Les boussoles sémantiques et idéologiques sont elles entrain de perdre le Nord ? Le grand malaise actuel inquiète les plus ardents républicains anti-FN des deux bords, de droite et de gauche. Au soir du premier tour, alors que la vague protestataire lepéniste déferlait sur les régions, Nicolas Sarkozy disait aussitôt comprendre « l’exaspération » des électeurs FN et, quelques jours plus tard, à Rochefort, il enfonçait son clou de compréhension bienveillante, estimant que voter à l’extrême droite n’avait rien d' »immoral ». Voilà 27% de l’électorat ainsi dédouané. Reviendront-ils pour autant vers lui ?
Deux jours plus tard, le leader de la gauche en Ile-de-France, sous prétexte de réprobation, cherchait le « buzz » en reprenant les mots de Nadine Morano, pour accuser son adversaire de droite et du centre, Valérie Pécresse, de défendre « en creux » la France de « la race blanche ». Et voilà un républicain de gauche, Président de l’Assemblée Nationale de surcroît, qui fait descendre le débat public dans le caniveau de la racialisation, territoire politique des zemmouro-lepénistes qui ont ainsi beau jeu, portés par la vague populiste, de ne parler que de « priorité nationale »:, terme codé qui fonctionne dans l’électorat FN depuis des années comme une machine à exclusion ethnique.
L’ascension du national-populisme xénophobe a de nombreux moteurs, alimentés on le sait par le carburant des crises multiples : économiques et sociales, culturelles et identitaires, politiques et sécuritaires. Et la France en est là. Au Sud, entourée d’un colistier qui a été condamné pour incitation à la haine raciale, Marion Maréchal Le Pen décrète que « les musulmans » doivent se conformer aux traditions vestimentaires héritées de « la chrétienté », alors que son grand-père, qui l’avait propulsée dans le Vaucluse, déclenche de gros rires grasen diffusant sur twitter une vidéo où l’on voit Christian Estrosi danser avec des rabbins. Au Nord, la Présidente du FN, qui ne veut amplifier sa vague, a exploité à fond tous les malheurs de l’immigration calaisienne et parlant dans sa campagne des dangers de « l’immigration bactérienne », puis, après les attentats, en éructant dés qu’elle le pouvait, dans les micros tendus, sur les djihadistes qui « pullulent » dans nos banlieues.
Le cynisme de l’extrême droite, qui met de l’huile sur tous les feux, n’a pas vraiment de bornes et qui ose sérieusement encore dire qu’il y a réelle rupture avec le FN du père ? Mais en face que se passe-t-il, pourquoi les remparts sont aussi affaiblis, à droite et au centre en particulier mais pas seulement ? Pourquoi, en surface des apparences du moins, chez « Les Républicains », en dehors de quelques exceptions fortes et notables, est-ce le partage entre une tétanie inquiète mais inquiétante et une complaisance assurée et problématique ?
Nicolas Sarkozy, le meilleur tremplin de Marine Le Pen
La question mérite d’être posée alors que le verdict du 2ème tour des élections régionales n’est pas encore tombé: car les résultats du 1er tour, qui a placé le mouvement d’extrême droite en première formation politique, sont bien sûr dans toutes les têtes. Pour longtemps. Le record sidérant du FN fait aussi qu’une forte exaspération, une colère sourde même, est entrain de monter à droite et au centre pour dire « stop » aux logiques de rapprochements, sémantiques, idéologiques et programmatiques avec le parti lepéniste, qui se nourrit aussi des légitimations offertes par ceux qui prétendent être ses concurrents. Nicolas Sarkozy en particulier, qui a fait campagne pour la présidence de l’UMP l’année dernière en prétendant être le meilleur rempart contre Marine Le Pen, a finalement fait la démonstration qu’il pouvait devenir son meilleur tremplin.
Dans le Figaro en septembre dernier, l’ancien chef de l’Etat, faisant du Buisson sans Buisson auprès de lui, puisait dans le programme lepéniste à propos de l’immigration: affirmant sans débat interne qu’il fallait « revenir partiellement » sur le droit du sol ou que les prestations sociales, même pour les migrants réguliers, devaient faire l’objet d’une préférence nationale, pendant les cinq premières années de résidence des migrants. Comment n’avoir pas vu que mettre ainsi un doigt dans l’engrenage idéologique du FN pouvait finir par lui arracher le bras, à lui et à sa formation politique ?
En coulisse de la droite et du centre, il apparaît, depuis le soir du premier tour des régionales, que la douche très froide est tombée sur ceux qui préconisaient un durcissement des propos, sur l’immigration et la sécurité notamment, dans le but de mieux couper l’herbe sous le pied de Marine Le Pen. C’est bien l’inverse qui s’est produit: non seulement l’électorat s’y est perdu dans la frontière qui sépare le parti lepéniste et la droite républicaine, mais les thèses frontistes ont ainsi été pour partie légitimée, autorisant Marine et Marion Le Pen, au Nord et au Sud, a faire allègrement de la surenchère « identitaire » et sécuritaire – en ces domaines, il n’y a pas de limites… – élargissant spectaculairement leur fonds de commerce électoral. Le danger est aussi clair qu’une carte électorale de la France brune.
Un appel à des convictions claires qui se fait entendre
C’est pourquoi, à droite et au centre, nombreuses sont les voix – silencieuses avant le deuxième tour, solidarité de façade oblige pour tous les co-listiers encore exposées au verdict des urnes – à vouloir changer de ligne et cesser les ambiguïtés qui, en politique, finissent par être redoutables. Car c’est bien un appel aux convictions claires que les électeurs font d’abord entendre. Les proches d’Alain Juppé, de François Fillon – qui pourtant avait plus que fauté en estimant que le sectarisme pouvait être de même niveau au FN et au PS -, de Xavier Bertrand, les responsables de l’UDI et François Bayrou aussi, à titre personnel, préparent une offensive assez convergente contre les positions de Nicolas Sarkozy et ce qu’il reste de son premier cercle: Brice Hortefeux, Laurent Wauquiez et quelques autres. Nadine Morano n’est plus de ce cercle et Henri Guaino est plus que flottant lui-même, lui qui a récemment déclaré qu’il respectait Marion Maréchal-Le Pen. Ce qui a du faire se retourner dans sa tombe, celui qui fut son mentor en politique, le gaulliste social Philippe Séguin.
Contre Nicolas Sarkozy, la fronde personnelle prend les contours d’une mise en cause de sa clairvoyance politique et de ses choix stratégiques, d’ailleurs à géométrie variable, vis-à-vis du Front National. Ce n’est évidemment plus un sujet accessoire, quand le parti lepéniste menace de prendre durablement la place du premier opposant de France. Cela devient même un sujet urgent à traiter car il peut devenir une question de survie politique pour Les républicains et ses alliés UDI et Modem. C’est pourquoi, certains dirigeants qui se plaçaient avec un certain opportunisme entre Sarkozy et Juppé jusqu’à aujourd’hui, comme Eric Woerth, commencent à faire entendre leur critique à l’égard de la ligne choisie par le président du parti. Cela ne prend pas la forme de l’écart manifeste que devrait choisir de souligner une Nathalie Koziusco-Morizet, une fois le deuxième tour des élections régionales passé. Mais c’est l’un des signes qui ne trompent pas les proches de Nicolas Sarkozy, qui l’invitent à ne surtout pas rester inerte aux lendemains de cette séquence des régionales dont il peut porter le fardeau de l’échec, qui sera peut-être relatif d’ailleurs.
Dans cette perspective, le débat amorcé sur la date des primaires de la droite et du centre est un révélateur. Nicolas Sarkozy va-t-il préférer jouer la montre, au risque d’apparaître sur la défensive et craindre le verdict des sympathisants de sa famille politique ? Ou va-t-il considérer que, finalement, quitte à avoir approuvé ce processus de sélection du candidat à la prochaine présidentielle, et persuadé de sa supériorité sur ses concurrents, il lui faut afficher une posture dynamique, conquérante, et donc accélérer le calendrier ? En coulisse, les scénarios sont étudiés à grande vitesse. Car tout le monde sent bien que le temps des grands ajustements, sur ce sujet essentiel comme sur la stratégie à arrêter face à la menace FN, est venu. Avec beaucoup plus de virulence que prévu.
Jean-Philippe MOINET, fondateur de la Revue Civique, a été Président de l’Observatoire de l’extrémisme et grand reporter au Figaro. Il est auteur et directeur conseil à l’institut Viavoice.
(publié sur HuffingtonPost – www.huffingtonpost.fr – le samedi 12 décembre 2015, veille du 2ème tour des élections régionales)