L’INA, porte-mémoire de l’Afghanistan

L’INA, porte la mémoire audiovisuelle de l’Afghanistan

En Afghanistan, entre 1996 et 2001, le cinéma, la télévision et la radio étaient interdits, à l’exception de la radio d’Etat, Radio Charia, qui faisait largement écho au radicalisme religieux des talibans. Au moment où le pays écrit une nouvelle page de son histoire, il est essentiel de ressusciter la vie culturelle et artistique des Afghans. L’Institut national de l’audiovisuel français (INA) travaille, depuis 2002, à la sauvegarde et à la numérisation des archives audiovisuelles. Il contribue ainsi à protéger le patrimoine audiovisuel de l’Afghanistan. Il encourage également les Afghans à se tourner vers l’avenir. Or, l’avenir de la reconstruction de l’Afghanistan est indéfectiblement lié à la renaissance de son identité. En donnant à voir les images d’un Kaboul prospère, d’une société pacifiée, la télévision publique afghane mettrait en perspective l’héritage d’un passé commun pour fonder un nouveau sentiment d’appartenance collective.

 2002: Kaboul outragé, mais Kaboul… libéré

En 2002, alors que la ville est totalement détruite s’ouvrent des magasins remplis à ras bord de télévisions. Les Kaboulis, une fois l’électricité installée chez eux, se ruent dans les magasins pour se procurer un petit écran. Le phénomène est énorme dans un pays où le salaire mensuel des fonctionnaires ne dépasse pas les 58 euros. À l’instar des cerfs-volants, qui occupent chaque mètre carré de ciel de la capitale, la ville aspire à une nouvelle liberté.
Les talibans n’ont pas eu le temps de tout détruire, ce n’était pourtant pas l’envie qui leur manquait. Le musée national de Kaboul fut leur première cible. En effet, Il fallait tout ce qui avait trait à la culture, qui n’était pas cité mot pour mot dans le Coran, devait être éliminé. Pourtant, des burqas traditionnelles, exposées au musée, ont été lacérées à grands coups de couteaux…
Concernant les médias, ils ont cru avoir éliminé toutes les bobines originales des films cinématographiques. Or ils n’ont eu que les copies, comme en témoigne Michel Dauzats, responsable de la mission INA en Afghanistan: «Pratiquement aucune archive audiovisuelle n’a été détruite. La quasi-totalité des bobines originales était cachée derrière de faux murs par des techniciens au péril de leur vie. Ils n’ont fourni que les copies aux talibans.». Les talibans, enorgueillis de la terreur psychologique qu’ils avaient insufflé dans le pays, ne pouvaient se douter que des personnes chercheraient à les duper. Autre chance, la télévision et la radio ont été épargnées. Seuls les émetteurs étaient hors service.

Arrivé en juillet 2002 à Kaboul, l’INA décide d’accompagner la sauvegarde et la numérisation des archives audiovisuelles, en mettant à disposition de ses partenaires son savoir-faire et ses compétences. Plusieurs centaines d’heures ont été numérisées à la Radio Télévision Afghane (RTA) en trois ans, puis l’Ina a renouvelé son assistance afin de pérenniser le programme en cours et d’initier un nouveau chantier portant sur la sauvegarde des archives radiophoniques publiques. L’Ina a également mis à la disposition de l’institution cinématographique publique d’Afghanistan, Afghan Films, le matériel et le savoir-faire nécessaires pour numériser et sauvegarder 600 heures d’archives sur support film. La société de production indépendante, Ariana Films, ancienne agence de presse du commandant Massoud, bénéficie également du concours de l’INA, en transformant 1200 heures d’archives de l’histoire de la résistance afghane, en format vidéo pour éviter leur fatale dégradation.

Les archives: témoins de l’Afghanistan d’avant-guerre

Les talibans ont pris la vie de beaucoup d’Afghans ; aux survivants, ils ont pris leur culture, leur art, la représentation du monde et de l’autre, en enfermant le pays dans le vase clos de l’ignorance et de la brutalité. Il faut imaginer que l’absence totale d’image, de musique, de jeux, pendant la longue période de guerre, a effacé dans l’esprit des Afghans un pan de leur histoire.
La numérisation des archives de la télévision afghane retrace une mémoire de trente ans. En l’absence d’équipements de production et de diffusion en état de marche, les images numérisées par l’INA sont rapidement devenues le cœur des programmes de la télévision afghane portant à l’écran le reflet de l’histoire du pays. En mettant à la disposition des ressources audiovisuelles prêtes à l’exploitation, l’INA avait, très rapidement, fait ses preuves.
Car comment, autrement, témoigner de l’Afghanistan en temps de paix ? Combien même peuvent imaginer que le pays a été un jour pacifié ?

50% de la population actuelle ne connaît pas la ville d’avant-guerre. L’Ina a diffusé, en avril, au centre culturel français de Kaboul des images des années 70 devant un jeune public. Ils découvraient ébahis que leur pays avait été en paix, que des gens aux idées différentes étaient capables de se parler sans se tirer dessus et que Kaboul pouvait prétendre à une certaine prospérité…

Visionner des archives de la RTA est un moment unique. Comment penser qu’ici en Afghanistan, la période «baba cool» a connu son heure de gloire ? Les archives montrent des hippies débarquer à Kaboul au volant de leur 4L, portant des pantalons « patte d’éph », bandana au front, reçus au palais par une assemblée coiffée à la mode des séries seventies américaines. Un temps où le pays pouvait se projeter en avant, rêver de divertissements et de futilité.

Quel est le visage de la capitale aujourd’hui ? Que pouvons-nous reconnaître d’alors ? Les archives de la RTA peuvent répondre à ces questions. Quelques rares bâtiments ont survécu à la guerre civile et aux derniers bombardements, notamment le musée national de Kaboul, quelques facultés construites par les Soviétiques et le grand hôtel de Kaboul l’Intercontinental, lieu de rendez-vous privilégié des administrateurs des ONG qui, avant les attentats des talibans de ces derniers mois, s’y empressaient.

En 2005, Kaboul en pleine reconstruction contenait 6 millions d’habitants pour une ville qui a une capacité d’hébergement de 2 millions de personnes, à cela ajoutons les 6000 ONG qui se disputaient le terrain pour participer à la reconstruction de l’Afghanistan et éviter la misère urbaine, inévitable face à une telle situation économique et sociale. Par contre, certains promoteurs ont franchement décidé de voir les choses en grand. Des bâtiments à plusieurs étages, des galeries marchandes de produits de luxe, verre fumé pour l’extérieur et dorures et marbres pour l’intérieur climatisé, ont été construites dans un style tout droit venu de Doubaï, oasis d’absurdité dans un pays où le budget annuel du gouvernement de 2004 ne dépassait pas les 250 000 dollars ! Alors, entre des bâtiments en ruine ou flambant neufs, pour les Afghans sur la trace de leur passé, seules les archives audiovisuelles assurent une reconstitution fidèle de leur histoire.

Une télévision publique garante d’une identité collective

Depuis la chute des talibans, les médias ont repris leurs activités avec des moyens limités. Une cinquantaine de stations de radio, trois télévisions privées nationales et une multitude de télévisions locales ont été créées. Lancée en 2004, TOLO TV, la première chaîne de télévision privée afghane, propose des programmes ne correspondant pas à l’orthodoxie religieuse. Entre des films de Bollywood et des séries iraniennes ou indiennes, la chaîne a diffusé Afghan Star, émission inspirée de la Star Academy, qui a connu un énorme succès à travers le pays.

Seule la RTA pourrait fournir un véritable service public. L’Europe soutient également le secteur audiovisuel en Afghanistan. La Commission européenne a demandé à des opérateurs européens, notamment à Canal France Internationale (CFI), d’aider le gouvernement afghan à mettre en place un cadre législatif destiné au secteur audiovisuel. CFI s’occupe plus précisément du plan de formation des personnels, ainsi que de la gestion et de l’amélioration des ressources de la RTA, en développant, par exemple, les recettes dans le domaine publicitaire.
Fort de son succès national, et reflet d’un certain éveil sur le monde que nous félicitons, TOLO TV ne doit pas pour autant évincer la télévision publique du paysage audiovisuel afghan. Pourtant, montée par des techniques et des techniciens d’aujourd’hui et de l’étranger (principalement d’Inde), la télévision privée reçoit davantage d’aide internationale que la télévision publique.
Or, l’avenir de la reconstruction de l’Afghanistan est indéfectiblement lié à la renaissance de son identité. En donnant à voir les images d’un Kaboul prospère, d’une société pacifiée, la télévision publique afghane mettrait en perspective l’héritage d’un passé commun pour fonder l’appartenance collective à venir.

2006: les médias sous pression de la loi coranique

En septembre 2006, une nouvelle loi sur les médias a été présentée au Sénat et votée par l’Assemblée en juin 2007. D’abord rejetée par les députés, la loi a été rédigée autour de trois points déterminants : veiller à « la liberté d’expression », à « la protection des journalistes », tout en « respectant la loi coranique ». Le premier et le dernier de ces points peuvent-il intelligemment coexister ?

Le grand changement que la loi promet est la surveillance des médias non plus par la Haute Autorité de la Morale, mais par un comité général pas uniquement composé de religieux. Par contre, depuis 2006, les journalistes indiennes de TOLO TV sont contraintes à porter un voile, et tous les bouts de peau qui «dépassent» sont floutés… Le nouveau visage de la télévision afghane ne doit pas sombrer dans un rigorisme religieux afin que chacun puisse s’exprimer librement et que puisse renaître une véritable vie culturelle et artistique dans le pays.

Depuis les attentats de l’année 2007 en Afghanistan, devons-nous craindre un retour en arrière ? Si les talibans sont encore contenus au sud et à la frontière pakistanaise, en revanche quand pouvons-nous espérer trouver des institutions politiques efficaces et non corrompues ? L’INA a bien conscience que les Afghans ont d’abord besoin d’une activité économique en état de marche et d’un pouvoir d’achat réel, pour pouvoir regarder des images paisibles du passé sans une certaine amertume.

Jane BIRMANT (printemps 2008)