Depuis plusieurs années, souligne la Directrice générale de la Fondation Robert Schuman, Pascale Joannin, les études de cette Fondation montrent que la situation des femmes en Europe, qui est encore l’une des meilleures au monde pour l’instant, progresse, mais à un rythme bien trop lent. Aucun fait majeur, aucune avancée forte, aucun souffle nouveau, un peu à l’image générale de l’Europe. Malgré les nombreux travaux qui démontrent que l’implication et la participation des femmes dans la vie des entreprises auraient un impact bénéfique sur les résultats économiques, les sociétés peinent à les faire émerger. Le résultat en est une certaine atonie globale qui caractérise notamment l’Europe. Davantage de femmes aux postes de responsabilité sur ce continent et les choses iraient mieux ? Sans aucun doute diront certains, pas sûr répondront d’autres. Encore faudrait-il se donner les moyens d’essayer.
Voici le texte intégral de la tribune de Pascale Joannin :
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Un bilan électoral en demi-teinte
De nombreuses élections ont eu lieu en Europe cette année sans qu’elles entraînent une progression majeure de la représentation des femmes dans les parlements (la moyenne européenne est de 28,5 %) ou dans les gouvernements (la moyenne européenne s’élève à 27 %).
L’année avait pourtant bien commencé avec l’élection d’une femme à la présidence de la Croatie en janvier : Kolinda Grabar-Kitarovic ayant créé la surprise en battant le président sortant, Ivo Josipovic. Le renouvellement tant attendu était-il enfin à l’œuvre ?
Il s’est bien entendu manifesté en Grèce avec l’arrivée au pouvoir fin janvier de la coalition de gauche radicale d’Alexis Tsipras, confirmée en septembre, qui doit surtout être analysée comme une victoire face aux anciens partis usés notamment le PASOK. D’un gouvernement de gauche extrême d’habitude si prompt à mettre la parité en avant, on se serait attendu à une percée significative des femmes dans le gouvernement grec. Il n’en a rien été : aucune femme n’y exerce un ministère de plein exercice !
Le renouvellement s’est ensuite purement stoppé. Il y a eu bien entendu, ici ou là, des alternances. Des gouvernements sortants ont été battus, comme par exemple au Danemark et en Pologne, entraînant la chute de deux femmes Premiers ministres : Helle ThorningSchmidt et Ewa Kopacz. Dans ce dernier cas, une femme est devenue Premier ministre, Beata Szydlo, mais elle n‘est pas la responsable du parti Droit et Justice (PiS) qui a remporté les élections. Le vrai leader est Jaroslaw Kaczynski. Sera-t-elle sa marionnette, son porte-voix ou parviendra-t-elle à réellement s’imposer ?
Des majorités étriquées n’ont pas permis au parti arrivé en tête du scrutin de garder le pouvoir (Portugal), ont amené des choix apolitiques (Croatie), ou encore obligé à des coalitions surprenantes (Finlande). En Espagne, la situation est incertaine. Dans tous les cas, les femmes n’ont pas eu le beau rôle dans ces jeux politiques dont les citoyens se détournent de plus en plus. Une des raisons de cette « fatigue » ne viendrait-elle pas aussi de l’absence manifeste de femmes ? Deux gouvernements ont été reconduits en Estonie et au Royaume-Uni.
Dans ce pays, au-delà de la nette victoire des Conservateurs de David Cameron qui ne sont plus désormais liés par une coalition, l’autre grand vainqueur du scrutin est Nicola Sturgeon, patronne du Scottish National Party (SNP), Premier ministre d’Écosse, qui a obtenu un triomphe en remportant 56 sièges sur 59 en Écosse ! Cette victoire est aussi un défi pour le référendum sur l’appartenance à l’Union européenne que le Premier ministre britannique veut organiser en 2016. Si Londres envisageait de sortir, un nouveau référendum en Écosse serait inévitablement organisé. Et le royaume pourrait cesser d’être uni. En dehors de l’Union européenne et dans des pays voisins, la situation n’est guère plus satisfaisante.
Si, en Suisse, les femmes représentent 32 % des députés au Conseil national, chambre basse du Parlement, soit plus que la moyenne de l’Union européenne (28,5 %), il n’y a plus que 2 ministres femmes au gouvernement (sur 7). Le cas de la Turquie est pire : on compte le même nombre de femmes ministres mais sur 27 ! Et il n’y a que 14,9 % de femmes parmi les députés. Vraisemblablement la dérive islamiste de l’administration Erdogan est pour quelque chose dans cette régression.
Dans les élections locales en Espagne, il y a eu la prise symbolique des mairies de Madrid et de Barcelone par des femmes issues de partis d’extrême gauche. En France, les élections départementales ont certes porté 50 % de femmes parmi les élus mais… seulement 10 femmes sur 101 à la présidence de l’exécutif (9,90 %) ; et les élections régionales 3 sur 18 (16,6 %) dont Valérie Pécresse en Ile-de-France. Cela est mieux mais reste encore trop peu.
De nombreuses voix appellent à un renouvellement des anciennes structures politiques, notamment des partis traditionnels. Serait-ce la gent masculine qui les phagocyte ? Ils chantent les vertus du rajeunissement mais celui-ci passe aussi très évidemment par une réelle féminisation. Des jeunes sûrement, des jeunes femmes assurément.
La moitié de la population doit être représentée, ce qui n‘est pas le cas actuellement. La scène politique manque de femmes.
Reste Angela Merkel, la chancelière allemande, qui a fait couler encore beaucoup d’encre avec ses prises de positions sur l’Ukraine, sur la crise grecque ou, surtout, sur la question des réfugiés. Elle, qui sait tenir tête à Vladimir Poutine comme à son opinion publique, rappelle les valeurs fondamentales de l’Union et fait preuve d’un grand courage et de beaucoup d’humanité dans cette crise tragique des migrants. Est-ce parce qu’elle est une femme que les critiques contre elle ont été si virulentes ? Son attitude est d’autant plus remarquable que ses homologues masculins du Conseil font tous bien pâle figure à côté d’elle. Ses détracteurs, qui frôlent parfois la germanophobie, n’arrivent pas à avoir vraiment prise sur elle.
Les grands médias internationaux ne n’y sont pas trompés en lui décernant cette année encore plusieurs distinctions. Elle a été couronnée par Time comme la personnalité la plus influente de l’année. Forbes la classe comme la femme la plus puissante du monde, et le Financial Times tout simplement comme la personnalité de l’année.
Il faudrait plusieurs « Angela » à l’Europe pour que celle-ci sorte de la morosité qui l’atteint. Les problèmes auxquels l’Europe est confrontée, comme l’immigration ou la lutte contre le terrorisme, ne peuvent se résoudre qu’au niveau européen, et plus au seul niveau national. Les dirigeants ont du mal à envisager les changements induits par cette situation et à « penser européen».
Du coup, les citoyens s’interrogent sur les bienfaits de l’unification européenne. Si les femmes étaient davantage présentes au Conseil, dans la vie politique des États, les choses iraient sans doute autrement.
Un leadership confronté à des limites
Quelques nominations emblématiques comme celle de Delphine Ernotte à la tête de la télévision publique française, celle de Véronique Laury à la tête de Kingfisher, ou encore celle d’Isabelle Kocher à la Direction générale d’Engie (ex GDF Suez) attestent que les portes s’ouvrent de plus en plus aux femmes dans les entreprises. Mais les apparences peuvent être trompeuses et les progrès relatifs.
Si la féminisation des conseils d’administration des entreprises cotées se poursuit un peu partout du fait de lois imposant des quotas, la route est encore longue vers une véritable égalité. La moyenne se situe en 2015 en Europe à 21 %, allant de 7,9 % au Portugal (PSI-20) à 23,7 % en Allemagne (DAX), 31,4 % au Royaume-Uni (FTSE 100) et 35 % en France (CAC 40). Les entreprises les plus féminisées se trouvent en Norvège avec 35,5 % (OBX). Certes, des progrès ont été réalisés par rapport à 2014 comme en France où les conseils d’administration des entreprises du CAC 40 comptent en moyenne en 2015, 35 % de femmes, contre 30 % l’année précédente et ceux des entreprises du SBF 120, 32 % contre 29 % en 2014.
Cependant, parmi ces entreprises cotées, combien sont dirigées par des femmes ? Ici malheureusement, le compte doit encore se faire sur les doigts d’une seule main en Europe : 5 au FTSE 100 (5,5 %). En Suède (OMX), on en compte 7 %, en Belgique (BEL 20) 5 %, aux Pays-Bas (AEX) 4 % et en Espagne (IBEX 35) 3 %. Le pouvoir et la hiérarchie restent essentiellement masculins. Aux États-Unis, la féminisation des conseils d’administration est légèrement moindre qu’en Europe (19 % en moyenne) mais 21 femmes sont aux commandes de grosses entreprises américaines du S&P 500, ce qui ne représente que 4,2 %. Au Canada, la féminisation atteint 20,8 % (S&P/TSX 60) et en Australie 19,2 % (S&P/ASX 200).
Sauf en Asie, où la situation est plus critique avec une féminisation de 3,1 % au Japon (TOPIX Core 30) et de 9,5 % en Inde (BSE 200), un constat s’impose : la féminisation des conseils d’administration plafonne aux alentours de 20 %. Et encore s’agit-il des entreprises cotées où la situation s’est considérablement améliorée ces dernières années. Quid des autres entreprises ?
Il reste encore de forts enjeux à relever pour féminiser la gouvernance des entreprises. Il convient ainsi d’accélérer le mouvement pour les PME ou les ETI qui restent encore trop en retrait. À cette fin par exemple, une loi d’août 2014 en France élargit l’obligation des quotas d’ici 2020 aux sociétés de plus de 250 salariés. Ensuite, pour préparer le terrain et faciliter l’accès des femmes aux plus hautes fonctions, il convient de valoriser leur contribution au sein des comités du conseil (audit, rémunération, nomination, RSE, stratégie, etc). Le stade suivant étant d’améliorer la position de leadership des femmes dans des fonctions de président, P-DG, directeur général afin de relever le bien faible bilan actuel. Enfin, il est difficile de se satisfaire de ce taux de féminisation des conseils de 20 % en moyenne. Au Royaume-Uni, l’objectif est dorénavant de 30 % de femmes au sein des entreprises du FTSE 100 et, en France, la loi oblige désormais d’atteindre un seuil de 40 % de femmes dans les conseils des entreprises du CAC 40 d’ici à 2017 avec des profils réellement diversifiés, dans le but d’éviter le cumul des mandats par les mêmes femmes. Le renouvellement est donc de mise dans le domaine entrepreneurial aussi.
Ces évolutions sont urgentes et nécessaires lorsqu’on regarde les faits. En 2015, plus de 90 % des directeurs exécutifs des entreprises cotées sont des hommes, peu de femmes arrivent au sommet de la hiérarchie dans leurs secteurs professionnels quels qu’ils soient (médecine, justice, restauration, éducation, universités, etc). Ainsi l’atteste par exemple la situation au Royaume-Uni où 91 % des directeurs exécutifs du FTSE 100 et 95 % de ceux du FTSE 250 sont des hommes, tout comme dans l’université, 81 % des vice-chanceliers, 78 % des professeurs et 72 % des managers « senior ». Les Britanniques sont loin d’être exemplaires en Europe.
Pouvons-nous nous complaire dans cette situation indéfiniment ? Certainement pas car elle montre une société déséquilibrée où les femmes ont bien du mal à percer au plus haut niveau.
Quand les hommes comprendront-ils qu’ils ne peuvent plus seuls diriger le monde ? Que les difficultés présentes s’expliquent aussi par le fait que les femmes sont trop absentes des processus de décisions et que le monde ne saurait les tenir ainsi et longtemps à l’écart ?
Reprendre l’initiative
L’Europe, du fait de sa position en haut du classement de la cause des femmes, devrait reprendre l’initiative en ce sens et montrer l’exemple. En votant enfin la directive, bloquée au Conseil, en vue de féminiser les Conseils dans l’ensemble de l’Union européenne afin de dépasser la moyenne actuelle de 20 %, d’atteindre rapidement l’objectif affiché de 40 % et viser très vite 50 %. En nommant davantage de femmes dans les différents postes à responsabilité au niveau européen (Directions générales, agences, SEAE). Le Parlement européen qui sera la prochaine institution à procéder à un renouvellement de ses instances, et notamment de son président début 2017, serait ainsi bien inspiré d’élire une femme à sa présidence. Il ne va tout de même pas reconduire Martin Schulz pour un 3e mandat ? Ce ne serait que la troisième fois depuis 1979 et cela fera alors tout juste 15 ans que la dernière présidente a quitté son poste. Avec 37 % de femmes, le Parlement européen ne devrait avoir aucune difficulté à trouver parmi ses membres féminins une candidate de qualité. Elles sont si nombreuses
Une tribune de Pascale JOANNIN, Directrice générale de la Fondation Robert Schuman
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