Comment une manifestation réunissant une vingtaine de femmes (épouses ou conjointes de militaires) a pu faire les JT (journaux télévisés) de 20 heures sur les grandes chaînes (y compris du service public) ? Suffirait-il de réunir une petit groupe bruyant, sur un sujet sérieux et important, pour attirer les caméras et « faire l’événement » ? A l’heure de la lutte (nationale, européenne et mondiale) contre le terrorisme, la protestation de certaines de ces femmes de soldats, a découvert aussi La Revue Civique au 20 heures d’une grande chaîne, portait notamment sur… la qualité des semelles de rangers !!! Quel enjeu de première importance !
Ici, l’auteur et chroniqueuse de presse Geneviève Jurgensen, qui livre chaque week end ses réflexions argumentées dans le journal La Croix, nous transmet son vif étonnement sur cette manifestation de femmes de soldats, dont la représentativité est plus qu’hypothétique: « Il y eut une vingtaine de manifestantes, et sans doute plus de journalistes… » a-t-elle observé. Et de s’interroger sur le sens d’un tel traitement médiatique. A réfléchir, en effet…
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Deux semaines avant qu’elles ne se réunissent devant les Invalides, un reportage leur avait déjà été réservé au journal de 20 h sur TF1: ça allait barder ! Les femmes de militaires, non tenues au devoir de réserve, n’allaient pas se priver de dénoncer le « ras le bol » de leur mari…
La veille, le jour même et jusqu’au lendemain de leur rassemblement à Paris, samedi 26 août, les échos se sont multipliés : danger permanent, plus grand dans la mission Sentinelle qu’en terrain hostile à l’extérieur de nos frontières, privation de vie de famille insupportable, asthme dû à l’humidité des locaux d’hébergement, soldes versés avec retard… Le Figaro évoquait les quelque 5200 membres du collectif « Femmes de militaires en colère » qui allaient faire parler d’elles. Et de fait, jusqu’au lendemain du rassemblement, on en a parlé. Sur les réseaux sociaux, leur plainte fut abondamment relayée.
Une vingtaine de manifestantes,
et sans doute plus de journalistes…
Quiconque s’en tenait à ces reportages et ces relais pouvait légitimement croire l’armée plongée dans une crise grave, en rupture avec le gouvernement, au bord du putsch en somme.
Une simple consultation des vidéos accessibles sur le web montre pourtant l’écart entre l’importance de la manifestation et les commentaires qui l’accompagnent. Il y eut une vingtaine de manifestantes, et sans doute plus de journalistes. Des manifestantes respectables bien sûr, car la qualité d’une cause est sans lien avec le nombre de personnes qui la soutiennent, mais vingt, voire trente personnes, c’est plus proche de rien que d’un soulèvement ou même d’une bronca.
Faire croire à une vaste protestation…
Visiblement, l’écho très large remporté par ces rares protestations visait plutôt à faire croire que l’Élysée avait perdu le contact avec l’armée. Plus ou moins emphatiques, les commentateurs n’avaient, on peut l’imaginer, pas le souci des conditions de vie des soldats. Il s’agissait de relancer si possible, par une protestation cette fois venue de la base, la polémique de juillet qui s’était conclue par la démission du Chef d’état major des armées.
Une réalité bien différente : une armée loyale et dévouée
La réalité que beaucoup d’entre nous ressentent, toutefois, est bien différente.
Partout dans nos villes, matin, midi et soir, nous croisons ces soldats, calmes, vigilants. Les événements l’ont montré, leur présence détourne sur eux l’attention des attaquants. Après plusieurs incidents sérieux, et alors que depuis deux ans 7000 hommes armés patrouillent quotidiennement, mêlés à la foule, pas une seule bavure n’est à déplorer. Les conditions de vie qu’accepte un soldat sont spartiates et sa famille porte sa part du sacrifice. Mais c’est bien mal lui montrer notre gratitude que de faire passer pour amère et rétive une armée que nous voyons tous les jours loyale, professionnelle et dévouée.
Geneviève JURGENSEN,
chroniqueuse au journal La Croix.