Détournement de l’étoile jaune: le sale goût des profanations, des sépultures salies. Par l’écrivain Daniella Pinkstein

Ecrivain, Prix du London Jewish Book 2021, Daniella Pinkstein a adressé à La Revue Civique ce texte, que lui a inspiré l’ignoble détournement du symbole de l’étoile jaune par des anti-vax.

Ils ont choisi, c’est drôle, oui, si drôle, n’est-ce pas, l’étoile jaune. Ils ont choisi de marcher, peinards, sur le ciel plutôt que d’honorer la terre. Avoir le goût des profanations, des sépultures sorties de leur tombeau, dégradées, salies dans le plein jour, pour continuer à rire, avoir le goût de la mort pour, exaltés, débagouler la vie.

Ils ont choisi l’étoile jaune, pas verte ni ocre mais bien celle visible des ténèbres, ils ont choisi de rire avec le show ananas sur des millions de morts vivants. Ils ont voulu crier à la démence d’un vaccin qui pourrait, allez donc savoir, conspirer contre l’ordre du monde. Oui, oui, rions encore avec Dieudonné et Soral, on s’marre avec ceux-là, dans leurs godasses crotteuses ou sur leurs traces. A bas prix, au plus bas prix, indignons-nous !

On pourrait du reste se fendre la gueule ensemble dans un service de réanimation, leur arracher leurs tuyaux, leurs respirateurs à tous ces salopards qui s’accrochent à la barre de leur lit d’hôpital, avant de partir, légers, la bouche en cul, en Inde brûler des cadavres dans une liesse folle d’amour pour la mort pleine de morts. Des morts qu’on brûle de surcroît ! Ce serait vraiment goûteux.

Ils ont choisi mon père, celui de Marc Knobel, ils ont choisi Anne Frank ou petit Simon Rozsenberg qui marchait dans les rues de Paris, l’étoile au manteau, toutes les autres étant éteintes, ils ont tranché pour ce rire-là.

Combien d’autres indécents, d’autres Rebatet hilares, refleurissent encore dans les champs en friche des cimetières

« Je disais l’hiver dernier dans ce journal, ma joie d’avoir vu en Allemagne les premiers Juifs marqués de leur sceau jaune. Ce sera une joie beaucoup plus vive encore de voir cette étoile dans nos rues parisiennes où, il n’y a pas trois ans, cette race exécrable nous piétinait. Nous avons pourtant un regret, qui est vif : c’est que l’étoile jaune ne soit pas imposée par une loi française. » [1]

Regrets inutiles, ce fut fait.

Combien d’autres indécents, d’autres Rebatet, hilares, mais toujours piqués au « vif », refleurissent encore dans les champs en friche des cimetières. Au nom du droit, de la révolution, contre les masses, les endoctrinements, les pouvoirs occultes, au nom peut-être de l’histoire à venir.

« L’étoile jaune renoue avec la tradition la plus strictement chrétienne, celle de la rouelle, qui, durant toutes les époques de vraie et solide foi, les grands siècles de pure civilisation catholique, marquait les Juifs du ghetto, avec le chapeau jaune des Juifs d’Avignon, les Juifs du Pape. Si l’Eglise moderne s’élève contre l’étoile jaune, il lui faut désavouer tous les papes qui l’imaginèrent, puis l’imposèrent. » [2]

La mort pure sans vaccin se vautre sans ségrégation, la mort magnifique, splendide s’élève comme un aigle dans le ciel, renouant avec les cadavres grecs de l’Antiquité laissés à la putréfaction.

Ils ont choisi l’étoile jaune.

Sur l’image d’un enfant ou d’un adulte sidéré, ils ont, en trois clics et un doigt d’honneur, reproduit le dessin, effaçant le nom juif.

« Démocratie = Masse domestiquées, rançonnées, vinaigrées, divisées, muflisées, ahuries par les Juifs au saccage, hypnotisées, dépersonnalisées, dressées aux haines absurdes, fratricides. Perclues, affolées par la propagande infernale youtre : Radio, Ciné, Presse, Loges, fripouillages électoraux, marxistes, socialistes, larocquiste, vingt-cinquième heuriste, ce qu’il vous plaira mais en définitive : conjuration juive, satrapie juive, tyrannie gangrenante juive. » [3]

« Et voilà qu’aujourd’hui les mêmes nous assomment avec leur prétendu génocide », profèrent tous les Céline qui se suivent, en cyberhaine [4], en cyberjouisseurs. Font du flouze avec, dénoncent d’autres encore, ni domestiqués, ni rançonnés. Qui sait même si le vaccin n’est pas confectionné avec leur graisse. Dans le monde de ces nouveaux rebelles où tout est si joliment jaune, est répudié le bleu du ciel qui témoigne encore de quelques filaments.

L’étoile jaune est devenue le lieu de comparaison entre la mort et sa délectation. L’école des cadavres ? On ne pourrait dire mieux !

« Le Goye, qu’un imbécile écho de toutes les volontés juives, décervelé par le chaos de ces fameuses cacophonies. Tout lui est bon pour se raccrocher, n’importe quel mot d’ordre pourri juif. » [5]

Formidable comme on continue à craindre les cervelés qui nous feraient passer pour des cons ! Et combien pressant est-il encore de mêler la justice aux cendres.

Ils ont osé franchir le seuil de l’immondice, des poubelles du monde, du sadisme effarant, de l’indignité radicale.

Ils ont choisi l’étoile de ma mère, celle de mon frère, celle de mon peuple, ils ont osé franchir le seuil de l’immondice, des poubelles du monde, du sadisme effarant, de l’indignité radicale.

Et sur leur veste cousue de honte, le néant s’étale au monde qui nous regarde en sanglotant. 

Daniella PINKSTEIN, écrivain, Prix du London Jewish Book 2021.


[1] L’étoile jaune, Lucien Rebatet.

[2] Ibid.

[3] L’école des cadavres, Céline.

[4] Voir l’ouvrage exceptionnel de Marc Knobel, Cyberhaine qui vient de paraître (aux Editions Hermann, juin 2021)

[5] Ibid.

(24/07/21)

Daniella Pinkstein, écrivain, a travaillé pour plusieurs institutions européennes, elle est collaboratrice à l’Espace Culturel et Universitaire des Juifs d’Europe (ECUJE) et a reçu le Prix du London Jewish Book 2021.