Après le choc traumatique de l’attaque djihadiste, après les premiers élans de solidarité qui n’ont cessé de se développer très rapidement et exceptionnellement, voilà que semble s’imposer l’idée – temporairement ? – que l’unité nationale sur l’essentiel est non seulement indispensable mais que la cohésion civique, sociale et républicaine est un bien précieux qu’il faudrait garder : en mémoire et en possession.
Après le trouble national lié à l’émotion, lié au fait que les Français ont (re)découvert que les pires agressions terroristes n’étaient pas réservées aux autres, après l’effroi, la stupeur et l’indignation colérique, vient bien sûr le temps des questions. Elles ne manquent pas et ne manqueront pas d’alimenter, légitimement, le débat démocratique français.
La première question est sécuritaire, naturellement : même si la France a pu déjouer de nombreux attentats dans la période précédente, même si nos services sont considérés comme les plus efficaces au monde, comment faire en sorte que la lutte contre le terrorisme soit encore plus forte ? Même si aucune folie meurtrière ne sera jamais complètement empêchée (ni en France, ni ailleurs), comment faire en sorte que les possibilités d’attaque soient plus limitées ? La question est franco-française, elle renvoie à l’équilibre à trouver en démocratie, dans toutes périodes de crise, entre liberté (individuelle) et sécurité (collective). De nouvelles mesures sont à prendre, et il ne faut pas à priori s’en effrayer. L’urgence et la gravité de la situation l’exige.
L’Europe toute entière est très concernée
La question est largement européenne aussi. Comme tous les sujets de première importance, il apparaît clairement que non seulement la coopération entre les Etats européens doit être renforcée mais que la mise à disposition commune d’outils et d’actions est à l’ordre du jour, en ce domaine comme en bien d’autres (comme elle a pu l’être en matière monétaire et bancaire avec la crise financière de 2007-2008). La lutte contre le terrorisme doit désormais entrer dans une nouvelle phase, dont la dimension européenne devra concrètement progresser.
Car géo-politiquement, culturellement aussi, notre continent européen est devenu un grand carrefour stratégique, à risque. Sa grande proximité avec des zones en conflits violents et permanents, où le djihadisme lève des armées de combattants – Proche-Orient (Irak, Syrie), Afrique (Libye, Mali, Centre-Afrique, Niger, Nigéria…) – fait que l’Europe doit impérativement éviter que le « choc des civilisations », par les assauts du fanatisme, glisse sur son sol : elle doit pour cela à la fois relever le défi d’une défense sécuritaire commune, et œuvrer activement pour que « l’alliance des civilisations », conformément à ses valeurs et à son histoire, l’emporte assurément sur toutes autres logiques. On sait que, dans toute l’Europe, des forces nationales-populistes, à tendance clairement xénophobe et europhobe, raciste et antisémite, sont aussi à l’affut pour récupérer des tensions subies provoquées par ce type d’agressions terroristes à signature djihadiste.
Notre pays, et tous nos voisins européens – qui se sont naturellement et fortement montrés solidaires, leurs dirigeants venant à Paris, le 11 janvier, pour ouvrir la manifestation historique de Paris – sont face à un défi dont la plus haute importance n’a échappé à aucun dirigeant européen. Renforcer notre sécurité publique face au djihadisme doit être accompagné du renforcement du pacte démocratique, qui doit rester le premier rempart à opposer aux forces d’intolérance active, quelle que soit leur nature.
La légitime inquiétude allemande
nous concerne aussi
Les manifestations « identitaires » de Dresde en Allemagne ont inquiété à juste titre la chancelière allemande Angela Merkel, comme les responsables allemands de haut niveau de la droite, de la gauche et du centre. Elles doivent aussi alerter, plus encore aujourd’hui qu’hier, les Français. Car ce qui se passe chez nos voisins n’est évidemment pas sans conséquence ou sans signification pour nous aussi, quand on sait ce que l’Allemagne a pu représenter, dans l’histoire pas si ancienne que cela, dans la montée de l’ultra-nationalisme, raciste et antisémite.
Bien sûr, nous ne sommes pas dans les années 30, bien sûr le contexte, social, économique, géopolitique a complètement changé. Le totalitarisme djihadiste, qui produit de la violence et une épuration ethnico-religieuse à grande échelle, continue de frapper les pays arabo-musulmans d’abord, même s’il cherche à terroriser le monde entier. Les attaques qui ont touché la France sont dans la lignée directe de celles qui, le 11 septembre 2001, ont frappé les Etats-Unis et, dès cette époque, un monde occidental qui se croyait, à tort, épargné. L’alliance renforcée avec les Américains, sur l’essentiel depuis, n’a jamais fait défaut.
Mais les actions spectaculaires récentes, à l’échelle des pays touchés et des populations concernées, ne doivent pas moins être relativisées. La France comme l’Europe, comme toutes les nations démocratiques (et celles qui le sont moins aussi, d’ailleurs) est bien en guerre contre un djihadisme assoiffé de violences mais le nombre des victimes restent heureusement limité en Europe. Rappelons qu’en Syrie, à 4 heures d’avion de Paris, la guerre civile a déjà fait plus de 200 000 morts !
Hors de France, nos soldats sont d’ailleurs très vaillants, en Afrique notamment, dans cette zone du Sahel – du Yémen, où ont été formés les tueurs de Paris, au désert du Mali et de la Mauritanie – où notre sécurité européenne est en jeu, là où nos voisins européens n’étaient pas si prompts à répondre à notre appel, pour une intervention rapide contre ce djihadisme, qui a vu 4 millions de manifestants descendre dans la rue pour s’opposer à sa logique de terreur, dimanche dernier… Le cas de la Libye, où des djihadistes armés s’activent actuellement en toute impunité, reste aujourd’hui posé de manière aigue. Un neutralisme, aussi naïf qu’irresponsable, n’est d’ailleurs plus de mise si nous voulons éviter qu’un bourbier de type syrien s’installe sur la rive sud de notre Méditerranée. Cette fois à moins de deux heures de nos côtes…
Une vigilance active et à renouvelée,aussi,
au Proche-Orient et en Afrique
Tous les problèmes, loin s’en faut, ne sont donc pas résolus même si le sursaut national et républicain français réconforte aujourd’hui tous les esprits. Il faut souhaiter que l’époustouflant mouvement d’unité, qui a traversé toutes les couches de la nation française, se traduise aussi, dans la durée, par des avancées concrètes. Pour la sécurité publique. Pour la consolidation durable de notre pacte civique. Les principes de la République, avec le couple indissociable Laïcité-Fraternité, doivent bénéficier d’actions concrètes, qui viendront sans doute autant des citoyens eux-mêmes que de leurs dirigeants. La Revue Civique, à son modeste niveau, s’emploiera à porter le débat, et des actions, sur cette nécessaire consolidation, en prolongement de ses initiatives passées.
A PARTIR DE LA FRANCE, l’action concrète devra aussi se traduire au niveau européen, comme indiqué, sans doute avec bien plus de cohésion et de célérité. Les lendemains qui nous attendent ne seront pas forcément plus tragiques que la séquence que nous avons vécue. Mais la France, qui doit désormais apprendre à vivre avec le risque terroriste, doit aussi entraîner l’Europe toute entière, dans une vigilance plus active. Une vigilance qui devra avoir des traductions concrètes, au Proche-Orient où une guerre ouverte est engagée ; en Afrique, du nord et subsaharienne, où la guerre est aussi, quotidiennement, livrée. Une ouverture de nos œillères nationales est et sera bien nécessaire. Pour sortir réellement -et durablement- renforcés de l’épreuve subie.
Jean-Philippe MOINET,
auteur, a été Président de l’Observatoire de l’extrémisme.
Il est fondateur et directeur de la Revue Civique
(14.01.15)