A un an de la présidentielle, en terme d’opinion publique, la seule et spectaculaire constance est à la faveur d’Alain Juppé. Alors que les cotes de tous les autres prétendants à la fonction suprême sont l’objet d’une instabilité – et pour les plus importants d’entre eux, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Manuel Valls, d’une instabilité à la baisse –, le seul présidentiable qui se voit porté haut, en surplomb de tous les autres, est et reste le Maire de Bordeaux.
Chaque mois, le « baromètre politique Viavoice-Libération » permet de faire les comparaisons utiles et la dernière livrée[1] amplifie l’idée d’une échappée d’Alain Juppé, loin devant ses concurrents : « alors que les clivages s’aiguisent à gauche, le leadership d’Alain Juppé s’amplifie à droite, définissant un ‘sacre d’opinion’ en sa faveur », relèvent François Miquet-Marty, Président de l’institut Viavoice, et Aurélien Preud’homme, consultant de cet institut, dans la note d’analyse de ce baromètre.
A la question-clé « Pour la France à partir de 2017, chacune des personnalités suivantes serait-elle d’après vous un bon Président de la République », les Français répondent en marquant ainsi un grand écart entre Alain Juppé et toutes les autres personnalités de droite ou du centre. 22 points d’écarts (48% contre 26%) séparent le Maire de Bordeaux et celui qui arrivent en seconde position à la cote du bon Président futur : il s’agit d’ailleurs non pas de Nicolas Sarkozy mais de François Fillon, qui devance l’ancien chef de l’Etat, en tout cas sur cette qualité présumée du bon Président pour le futur.
La primauté de la crédibilité
Malgré ses efforts de communication, le Président des Républicains n’arrive donc pas à enrayer une tendance au déclin de sa cote personnelle: Nicolas Sarkozy « dont l’image est pénalisée par les affaires, ne parvient pas à imposer une dynamique nouvelle, y compris après la publication de son livre, analysent François Miquet-Marty et Aurélien Preud’homme. Considéré comme bon Président potentiel par seulement 24% des personnes interrogées, poursuivent-ils, l’ancien chef de l’Etat se voit désormais talonné par Bruno Lemaire », et aussi par François Bayrou, qui est à un point de Nicolas Sarkozy, dans les réponses à la question du « bon Président » d’avenir.
Mais qu’en est-il du côté des sympathisants de droite et du centre, quand la question du « meilleur candidat », plus politique, est cette fois posée ? Là encore, alors que le reproche lui était fait de puiser ses soutiens à gauche, Alain Juppé enregistre une avance confortable, de 13 points (36% contre 23%), sur Nicolas Sarkozy. Arrivent ensuite, loin derrière, toujours aux yeux des sympathisants de droite ou du centre, Bruno Lemaire (12%), François Fillon (7%) étant cette fois « décroché », en ce qui concerne sa capacité à être le bon candidat de son camp. Même si les effets d’une campagne des primaires peuvent changer la donne, il apparaît que, depuis deux mois et malgré (ou à cause de) diverses expressions publiques de Nicolas Sarkozy, celui-ci n’a pas réussi à remonter cet écart qui le sépare d’Alain Juppé, dans l’esprit des sympathisants de son propre camp. L’approche des primaires de la droite et du centre, pour l’instant, n’y a rien changé. Il semble même que ce soit le contraire : la primauté de la crédibilité (et de la constance) juppéiste semble devenir un argument de campagne.
Calme olympien du Maire de Bordeaux, qui peut engranger périodiquement des soutiens, contre une certaine fébrilité, voire nervosité, qui s’empare de Nicolas Sarkozy, qui en vient à accabler de reproches des soutiens considérés comme naturels ? Dans l’article du Monde, « Devant les patrons, Sarkozy distribue des claques »[2], les propos de l’ancien chef de l’Etat sonnent comme un constat et un reflet d’amertume. Par exemple, quand il évoque tout haut ce qui lui a manqué comme soutiens, dès le début de son mandat : « En 2007, je me suis retrouvé seul à défendre le bouclier fiscal ». Ajoutant, devant un auditoire patronal douché froid : « Le problème, c’est que ceux qui en ont bénéficié n’ont rien dit ». Evoquant une série de réformes, réalisées de 2007 à 2012, il redouble dans les reproches : « J’aurais tant aimé sentir votre pression positive à ce moment-là, mais je n’ai rien senti du tout ! » Ce sentiment de solitude rétrospective ne revient-il pas dans son propos, précisément dans une période où ce sentiment le traverse à nouveau ?
Le Président en 17ème position comme « bon Président » après 2017…
La solitude est en tout cas un sentiment qu’il doit partager avec son adversaire de 2012, François Hollande qui, dans le même baromètre mensuel, a dévissé au plus bas niveau enregistré à la question du « bon Président » après 2017. Dans le classement, que surplombe Alain Juppé, l’actuel Président de la République n’arrive qu’en 17ème position (10% de réponses positives seulement), un point derrière Laurent Wauquiez et au même niveau… qu’Olivier Besancenot. Une baisse de 7 points en un mois, alors que le niveau de février n’était déjà pas bien haut. Même si la cote de Manuel Valls reste nettement supérieure (avec 24% de réponses positives) à celle de François Hollande, elle a subi la même chute (de 7 points) : « une baisse correspondant à sa position en première ligne sur le projet de loi El Khomri, mais également à des déclarations de moins en moins conciliantes avec le reste de la gauche », relèvent François Miquet-Marty et Aurélien Preud’homme.
Situation de « turbulences à gauche », ajoutent-ils. Les spéculations risquent en effet d’aller bon train, dans les semaines qui viennent, sur les hypothèses de primaires à gauche, de candidatures dissidentes ou frondeuses. Parmi les sympathisants de gauche, la cote de Martine Aubry est remontée à la 1ère place (17%) à un petit point devant Manuel Valls, à la question du « meilleur candidat » pour représenter la gauche en 2017. Le Premier ministre est devancé, à la question du « bon Président » potentiel, non pas par Martine Aubry mais par Emmanuel Macron mais ce dernier n’a que de très faibles soutiens, parmi les sympathisants de gauche, quand il s’agit de définir « le meilleur candidat » de la gauche : seulement 5% des sympathisants de gauche nomme le Ministre de l’Economie et le Premier ministre demeure le plus soutenu dans le camp socialiste lui-même, largement devant Emmanuel Macron, avec 26% contre 3%.
De cette situation troublée à gauche, nul ne peut prédire ce qu’il en sortira réellement, même si le malaise peut progresser rapidement à constater que la situation se dégrade à ce point, pour l’exécutif, à un an de l’échéance présidentielle. Une situation troublée, sur fond d’actualité tendue liée aux attaques terroristes, risquant d’entraîner un effacement de la gauche, au profit d’un duel droite-centre contre FN à l’horizon 2017. François Hollande pourra-t-il durablement faire le dos rond ? Pourra-t-il tenir ainsi jusqu’en décembre, date à laquelle il a confié prendre sa décision de candidature ou de renoncement ? Gageons qu’au sein même de l’exécutif, la question pourra lui être, amicalement mais régulièrement, posée.
Jean-Philippe MOINET,
auteur, fondateur de la Revue Civique,
directeur conseil à l’institut Viavoice
► Les résultats complets du baromètre politique Viavoice-Libération de mars 2016
► L’article de Libération sur ce baromètre et le record de baisse de François Hollande