Populistes, « perturbateurs de l’Europe » (par l’European Policy Centre)

Ci-haut sur la photo :

Marine Le Pen : Présidente du Front National (France)
Nigel Farage : Président du Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni (UKIP) (Royaume-Uni)
Frauke Petry : Présidente de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) (Allemagne)
Matteo Salvini : Secrétaire fédéral de la Ligue du Nord (LN) (Italie)

L’Europe est victime de plusieurs crises externes, comme les migrations ou le terrorisme, et internes, comme le populisme. Ce dernier révèle et accentue la méfiance des citoyens envers leurs représentants politiques traditionnels et les institutions. Une logique qui peut devenir dangereuse. L’European Policy Centre a publié (mars 2016) une analyse sur les effets du populisme en matière de politique internationale et propose un décalogue de conseils aux partis traditionnels pour lutter contre la propagation des discours de défiances et de haine.

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Les partis populistes sont facilement reconnaissables notamment car ils sont plus une force de blocage qu’une source de propositions viables. Ils préconisent des solutions simples à des problèmes d’une certaine complexité, sans jamais prendre en considération le rapport de force existant sur la scène nationale et internationale. Ils brouillent le débat, au lieu de l’éclairer. La preuve : les affaires internationales n’ont, traditionnellement, pas beaucoup intéressé la plupart de ces partis.

Cela a changé, cependant, depuis l’éclatement de la crise des réfugiés et la recrudescence de la menace terroriste : une conjoncture qui a mis en évidence le fragile équilibre existant entre politique intérieure et politique internationale. La participation des partis populistes aux élections européennes les a aussi obligés à élargir leurs agendas politiques pour apporter des réponses aux grands enjeux continentaux mais leur engagement international dépend surtout des bénéfices qu’ils cherchent à en tirer dans leurs calculs politiques au niveau national.

Quels sujets préfèrent les populistes ?

Selon l’European Policy Centre, dans le document Europe’s Troublemakers – The Populist Challenge to Foreign Policy (mars 2016), il y a dans la sphère internationale six sujets récurrents que ces partis abordent régulièrement :

1/ L’antiaméricanisme, illustré par les accusations qu’ils portent contre les États-Unis, considérés par exemple comme coupables de la crise des réfugiés en raison de leurs interventions en Irak et en Libye.

2/ Le mariage de convenance avec la Russie. Par exemple de russophilie, citons Matteo Salvini, leader de la Ligue du Nord italienne, qui a déclaré que « la Russie représente l’avenir », ou Marine Le Pen, pour qui la Russie fait partie « de l’héritage chrétien de la civilisation européenne ». Ils semblent partager avec Poutine un même ennemi, le projet européen, et les méthodes autoritaires.

3/ Leur opposition par principe à tout interventionnisme militaire. Ainsi, les partis d’extrême droite soutiennent une approche basée sur une militarisation cantonnée au territoire national et à la dissuasion nucléaire. Les partis de gauche radicale, traditionnellement favorables à une réduction des dépenses militaires et imprégnés de l’idéologie antimilitariste, souhaitent soumettre au scrutin public toute intervention militaire par la voie du référendum.

4/ Une réduction très significative de l’aide au développement. Dans un contexte d’austérité, ils essaient de lancer un débat sur l’efficacité de l’aide apportée aux pays tiers et proposent que ces fonds soient plutôt versés aux plus démunis de la population nationale. Le Gouvernement finlandais, par exemple, a réduit de 43% le budget dédié à cette cause de l’aide au développement.

5/ Une critique persistante du commerce international et en particulier –même si elle est partagée par d’autres comme certains partis sociaux-démocrates ou les Verts– du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Leur motivation, pourtant, diffère : la racine de la critique, du côté de la gauche radicale, se retrouve dans leur posture anti-globalisation ; à la droite extrême, la posture avancée est celle du nationalisme économique. Même pour un parti comme l’UKIP britannique, favorable en principe au libre commerce, la question clé du partenariat avec les États-Unis est qu’il est, selon lui, « imposé par l’UE ».

6/ La politique migratoire. Les partis de gauche radicale promeuvent des mécanismes pour assurer que les migrations, légales ou illégales, se produisent dans le respect des Droits de l’Homme, mais aucune mention n’est faite au coût de la libre circulation de personnes. À l’inverse, inquiétants, les propos et postures xénophobes des dirigeants d’extrême droite demandent l’abolition de l’Accord de Schengen pour réinstaurer des frontières nationales. Ils criminalisent l’immigration irrégulière et stigmatisent systématiquement les migrants (y compris en situation régulière, qui travaillent, contribuent aux impôts et à la richesse nationale) qui, selon eux, ne viennent que pour « profiter de l’argent européen ». L’extrême droite européenne souhaite expulser les migrants résidents s’ils commettent des délits, prétend supprimer le droit au regroupement familial au nom du « démon multiculturel » et en viennent même à associer les réfugiés aux terroristes, comme c’est le cas de Viktor Orbán.

 Le message populiste a-t-il été légitimé ?

Aujourd’hui les populistes, en exploitant les peurs, ont une influence disproportionnée dans le débat migratoire. Sur d’autres questions, les principaux partis ont réussi pour l’instant à repousser le défi populiste.

« Tant que les Gouvernements adopteront la rhétorique anti-immigration des populistes, ils seront incapables de trouver des solutions appropriées », avertit l’European Policy Centre. Les populistes seront en mesure d’exploiter les faiblesses et les contradictions des dirigeants européens dans leur gestion, par exemple, de la crise des réfugiés. Trouver un moyen de sortir de ce cercle vicieux est l’un des plus grands défis auxquels l’Europe est confrontée.

L’influence des populistes sur le langage et le ton dans le débat public et l’utilisation de dispositifs rhétoriques qui fermentent la peur, la haine et la xénophobie ont également des conséquences durables. En les reprenant, continue le think-tank bruxellois, les hommes politiques traditionnels les ont légitimés, ce qui est très dangereux car à long terme les dynamiques qui se déclenchent peuvent être incontrôlables. Ces messages risquent de changer la manière dont l’Europe et ses citoyens interagissent avec le monde. Le populisme est donc un symptôme, poursuit l’European Policy Centre, d’une profonde crise du modèle de la démocratie libérale qui doit être résolue.

 Comment combattre le message simpliste ou haineux ?

En politique, comme dans d’autres champs de bataille, la meilleure défense est souvent une bonne attaque. Pourtant, il ne s’agirait pas de combattre l’idéologie des populistes mais belle et bien de structurer une alternative crédible et positive à leurs messages qui puisse provoquer l’adhésion. Ainsi, déclare l’European Policy Centre, les hommes politiques traditionnels mettront en évidence l’incapacité des populistes à proposer des solutions réalistes et crédibles aux défis de demain.

Voici dix bonnes pratiques que le think-tank bruxellois suggère aux hommes politiques européens pour combattre cette menace interne :

1/ Ne jamais accuser une idée populiste de populisme sans expliquer pourquoi. La seule évidence qu’elle soit défendue par un parti considéré comme tel ne suffit plus. Cette stratégie tendrait à renforcer leur légitimité « antisystème » et à les rendre plus radicaux.

2/ Les populistes partent souvent d’un bon diagnostic de la situation même si, ensuite, ils instrumentalisent une situation et n’apportent que de fausses solutions. Une bonne méthodologie pourrait être d’écouter  leur analyse pour proposer après des alternatives viables et prometteuses.

3/ Parfois, juste parfois, les populistes, eux aussi, apportent de bonnes réponses, ajoute ce think-tank. Refuser une mesure seulement parce qu’elle provient d’un parti populiste pourrait avoir l’effet inverse à celui qui est recherché : cela leur permettrait d’augmenter leur victimisation et nourrit leur argument selon lequel l’establishment est toujours contre eux, quoi qu’ils fassent. Dans ce cas-là, il serait préférable, estime toujours l’European Policy Centre, d’accepter une de leur proposition politique tout en expliquant bien les propres motivations, qui seront très différentes.

4/ Les citoyens nourrissent des doutes et des craintes sur la façon dont les affaires internationales peuvent conditionner leur vie quotidienne. Les hommes politiques doivent évoquer plus fortement encore des questions comme le terrorisme, la guerre ou le commerce international, ceci de manière plus proactive et pédagogique, en expliquant au public les circonstances, les enjeux et les réponses que l’on souhaite favoriser.

5/ La seule chose que les hommes politiques devraient copier c’est leur succès sur les réseaux sociaux. Le moment est arrivé de récupérer l’espace perdu face aux populistes sur les questions sociales ou sociétales.

6/ Quand bien même les médias auraient leur part de responsabilité en accordant une couverture médiatique disproportionnée aux populistes, les rendant plus importants que ce qu’ils sont réellement, il revient aux hommes politiques de construire des récits alternatifs qui soient attirants pour les médias. Et ils devraient le faire dans un langage compréhensible.

7/ La crise des réfugiés a provoqué une mobilisation civique extraordinaire. Sans l’aide des citoyens les institutions locales n’auraient pas été en mesure de gérer la pression des flux. Les hommes politiques devraient donner la voix à cette « majorité silencieuse » qui, très souvent, n’est pas d’accord avec les messages des populistes d’inspiration xénophobes.

8/ Éviter les fausses promesses que les hommes politiques ne pourront pas tenir. Sinon, cela laissera la possibilité aux populistes de surfer sur la « trahison des politiques ». Il n’y a rien de mal à reconnaître que certains des défis auxquels sont confrontées les sociétés modernes sont très complexes et requièrent d’une réponse concertée. L’honnêteté et le courage, à long terme, paient.

9/ Pendant des années, les hommes politiques ont essayé de gagner le soutien des citoyens en arguant «qu’il n’y a pas d’alternative » à leurs mesures. Ce n’est pas seulement faux, mais aussi dangereux, car l’argument remet en cause le concept même de dissension démocratique, alors qu’il est légitime en démocratie de remettre en question les mesures provenant du pouvoir. Pourtant, il est essentiel que cette dissidence soit pro-européenne, et il est urgent que les partis traditionnels (de droite, de gauche, du centre) récupèrent le débat politique, montrent des alternatives et des différences, afin que les citoyens ne cherchent pas les alternatives ailleurs, aux extrêmes.

10/ Enfin, la meilleure réponse est bien sûr d’avoir une politique vraiment efficace et convaincante car même la meilleure des stratégies de communication ne peut suffire.

L’urgence de trouver des solutions

Parfois la solution ne passe pas par plus d’Europe mais par une meilleure Europe : les hommes politiques ne devraient jamais oublier que les décisions devraient être prises au niveau le plus efficace, que ce soit européen, national ou local, selon le principe de subsidiarité. Cela permet la mise en perspective, et en œuvre, de politiques plus inclusives et donc plus légitimes.

En dépit de leurs succès dans les sondages et de leur capacité à utiliser les medias (notamment télévisuels, et les réseaux sociaux), il est peu probable que les populistes puissent arriver au pouvoir à court et moyen terme. Même lorsqu’ils font partie des gouvernements de coalition en Europe, estime ce think tank, ils tendent à se conformer aux règles habituelles sur les questions de politique étrangère plutôt qu’à forcer un changement radical de direction.

Cependant, même si leur impact sur les choix concrets de politique a été marginal, cela ne signifie pas que les populistes ne profitent pas d’une certaine légitimité conquise dans le débat : ils consolident de plus en plus leur place sur certains dossiers comme le terrorisme, la gestion de la crise des réfugiés ou même l’Ukraine, car ils savent très bien exploiter les divisions des sociétés européennes et certaines situations de crise. Voilà pourquoi les hommes politiques doivent réagir : il est urgent qu’ils apportent des réponses à la fois réalistes et pleines d’espoir aux messages simplistes et d’exclusion haineuse que nous entendons trop souvent sur notre continent.

Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ

Pour aller plus loin:

► Les perturbateurs de l’Europe : le défi populiste en matière de politique étrangère, par Rosa BALFOUR, Janis A. EMMANOUILIDIS, et al., une publication de l’European Policy Centre (mars 2016)

► Entretien avec Antoine VITKINE, réalisateur du documentaire « Populisme, l’Europe en danger » (La Revue Civique) 

► Entretien avec la politologue Catherine Fieschi, spécialiste des populismes et des extrémismes (La Revue Civique)