Adieu Chirac. La disparition de l’ancien chef de l’Etat a provoqué une vague d’émotions, qui a dépassé les frontières: générationnelles, politiques, géographiques… Les explications d’une telle re-connaissance sont nombreuses: elles proviennent de la grande longévité d’une carrière politique exceptionnelle: élu en Corrèze en 1965, Jacques Chirac a quitté l’Elysée en 2007; les explications proviennent aussi de la chaleur communicative liée à la personnalité de l’ancien Président, sa capacité à incarner une relation, directe et « charnelle », avec ses compatriotes; cette vague d’émotions renvoie sans doute aussi à une souffrance, qui fut celle de la fin de vie de cet homme à l’énergie légendaire, souffrance qui fut aussi celle que suscita en son cercle familial la maladie de sa fille, Laurence. Longueur et densité d’un parcours politique exceptionnel, chaleur et énergie humaine communicative, souffrance masquée et partagée: avec tous les épisodes historiques qui ont marqué l’engagement de Jacques Chirac, des raisons multiples convergent donc pour porter une émotion nationale et internationale.
Aussi, l’ancien chef de l’Etat a porté et incarné de grandes causes (on peut en dénombrer cinq) qui ont largement dépassé les clivages partisans habituels: la lutte contre l’extrémisme (au singulier et pluriel). Concernant l’extrême droite, Jacques Chirac a représenté une constance sans faille dans l’affirmation d’une intransigeance vis-à-vis de l’extrémisme politique, et du lepénisme en particulier. Il faisait même de cette intransigeance l’une des marques de fabrique de la droite républicaine, qu’il concevait aussi comme un rempart solide contre l’extrême droite nationaliste et xénophobe. L’épisode de 2002, où il fut l’homme d’un très large rassemblement national contre l’extrême droite lepéniste, fut l’un des plus marquants de la Vème République.
La seconde cause que Chirac a incarnée est celle de la Mémoire historique. Dés son élection à la présidence de la République, en 1995, il a tenu à affirmer (contre une partie de ses « compagnons » gaullistes) la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs vers les camps de la mort. Son discours au moment de la commémoration des rafles du Vel d’Hiv, en juillet 1995, a permis de lever un voile supplémentaire sur les responsabilités françaises, concernant le crime contre l’Humanité et la période de l’Occupation. Que ce discours soit prononcé après le départ de François Mitterrand du palais de l’Elysée n’était sans doute pas un hasard.
Dans le domaine mémoriel, Jacques Chirac a tenu à renforcer les actions de l’Etat en diverses directions. Par exemple, il a tenu à ajouter aux dates des grandes commémorations nationales, celle du 25 septembre, intégrée au calendrier officiel, qui honore la mémoire des Harkis (avec une cérémonie qui a lieu chaque année, souvent dans une triste indifférence d’ailleurs, dans la Cour d’Honneur des Invalides).
L’autre cause, à laquelle a pu correspondre Jacques Chirac, a été celle de « l’alerte #Climat »: dans un célébre discours prononcé en 2002 à Johannesbourg en Afrique du Sud au Sommet de la Terre, Jacques Chirac a mis en alerte – « notre Maison brûle » – contre les effets dévastateurs du réchauffement climatique. Dans la salle, se trouvait Nicolas Hulot. Ses paroles apparaissent aujourd’hui visionnaires, préfigurant tous les efforts français qui ont pu aboutir, en 2014, aux fameux « Accords de Paris » (dont les engagements restent encore, en partie, à mettre en application).
Le combat contre le racisme et antisémitisme, Jacques Chirac n’a eu de cesse de le soutenir, par des prises de positions répétées et des actions concrètes aussi, notamment en faveur des associations et des acteurs de la société civile engagés. Chez Chirac, ces efforts concernaient aussi le renforcement des dispositifs en faveur de l’intégration républicaine des étrangers résidents réguliers en France. Il a renforcé par exemple les actions du Haut Conseil à l’intégration, les mesures qu’il préconisait, mettant notamment en œuvre le contrat d’accueil et d’intégration, et une série d’actions qui en découlait à destination du public des migrants et réfugiés arrivant en France.
Enfin, la reconnaissance et le respect des civilisations ont aussi fortement caractérisé la démarche et l’action de Jacques Chirac. Au-delà du grand Musée des Arts Premiers du Quai Branly à Paris, c’est une vision multipolaire de la vie culturelle et de la vie internationale qui a aussi donné un trait de caractère à l’action, diplomatique notamment, de Jacques Chirac. En 2003, son refus de l’intervention américaine unilatérale (non validée par les Nations Unies) en Irak ne s’expliquait par autrement. Son « Oui » à l’intervention militaire en Afghanistan, où la France avait sa part dans le cadre d’une grande coalition, se comprend aussi dans cette perspective. Comme l’actuel Président de la République Emmanuel Macron, Jacques Chirac faisait du multilatéralisme, et du respect des procédures discutables aux Nations Unies, l’un des axes majeurs de sa politique étrangère. Où l’Afrique aussi, comme pour ses successeurs (de Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron en passant par François Hollande), occupe naturellement une place, affective et géostratégique, de première importance.
Bien sûr, l’homme politique Chirac, comme tous, avait aussi ses défauts et a vécu des épisodes contrastés, faits de combats et d’adversités multiples. De contradictions aussi. L’homme était complexe, et son ambition était également légendaire. Le jeune loup a par exemple rompu avec la famille gaulliste en 1974, pour soutenir le candidat libéral et centriste Valéry Giscard d’Estaing, dont il devint le Premier ministre. Deux ans plus tard, il mit en scène sa rupture avec le chef de l’Etat d’alors pour créer le RPR et se tourner vers son seul objectif, la bataille politique pour gagner l’élection présidentielle. Il s’y pris à trois fois avant de la gagner. Ses échecs de 1981, de 1988 ne l’ont pas découragé à tenter sa chance une troisième fois, contre tous les pronostics, en 1995.
,Sur le thème de la « fracture sociale » – inspirée notamment par Philippe Séguin et ses proches -, Jacques Chirac fut élu pour la première fois Président de la République (contre Lionel Jospin au second tour; et éliminant son concurrent Edouard Balladur, au premier tour). Après une dissolution ratée de l’Assemblée Nationale en 1997, Jacques Chirac fut à nouveau candidat à l’élection présidentielle de 2002. Tout le monde attendait un nouveau duel Jospin-Chirac. Or, ce fut une surprise et un choc: le candidat de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, réussit à accéder au second tour. Avant d’être battu par une écrasante majorité d’électeurs (plus de 80%) qui choisit Jacques Chirac. Cette date faisait, aussi pour les plus jeunes générations, l’entrée dans l’Histoire de celui qui a pu ainsi et au final incarner une terre républicaine française, de contraste.
JPM
(28/09/19)