arieh, cinq ans, mortellement touché lui aussi. Le tueur fait quelques pas dans la cour, ouvre le feu à nouveau. La fille du directeur de l’école, Myriam Monsonego, sept ans, tente de s’échapper. Elle ne fait que quelques foulées, avant d’être atteinte d’une balle dans le dos. Le tueur tire alors sur le petit Gabriel Sandler, quatre ans. Puis il revient vers Myriam, l’empoigne par les cheveux et l’achève d’une balle dans la tête, avant de prendre la fuite sur son deux-roues. Un autre adolescent est grièvement blessé. C’est l’horreur, le désespoir, l’hébétude mais aussi la colère.

Une tragédie nationale

La France est en pleine campagne présidentielle. À quelques heures d’intervalle, les deux candidats, le président Nicolas Sarkozy et son opposant François Hollande, décident d’interrompre leurs activités électo­rales devant ce qui apparaît aussitôt comme la tragédie de Toulouse. Jamais en France, depuis la Libération, on ne s’était attaqué à des enfants, juifs de surcroît. Les souvenirs de la persécution remontent ; jamais encore on n’avait abattu de personnes aussi froidement, à la manière de la « Shoah par balles » en Pologne et Ukraine particulièrement ; jamais non plus on ne s’était attaqué à l’école que l’on pensait être à l’abri de tout passage à l’acte terroriste. Pourtant, l’impensable venait de se produire. Rapidement et froidement.

Tout l’appareil de l’État est mis en branle pour rassurer, prévenir, rechercher. Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, s’installe aussitôt à Toulouse, pour diriger les opérations ; le chef de l’État manifeste l’unité nationale en recevant à Paris les représentants des communautés juive et musulmane, avant d’arriver à Toulouse : « C’est une tragédie nationale », déclare-t-il en demandant « une minute de silence dans toutes les écoles de France à la mémoire de ces enfants martyrisés ». Sur place arrive également François Hollande, accompagné de spécialistes de son équipe dont Manuel Valls et Élisabeth Guigou, puis en fin d’après-midi, un autre candidat à l’Élysée, François Bayrou.

Retour sur le terroriste Merah, qui avait été qualifié de "loup solitaire"... alors qu'il avait été très entouré, dans son endoctrinement fanatique.

Par ailleurs, les institutions des trois communautés monothéistes (juive, musulmane et chrétienne) vont toutes dans le même sens : elles condamnent ce drame d’une même voix et appellent à ne pas stigmatiser l’islam.

Pour identifier le tueur dont on craint qu’il ne frappe de nouveau, tous les moyens sont déployés ; les enquêteurs font le rapprochement entre la fusillade de l’école de Toulouse et deux affaires récemment survenues à Montauban ; un homme casqué a froidement exécuté, en deux moments différents, trois militaires dont les noms rappellent des patronymes d’Afrique du Nord ; ils remontent jusqu’à un certain Mohamed Merah, qu’il localise dans un quartier de Toulouse et que l’on incrimine désormais de sept meurtres. L’homme est connu des services de police. Il a séjourné en 2010 puis en 2011 au Pakistan pour s’entraîner et ensuite en Afghanistan pour mener des actions contre les troupes de l’OTAN. Le 22 mars, c’est l’assaut et la mort du terroriste.

Le traumatisme de la communauté juive française

De très nombreuses réactions se sont fait entendre dans la communauté juive, notamment au CRIF. Le 23 mars 2012, Richard Prasquier adresse à Nicolas Sarkozy, Président de la République, une lettre très émouvante. Il est notamment écrit : « Nous sommes plus que quiconque attachés à des relations fraternelles entre l’Islam de France et la communauté juive. Nous avons dans les dirigeants communautaires musulmans des partenaires avec lesquels nous partageons les mêmes sentiments sur la France. Les religions doivent y vivre dans une république laïque accueillante mais lucide. Nous rejetons tous les amalgames qui se produiraient à l’occasion des crimes d’un fanatique. Mais nous demandons que le rejet qui s’attache aux actes des extrémistes terroristes s’accompagne de la part de tous d’une fermeté sans complaisance, sans faiblesse et sans aveuglement vis-à-vis de ceux qui véhiculent des discours souvent plus aseptisés et plus occidentalisés d’apparence mais aux conséquences à long terme aussi dramatiques pour l’esprit de nos lois et de nos institutions. Dans ce combat essentiel pour la sauvegarde de nos valeurs chacun doit assumer ses responsabilités. Soyez assurés que nous assumerons les nôtres. »

Trois autres réactions nous ont semblé emblématiques.

En avril 2012, alors que Toulouse semble commencer à oublier le drame, Nicole Yardeni continue de s’alarmer[1] « de cette résurgence de la haine des Juifs et de sa banalisation ». Aussi tente-t-elle de convaincre les autorités que cette haine vise également la République et que la tentation d’oublier trop vite serait désastreuse. Avec sa macabre croisade, Mohamed Merah n’a pas seulement semé l’horreur. Il a aussi semé la discorde. Le 25 mars, Arié Bensemhoun, président de la dynamique communauté juive de Toulouse, déclare dans un mélange d’émotion et de tristesse : « Toute la communauté juive toulousaine est absolument horrifiée par cette tuerie qui a vu la mort d’enfants et d’un professeur qu’ils connaissaient. Et dans ce lieu qu’ils aimaient, qui est leur intimité, qu’est l’école Ozar Hatorah. Nous avons reçu des témoignages de solidarité, des Toulousains, de la France entière et même du monde entier. Il semble y avoir un changement dans la prise de conscience sur ce mal absolu qu’est l’islam radical. La tuerie de Merah était uniquement motivée par une haine implacable des Juifs, d’Israël, mais aussi de tout ce qui fait la beauté de nos sociétés démocratiques : la liberté, la tolérance, la fraternité. D’ailleurs le terroriste l’a dit : il voulait mettre la France à genoux. […] Nous avons tous du mal à réaliser. On nous a enlevé cette insouciance qui fait le plaisir de la vie. Qui fait qu’on peut envoyer un enfant à l’école sans penser qu’un terroriste va lui loger une balle dans la tête. Nous avons, dans le passé, connu cette atroce peur et nous pensions qu’elle ne reviendrait jamais. Et maintenant cela recommence… Il faut remonter aux nazis pour retrouver des individus animés d’une haine telle qu’ils exécutent des enfants au nom de cette seule haine. Et aujourd’hui, ce que je vois de terrible, c’est cette peur qui s’est logée dans le regard des enfants de l’école. Ils ont perdu à jamais leur insouciance[2]». Le 20 mars, le grand rabbin Gilles Bernheim témoigne pour sa part[3] : « Nous avons reçu des messages de sympathie, d’extrême attention de la part de communautés religieuses ou de confessions philosophique diverses. C’est important de le rappeler devant tous les Français. Ce sont les valeurs de la France qui sont touchées à partir du moment où l’on observe que des soldats, des militaires, les enfants d’une école sont assassinés […]. C’est la France qui est atteinte et pas seulement la communauté juive […]. La France n’est pas antisémite, il y a des actes antisémites en France qui font peur. [Je souhaite qu’il n’y ait] aucune récupération politicienne de cette affaire. »

La consternation des musulmans

Au lendemain des attentats de Toulouse et de Montauban, Mustafa El-Ouammou, imam de la mosquée de la rue Vincent-Courdouan à Toulon, exprime l’inquiétude que ressent toute sa communauté : « Tous les musulmans de France condamnent ces actes. Tuer des enfants, des personnes innocentes, n’a rien à voir avec l’islam. C’est l’acte d’une personne seule qui ne connaît pas notre religion, n’en a pas reçu les enseignements. L’islam, c’est la paix. […] Il m’arrive d’avoir des discussions avec ce genre de jeunes gens. Souvent, ils sont têtus. Ils ne sont musulmans que depuis six mois et ils veulent vous expliquer les hadiths, les paroles de Dieu, dont l’étude constitue, à elle seule, la spécialité de savants. Ils portent la barbe, le chachia et les kamis, mais ce sont des coffres vides. […] Bien sûr, il y a un risque que tous les regards se braquent sur la communauté musulmane. Les gens vont encore dire : c’est ça, l’islam. Le problème vient des jeunes qui entrent dans la religion sans aucune instruction. Ils sont facilement manipulables. Dans l’islam, il y a un côté sentimental et un côté scientifique. Ceux qui n’ont qu’une approche sentimentale de l’islam risquent d’aller dans le mur[4]. » Interviewé sur le site libéral atlantico.fr, Chems-Eddine Hafiz vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM), précise : « Je réfute toute instrumentalisation du mot “musulman”. Nous sommes des musulmans pas des “musulmans modérés”. Le musulman est celui qui pratique une foi qui suit les textes sacrés du Coran. À ce titre-là, lorsque quelqu’un effectue la moindre violence au nom de l’islam, je considère que ce n’est pas un musulman qui agit de la sorte : c’est un criminel, un assassin, un terroriste[5]. » Anouar Kbibech est, en tant que président du Rassemblement des musulmans de France (RMF), l’un des responsables du Conseil français du culte musulman (CFCM). Il s’inquiète des conséquences que peuvent avoir, pour l’ensemble des musulmans, les liens du tueur de Montauban et Toulouse avec l’islamisme radical : « Avant de connaître l’identité du coupable, il y avait l’appréhension, chez les musulmans, qu’il ait des liens avec l’islamisme radical. Maintenant, la communauté musulmane est face à deux risques : la stigmatisation, qui était déjà présente avec tous les thèmes traités ces derniers temps [débat sur l’islam, sur les prières de rue, sur l’abattage rituel, sur le port du voile] et l’instrumentalisation de cette affaire dans le cadre de la campagne électorale. Même s’il s’agit d’un acte isolé, on sait que l’opinion publique a tendance à généraliser ; on l’a vu avec les événements du 11 Septembre. […] Or, il ne faut pas oublier que quand un jeune bascule dans le terrorisme, des milliers d’autres basculent dans la citoyenneté active et que, d’une manière générale, les premières victimes de l’islamisme ce sont l’islam et les musulmans. [Mais au-delà de ce cas tragique,] les musulmans eux-mêmes doivent s’interroger sur la prévention de ces dérives. Les imams et les aumôniers doivent éclairer les plus jeunes ou ceux qui découvrent la religion. Il faut promouvoir un travail de terrain, de proximité. C’est aussi au Conseil français du culte musulman (CFCM) et à ses conseils régionaux d’œuvrer à la promotion de certaines valeurs. Les acteurs communautaires ne peuvent pas se dédouaner de ce travail de prévention et d’encadrement de certaines pratiques[6]. » Même discours chez l’imam de Bordeaux : « Je suis quasiment certain que le jeune de Toulouse ne savait pas lire le Coran en arabe. On connaît les profils violents et fragiles dans nos mosquées, des profils qui frôlent les cas psychiatriques, des jeunes qui passent de la délinquance à l’ultra-religiosité. Malheureusement, le discours de certains religieux, notamment sur Internet, embarque des musulmans dans un rapport de force avec la société. Des discours de lamentation rejettent le malheur des musulmans sur les autres et donnent matière à violence. Le texte devient prétexte. Face à cela, notre seule réponse est la parole, les sermons, les appels à la spiritualité et à l’humanité. Mais pour ces jeunes, nous ne sommes pas crédibles ; ils préfèrent les discours de haine ou de stigmatisation[7]. »

Tous les événements que nous décrivons ici surviennent en pleine campagne électorale.

Alors que l’actualité se focalise sur la présidentielle, les sondages d’opinion et les propositions des candidats, ces tueries font l’effet d’un violent coup de tonnerre. Journalistes français et correspondants étrangers, tous se précipitent à Toulouse. Il n’est plus question que de vivre, minute par minute, le siège de l’appartement de Mohamed Merah et l’assaut final. Les téléspectateurs, les auditeurs, les lecteurs assistent donc à ce « spectacle », accordant aux journaux télévisés du mercredi 21 et du jeudi 22 mars une audience en forte hausse. La fréquentation des sites Internet d’actualités monte à 3,45 millions de visites le mercredi (contre 2 millions par jour en moyenne) pour Le Monde, 2,9 millions (contre 1,7 million) pour Le Figaro.

Mais déjà se profile une autre polémique. Les journalistes Yves Bordenave et Laurent Borredon, du Monde, mettent en cause les services de renseignements : « Côté face, l’information est rassurante, Mohamed Merah était fiché par les services de renseignements français depuis 2011 et cela a permis son identification rapide. Côté pile, il y a une interrogation : la direction centrale du Renseignement intérieur aurait-elle dû neutraliser un tel terroriste en puissance[8] ? » Dès le 22 mars en effet, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, estime qu’il faut éclaircir une éventuelle « faille » des services de renseignements : « Je comprends qu’on puisse se poser la question de savoir s’il y a eu une faille ou pas, comme je ne sais pas s’il y a eu une faille, je ne peux pas vous dire quel genre de faille, mais il faut faire la clarté là-dessus[9]

La veille, déjà, le procureur de la République a pointé du doigt la DCRI: « Dans la mesure où les renseignements sont connus, les gens sont suivis. Et puis après, ils sont traités par les services de renseignements. » Mohamed Merah aurait-il dû être arrêté avant d’avoir le temps de commettre ses meurtres ? À la DCRI, les policiers perçoivent vite cette polémique et mettent en place une stratégie de défense : « Mohamed Merah, c’est l’exercice le plus difficile pour nous. Il s’auto-radicalise, c’est manifestement une démarche solitaire. Si le gars mûrit seul son projet dans son coin, on ne peut pas explorer son inconscient. C’est vrai pour le terrorisme comme pour le droit commun. » Selon la police, donc, Merah serait un loup solitaire. L’enquête a depuis montré qu’il n’en était rien, que Merah n’était pas seul, loin de là… D’octobre 2006 à mars 2010, Mohamed Merah est surveillé.

Néanmoins cette surveillance se relâche au moment où il devient vraiment dangereux. Certes, il est guetté, mais différemment : ainsi sa mise sur écoutes est-elle vite suspendue, les premiers comptes rendus ne dénotant rien de compromettant. De là à affirmer que l’organisation policière s’est montrée défaillante dans le cas Merah[10]… À nouveau, des soupçons viennent agiter le landernau médiatique : comment se fait-il que l’ultime attaque n’ait pas permis d’attraper Merah vivant ? D’aucuns mettent aussitôt en cause les forces d’intervention du Raid.

Le 12 juillet suivant, le nouveau ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, annonce que la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) doit être saisie de l’affaire Merah : « La justice est assurée de l’entier concours de mon ministère. Les services de police répondront à ses demandes et d’abord s’agissant de l’accès aux documents classifiés dans le respect des procédures légales », dit Manuel Valls. Le secret-défense va donc être levé.

Mais la presse continuera de s’interroger : selon elle, la DCRI a failli.

C’est alors que le 18 octobre 2010, Valls annonce : « Le président de la République a donné l’instruction très claire à moi-même ainsi qu’au (ministre de la Défense) Jean-Yves Le Drian pour que nous mettions tous les éléments, tous les documents au service de la justice et de la vérité. Si d’autres documents doivent faire l’objet de cette information et de cette déclassification, ils le seront [11]. »

« L’affaire » Merah ne fait que commencer [12]

Merah, un héros ?

Alexandre Ferret, dans Le Point du 26 mars 2012, l’avait remarqué et l’avait souligné. Avec les tueries de Toulouse et de Montauban, Internet a trouvé en mars 2012 sa nouvelle effigie : Mohamed Merah. Le Toulousain bénéficiait d’une cote de popularité post mortem impressionnante sur le Web, selon le journaliste du Point. Elle se mesurait en clics et en like. Il faut rappeler ici que la popularité se mesure facilement, sur les moteurs de recherche, les encyclopédies en ligne et les réseaux sociaux. En recherchant « Mohamed Merah », sur Google, le leader des moteurs de recherche proposait pas moins de… 188 millions de résultats (mars 2012). En écrivant son seul prénom, le « tueur au scooter » apparaissait en seconde position des suggestions Google en mars 2012. Juste après Mohamed Ali ! Sur Wikipédia, le tueur de vingt-trois ans avait droit à une biographie digne des plus grandes stars du rock and roll. On pouvait y découvrir quantité d’informations, de sa date de naissance à ses premières condamnations judiciaires en passant par des anecdotes sur sa scolarité. Le tout était rigoureusement sourcé avec 83 liens rediri­geant vers les sites d’information en ligne. Et, en mars 2012, sur Facebook, Mohamed Merah obtenait 11.050 « J’aime » (Dreuz, 23 mars 2012).

Nous avons voulu vérifier ce qu’il restait de tout cela une année plus tard : 9.560.000 résultats à la date du 27 juin 2013, sur Google. Mais l’occurrence « Mohamed Merah » apparaissait quand même en troisième position après Mohamed Ali, sur ce moteur de recherche (le 27 juin 2013). Et, un an plus tard (2014), nous avions trouvé 601 références sur Wikipédia (25 juin 2014).

Mais, surtout et dans un certain nombre de sites, nous avons vu, en juin 2013, des messages affligeants de la part de jeunes gens, entre quinze et vingt ans, qui voulaient défendre ce « brave soldat d’Allah ». Si incroyable que cela puisse paraître, Mohamed Merah devenait le nouveau héros d’une génération de jeunes marginalisés en France. Bien sûr il y a là-dedans de la provocation, une sous-culture évidente, un anticonformisme. De nombreux jeunes veulent se faire remarquer. Enfin, dans les réseaux islamistes radicaux, la figure de Mohamed Merah n’a pas cessé d’être valorisée. Pour Daech ou Al-Qaïda, Merah est un martyr et un héros. Des sites Internet en font l’apologie. Al-Qaïda a sorti un document, « Considérations sur la bataille de Toulouse », où il est présenté comme un héros face à une armée de mécréants et tout cela est largement diffusé sur les réseaux

Mais, surtout et comme pour les attentats qui avaient été perpétrés le 11-Septembre, des articles et des montages vidéo d’internautes revisiteront continuellement l’affaire du « tueur au scooter » au travers d’une grille de lecture totalement complotiste et paranoïaque. Selon eux, les faits ne s’expliqueraient que par l’intervention d’une main cachée, quelque puissance occulte et maléfique. C’est ainsi que l’auteur ou les auteurs des crimes terroristes sont innocentés à l’avance. Selon eux, Merah aurait été manipulé par la puissance cachée, à moins qu’ils ne soient les héros de quelque guerre secrète menée contre les grands de ce monde et de nombreux blogs et/ou commentaires entreverront dans cette affaire, l’œuvre du Mossad et/ou un complot des sionistes.

Marc KNOBEL,

historien, auteur, directeur des Etudes du Crif.

(18 mars 2016)


[1] Entretien avec Nicole Yardeni en juillet 2012.

[2] http://www.ladepeche.fr/article/2012/03/25/1314751-arie-bensemhoun-nous-avons-perdu-le-plaisirde-la-vie.html.

[3] www.grandrabbindefrance.com/drame-de-toulouse-r%C3%A9action-du-grand-rabbin-defrance-gillesbernheim-20032012.

[4] L’imam de Toulon : “L’acte de Mohamed Merah n’a rien à voir avec l’islam” », Var Matin, 22 mars 2012. Cet article est disponible à l’adresse suivante : http://www.varmatin.com/article/var/limam-detoulon-lacte-de-mohamed-merah-na-rien-a-voir-avec-lislam.813856.html.

[5] http://www.atlantico.fr/decryptage/fusillade-toulouse-mais-ou-sont-donc-musulmans-moderes-quisont-censes-condamner-type-action-315295.html

[6] http://religion.blog.lemonde.fr/2012/03/21/les-acteurs-de-la-communaute-musulmane-doiventsinterroger-

sur-la-prevention-de-ces-derives/.

[7] Ibid.

[8] Yves Bordenave et Laurent Borredon, « Questions sur la surveillance de Mohamed Merah par la DCRI », Le Monde, 23 mars 2012.

[9] Interview d’Alain Juppé, Europe 1, 22 mars 2011.

[10] C’est également la thèse de l’enquête fouillée d’Éric Pelletier et Jean-Marie Pontaut, Affaire Merah. L’enquête, Paris, Michel Lafon, 2012.

[11] Jean Decotte, Manuel Valls promet la vérité aux victimes de Mohamed Merah, Le Point, 19 octobre 2012.

[12] Voir à ce sujet Marc Knobel, Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000 – 2013, Paris, janvier 2013, Berg International Editeurs, 350 pages.

Le livre de Marc Knobel: "L'indifférence à la haine" (Berg international éditeurs ; 2015).