Charlie hebdo: la liberté (et la presse satirique) vraiment le bout du tunnel ? (par Marc Knobel)

Deux ans après l’attaque terroriste qui a décimé la rédaction de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, puis tué une policière à Montrouge, puis quatre autres personnes à l’Hyper Casher de Vincennes, voici la tribune de l’historien, chercheur et essayiste Marc Knobel, membre du conseil éditorial de la Revue Civique.

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« 2017. Enfin le bout du tunnel », titre (presque) ironiquement Charlie Hebdo en Une d’un numéro spécial vendu en kiosque en France ce mercredi 4 janvier 2017, près de deux ans après l’attaque qui a fait 11 morts au siège du journal satirique. Cette couverture du numéro 1276 est signée du dessinateur Foolz, membre de la nouvelle génération qui anime les pages du journal. Le dessin montre un personnage hilare qui regarde dans le canon d’un fusil tenu par un islamiste.

L’ancienne équipe de Charlie Hebdo avait été décimée le 7 janvier 2015. En fin de matinée (vers 11 h 30), deux islamistes radicaux, les frères Chérif et Saïd Kouachi, cagoulés et lourdement armés, font irruption dans les locaux du journal à Paris 11ème et y ouvrent le feu à la kalachnikov. Cabu, Elsa Cayat, Charb, Honoré, Bernard Maris, Mustapha Ourrad, Michel Renaud, Tignous, Georges Wolinski, le garde du corps Franck Brinsolaro et l’agent de maintenance Frédéric Boisseau sont tués. Le policier Ahmed Merabet est abattu près du siège du journal, quelques minutes après. Le 14 janvier 2015, Al-Qaïda au Yémen revendique l’attentat contre Charlie Hebdo dans une vidéo. Le lendemain de l’attentat, 8 janvier, Amédy Coulibaly, délinquant multirécidiviste, tue une policière municipale à Montrouge, en banlieue parisienne. Le 9 janvier, il prend en otages les clients et le personnel d’une épicerie juive de Paris, l’Hyper Cacher. Il tue quatre personnes et meurt lors de l’assaut donné par les policiers.

Au fond, Charlie Hebdo, c’était tout ce qu’ils détestent: un brin d’insolence, la liberté chérie, le Verbe, le questionnement, l’enquête, la dénonciation des abus et des malversations, des crimes, de la corruption, du fanatisme. Charlie interroge, malmène quelquefois et durement, mais pointe du doigt les incohérences, les folies, les mensonges. L’hebdo parle au monde et parce qu’il parle, il fallait/faudrait le faire taire définitivement.

Liberté de la polémique

Au lendemain de la tuerie, le chroniqueur du journal satirique Patrick Pelloux affirmait aussitôt que «le journal va continuer, ils n’ont pas gagné» (Patrick Pelloux : «Le journal va continuer, ils n’ont pas gagné», sur le site de la chaîne I-Télé, 8 janvier 2014.). Il est d’ailleurs décidé le 8 janvier 2015, lendemain de l’attentat, que le nouveau numéro paraîtrait le mercredi suivant, jour de sa parution habituelle. Il est exceptionnellement tiré à cinq millions d’exemplaires, traduit en seize langues et exporté dans plusieurs pays dès le 15 janvier 2015. Le journal, réalisé cette fois dans les locaux du quotidien Libération, situé alors dans le 3ème arrondissement de Paris, a pour couverture un dessin de Luz qui représente le prophète Mahomet sur fond vert, la couleur de l’islam, une larme qui coule sur la joue, tenant une pancarte «Je suis Charlie», avec comme surtitre «Tout est pardonné.» Presque un an jour pour jour après l’attaque terroriste qui avait ensanglanté la rédaction de l’hebdomadaire satirique, un numéro spécial de Charlie Hebdo est publié, dépassant le million d’exemplaires. A la Une, apparaît une caricature montrant un dieu armé, sous le titre de « un an après, l’assassin court toujours ». Signée par Riss, le patron de Charlie Hebdo, cette caricature fait polémique. Par la suite, d’autres polémiques auront lieu, lorsque le journal tapera ici ou là, à tort ou à raison.

Quelques mois plus tard, une enquête pour menaces de mort est ouverte, en toute discrétion, par le parquet de Paris, le 22 juin 2016, selon Le Parisien dans son édition du 29 juin 2016, après la publication de plusieurs messages sur la page Facebook du journal satirique. Des messages, qualifiés de «très menaçants» et laissant entendre que plusieurs membres de la rédaction allaient être, à nouveau, pris pour cibles.  Les auteurs de ces messages, postés sur la page officielle Facebook de Charlie Hebdo -et retirés depuis- ont clairement évoqué vouloir s’en prendre physiquement aux journalistes de l’hebdomadaire satirique. «Il y est notamment question de tuer, à nouveau, plusieurs membres de la rédaction». Durant les mois de juillet-août dernier, l’hebdomadaire reçoit une soixantaine de messages glaçants, d’insultes et de propos antisémites sur sa page publique Facebook. Les menaces sont postées après la Une du 14 juillet de l’hebdomadaire. En plein Euro 2016, elle montrait le footballeur français Antoine Griezmann caricaturé en vibromasseur, accompagné de cet encouragement : «Faites-nous vibrer !» Il, rapporte Le Parisien, le 12 août 2016.

« Il faut rire. Jusqu’au bout « 

Comment vas-tu Charlie Hebdo ?

S’il tourne toujours autour de l’autodérision, car les publications des deux dernières années montrent et démontrent que le journal a su préserver sa signature grinçante et subversive, l’esprit Charlie a quelque peu changé. Pour Riss, le directeur de la rédaction (LCI, 5 janvier 2017) l’esprit Charlie c’est désormais un journaliste enfermé dans un coffre-fort. «Parce que maintenant, c’est dur d’y entrer». (…) «Faut rire quand même. Faut rire jusqu’au bout», plaisante-t-il en esquissant un cadavre soufflant dans un sifflet sans-gêne… Pourquoi? Parce que la rédaction de Charlie Hebdo fait toujours l’objet d’une protection policière renforcée depuis l’attentat du 7 janvier 2015.

Cependant, selon la direction (cité par Ozap.com, 4 janvier 2017), Charlie Hebdo se vend en kiosques à 50.000 exemplaires chaque semaine, et 50.000 abonnés continuent à le recevoir à leur domicile, soit une diffusion payée de 100.000 numéros. L’hebdomadaire n’a (donc) pas à s’inquiéter pour son avenir, grâce à une trésorerie de 10 millions d’euros qui lui permet de financer de nombreux projets, dont le lancement d’une version allemande il y a quelques semaines.

Au final, en France, en Europe, ailleurs aussi, on ne peut s’empêcher de penser que les obscurantistes fêlés, les fanatiques monstrueux, les idéologues tarés, les assoiffés de sang, les paumés et les fous de Dieu, veulent, voudront continuer d’assassiner nos compatriotes, nos amis, les touristes, des étrangers et de semer la mort et la désolation. On ne peut s’empêcher de penser que ces terroristes fous et sanguinaires magnifient la mort alors que nous aimons, que nous adorons la vie, toujours.

Et, c’est ainsi que l’on assiste à la pression toujours plus accentuée d’une idéologie islamiste monstrueuse (et réactionnaire de force) contre quelque chose qui pourrait mourir béatement, avec couronnes et fleurs de rhétorique, si nous n’y prenons garde : LA LIBERTÉ !

Marc KNOBEL,

historien et essayiste.