Pour Antoine Guggenheim, qui dirige le pôle Recherche du Collège des Bernardins, « si elle s’assume comme un des partenaires de l’histoire universelle en train de s’écrire, l’Europe fera entendre une voix précieuse dans la recherche du nouvel humanisme dont le monde a besoin ». Nous publions ici des extraits d’une publication, « Penser l’Europe », portée par cette personnalité du Collège des Bernardins (mai 2014). Ce texte trace une ligne d’optimisme quant au respect des espaces culturels dans la mondialisation des échanges : « La globalisation, écrit-il, en multipliant les acteurs des échanges internationaux, loin d’araser les différences culturelles accroît leur influence. A mesure que l’unité humaine intègre une plus grande richesse de peuples, l’échange des dons culturels accroît sa part dans l’invention du monde commun ». Et de poursuivre : « La globalisation consolide l’autonomie des nations parce qu’elle met les aires culturelles en relation. Les nations deviennent de plus en plus des « personnes » dans la globalisation, c’est-à-dire des « relations subsistantes », selon une expression venue de la théologie ».
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L’Europe de 2014 ne peut pas regarder avec nostalgie sa puissance perdue de 1914. Ce siècle n’a pas été vain ! L’orgueil de la domination industrielle minait la vigueur de l’esprit européen. Il l’inclinait au mépris des autres peuples, considérés comme le décor ou l’instrument de son action. L’Europe qui a émergé des événements de 1945 et de 1989, fragile et forte dans sa gouvernance démocratique comme dans son développement économique, est un acteur plus fiable de la construction du monde globalisé. Si elle s’assume comme un des partenaires de l’histoire universelle en train de s’écrire, l’Europe fera entendre une voix précieuse dans la recherche du nouvel humanisme dont le monde a besoin.
Les deux guerres mondiales, la décolonisation et la chute du Mur de Berlin ont changé l’Europe et le monde. La destruction de tant de vies humaines, d’espoirs politiques, de moyens de production, de ressources culturelles sont inscrits au débit de l’impérialisme. L’avertissement des catastrophes du 20ème siècle ne s’adresse pas à une seule civilisation. Il est une leçon pour l’espèce humaine dans son existence cosmique, sociale et historique. Comme les individus, les nations et les ensembles culturels naissent autocentrés. Ils apprennent à coexister et même à sur-exister en commun avec d’autres par une dialectique complexe de justice et d’amour dont l’Assemblée générale de l’ONU est aujourd’hui un symbole et un instrument. C’est ainsi que se bâtit la fraternité humaine, dont le vœu est inscrit dans l’existence charnelle et spirituelle de l’humanité.
La Chine et l’Europe ont beaucoup à se dire et à échanger. Chacune est l’héritière d’une civilisation ancienne et rayonnante. Leurs relations sont restées jusqu’ici assez extérieures à leur être et à leur histoire profonds. Échanges admiratifs, fascinations mutuelles, tentatives de domination… Même l’expérience marxiste a été vécue de manières différentes par l’une et par l’autre.
Philosophie libérale
et respect de la personne
L’entrée actuelle de la Chine dans la compétition politique et économique mondiale ne se limite pas aux succès matériels que l’on voit. L’économie de la libre entreprise se nourrit d’une philosophie libérale qui doit être complétée par le sens du respect de la personne et la volonté de justice sociale. La réussite de la transition entre culture traditionnelle et modernité globalisée conduit la Chine à s’interroger sur les enjeux philosophiques de sa tradition, comme sue la valeur morale et spirituelle des pratiques démocratiques et de la libre entreprise. La science et la technique ne font pas que transformer la nature : elles changent la manière de regarder le passé, d’interroger le présent, de se projeter vers l’avenir.
De son côté, l’hyper-modernité européenne et américaine, avec les points de contact et les différences qui caractérisent chacune des deux zones d’influence, ne peut pas ne pas être touchée par la rencontre du monde chinois qui s’engage comme un partenaire dans la globalisation. Que se passe-t-il quand l’humanisme européen, qui a porté ces transformations, entre en relation avec les sagesses du monde chinois, héritier d’une synthèse séculaire de confucianisme, de bouddhisme et de taoïsme ? Comment la rencontre de la modernité et de la société traditionnelle en Chine postcommuniste influence-t-elle les évolutions de l’histoire européenne ? Quel est l’avenir de la rencontre de la Chine et de l’Europe ? Quelle sera sa fécondité et quels seront ses risques ?
Je propose d’apercevoir les chemins de la rencontre entre la Chine et l’Europe et de tracer ses effets possibles sur le monde de manière plus concrète en examinant leurs liens aux pays tiers qui médiatisent cette rencontre. Je pense à deux exemples : l’Afrique et les USA.
L’Afrique est un continent proche de l’Europe par la géographie et dont la Chine est devenu un investisseur de premier plan. L’Afrique porte les stigmates de la colonisation, même si sa situation change vite désormais. Les langues internationales que parle l’Afrique sont les langues européennes. Islam et christianisme y sont en progrès, tant au plan numérique qu’au plan de l’inculturation, malgré les phénomènes de fondamentalisme. Les modèles politiques et économiques libéraux y sont plus solidement implantés. L’Afrique poursuit son développement démographique et son influence sur le monde grandit. Or, comme la Chine et l’Europe, l’Afrique est un réservoir de traditions humaines. Je pense que son entrée dans la modernité globalisée favorisera la reconnaissance de l’enjeu et de l’exception culturels au sein des échanges numérisés par l’instrument financier.
La globalisation, en multipliant les acteurs des échanges internationaux, loin d’araser les différences culturelles accroît leur influence. A mesure que l’unité humaine intègre une plus grande richesse de peuples, l’échange des dons culturels accroît sa part dans l’invention du monde commun. L’uniformisation culturelle est une violence, source de peur, qui stérilise l’échange entre les peuples. Elle est en recul. L’échange de dons entre des peuples divers, partenaires de la globalisation, éloigne le spectre de l’impérialisme. Chine et Europe seront en concurrence dans leurs relations avec l’Afrique si elles la considèrent comme une proie de puissance politique ou un objet de convoitise économique. Elles seront des partenaires, si elles reconnaissent l’Afrique comme un partenaire, un sujet de l’histoire mondiale en train de s’écrire.
États-Unis : synthèse dynamique
de tradition et de modernité
Les États-Unis sont encore la première puissance économique et militaire du monde. Leur contribution à la défaite des totalitarismes au 20ème siècle leur vaut, malgré les aventures militaires et diplomatiques nées du traumatisme du 11-Septembre 2001, un grand prestige moral. Ils sont le pays de la liberté politique, de la prospérité économique et de la tolérance religieuse.
« La ferveur des Américains conserve des niveaux élevés ; elle se présente même comme redoublée dans certains secteurs de la population ou certains domaines. Il est vrai qu’elle part de beaucoup plus haut, de par le legs d’une histoire placée sous le signe de l’alliance fondatrice entre religion et liberté, alliance elle-même permise par l’absence de structuration primordiale selon la Tradition et l’Autorité. Jamais sur le sol de l’Amérique la religion ne s’est donnée sous les traits de la dépendance envers un passé ordonnateur ; jamais elle n’a pris le visage de la soumission à un pouvoir indiscutable. »
L’individualisme américain est un exemple de synthèse dynamique de tradition et de modernité, à la fois « plus familial, plus laborieux, plus moralisateur, plus patriotique, en un mot plus dépendant de l’environnement social, tout en mettant plus l’accent sur l’initiative et la responsabilité individuelles que son homologue européen ». « L’individualisme à l’européenne est largement l’enfant de l’État-Providence » et le père de la déliaison sociale qui fragilise autant les corps intermédiaires que l’État-Nation lui-même.
Si « l’autisme impérial » américain connaît ses zones d’ombre, il n’est pas le pire des impérialismes surgi dans l’histoire. On parle parfois de confier l’avenir du monde à un « G2 » : « Washington et Pékin ». Ces deux pays ont des intérêts convergents et intriqués, et une grande responsabilité dans leurs zones d’influence respectives et dans le monde. Leur alliance est nécessaire à la paix du monde. Mais l’Europe n’est ni identique aux États-Unis, ni représentée par eux au plan de ses intérêts stratégiques ou au plan de sa spécificité culturelle. Marcel Gauchet parle à cet égard d’une « dérive des continents ». Le concept d’Occident est insuffisant pour rendre compte de la parenté et des divergences entre les destins américains et européens.
Achevons cette esquisse en proposant un repère pour l’avenir. La globalisation, en rapprochant les aires culturelles, fait apparaître leurs spécificités et rend possible un apprentissage mutuel et un échange des dons. Forces centripètes et forces centrifuges, qui assurent ensemble la cohérence de la société des nations, empêchent le monde humain de s’effondrer sur lui-même, ou de se disloquer. Le maintien des différences ne signifie ni l’indifférence, mais l’échange des dons. La globalisation consolide l’autonomie des nations parce qu’elle met les aires culturelles en relation. Les nations deviennent de plus en plus des « personnes » dans la globalisation, c’est-à-dire des « relations subsistantes » selon une expression venue de la théologie. On peut aussi dire, dans le langage de la mécanique quantique, qu’à chaque nation est associée une onde qui définit son écart quantique aux autres et contribue à la mélodie secrète de l’histoire universelle en train de naître.
Chine, Europe, Afrique sont héritières de cultures traditionnelles qui ont rencontré et rencontrent la « modernité ». Leurs modes d’existence, leurs personnalités culturelles appartiennent à l’histoire universelle de l’humanité en voie d’émergence. L’Europe, si elle se guérit de « l’irréalité » d’un « universalisme sans base ni moyens », peut être avec la Chine, l’Afrique et les États-Unis le porteur d’un nouvel humanisme : une synthèse dynamique de tradition et de modernité, propre à chaque ensemble régional et à chaque peuple. Un humanisme renouvelé, à dimension mondiale, qui inscrit la rencontre des peuples dans un projet commun que l’on peut appeler « notre modernité ».
Antoine GUGGENHEIM dirige le Pôle Recherche du Collège des Bernardins.
(mai 2014)
Déclaration de Berlin :
« L’Europe corps et âme »
Voici le texte introductif de la déclaration de Berlin, initiée récemment par le Parlement européen puis par la Commission européenne. Ce texte a été signé par plus de 80 intellectuels et artistes européens. Cette déclaration vise à lancer toute une série d’initiatives citoyennes en Europe, en 2014-2015, « pour mettre en valeur la réalité d’une conscience européenne méta-nationale », souligne l’un des signataires Antoine Arjakovsky du pôle Recherche du Collège des Bernardins (Paris), qui relève que les travaux de ce Collège, notre « Histoire européenne de l’Europe », s’inscrit dans cette perspective.
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En tant qu’artistes, intellectuels et scientifiques mais d’abord et avant tout, en tant que citoyens, il est de notre responsabilité de prendre part au débat sur l’avenir de l’Europe, aujourd’hui plus que jamais, car il y a tant en jeu. Il faut restaurer la confiance dans l’Europe. Au vu des tendances mondiales actuelles, les valeurs fondées sur la dignité humaine et la démocratie doivent être réaffirmées. Les discours populistes et nationalistes ne doivent pas s’imposer.
L’Europe corps et âme constitue notre réponse à l’appel du Parlement européen et du président de la Commission européenne pour composer un nouveau récit pour l’Europe à l’intention de l’ensemble des citoyens. Ce document n’est pas un point d’arrivée. Au contraire, il s’agit plutôt d’un catalyseur qui, nous l’espérons, suscitera une plus large participation au débat.
Nous sommes convaincus qu’une bonne compréhension de ce qu’est l’Europe en tant qu’«état d’esprit» est essentielle afin qu’elle soit dotée d’un organe politique digne de ce nom et en ordre de marche. Nous savons également qu’un récit reliant le passé, proche et lointain, de l’Europe au présent et offrant une vision pour l’avenir est tout aussi primordial.
L’Europe est un état d’esprit construit et nourri par son patrimoine spirituel, philosophique, artistique et scientifique et mû par les enseignements de l’histoire. Elle doit désormais également devenir un véritable organe politique, efficace et doté de la capacité et de la sensibilité nécessaire pour surmonter l’ensemble des difficultés et des défis auxquels les citoyens européens font face aujourd’hui et seront confrontés demain. Du chômage des jeunes au changement climatique, de l’immigration à la sécurité des données, la liste est longue et l’urgence d’autant plus grande.
L’Europe est un état d’esprit qui ne se limite pas à un groupe d’États-nations, à un marché intérieur et aux contours géographiques d’un continent. L’Europe est une responsabilité morale et politique, qui doit être endossée non seulement par des institutions et des hommes politiques, mais également par chaque Européen sans exception. L’Europe est une source d’inspiration venue du passé, c’est l’émancipation conjuguée au présent et le souhait d’un avenir durable. L’Europe, c’est une identité, une idée, un idéal.
L’Europe est un état d’esprit partagé par des citoyens sur l’ensemble du continent. Les étudiants, les chercheurs, les universitaires, les artistes, les professionnels et les responsables politiques qui vivent, étudient, travaillent, pensent et voyagent par-delà les frontières nationales le font afin d’approfondir et d’étendre leurs connaissances, de donner libre cours à leur créativité et d’élargir leurs possibilités. Ils retracent et ravivent les parcours des hommes et des femmes qui, depuis l’Antiquité et de façon croissante durant la Renaissance et le Siècle des Lumières, ont façonné pour l’Europe une anthologie partagée de la musique et des arts, un recueil commun de philosophie et de sciences, une littérature incroyablement riche et un réseau prospère d’échanges.
L’Europe est un état d’esprit partagé par des hommes et des femmes qui, avec la force de leurs convictions tant religieuses que laïques, ont toujours apporté de la lumière aux heures les plus sombres de l’histoire de l’Europe et ont donné naissance à de nouvelles communautés spirituelles et de travail. Au fil des siècles, des individus se sont fédérés pour adhérer aux mouvements civiques, politiques et sociaux qui ont défendu les droits des plus faibles, des marginalisés, des exclus et de ceux qui affichent leurs différences.
L’Europe est un état d’esprit ancré dans ses valeurs communes de paix, de liberté, de démocratie et d’État de droit. Aujourd’hui, il nous faut être vigilant afin de réaffirmer et de faire valoir en permanence ces valeurs et principes fondamentaux qui, dès les premières heures, ont été profondément enracinés dans la «raison d’être» de l’Europe. Ces valeurs et principes doivent à présent être réactivés et adaptés aux citoyens européens d’aujourd’hui et de demain et protégés contre les pressions internes et extérieures.
L’Europe est un état d’esprit qui s’étend également au-delà de ses frontières. Grâce à ses valeurs et à ses principes communs, l’Europe attire un grand nombre de personnes, encouragées par sa solidarité et ses réalisations. Toutefois, elle ne doit jamais oublier que sa prospérité à une époque récente a souvent été liée à la conquête coloniale et qu’elle a donc été acquise au dépens de celles d’autres continents.
L’évolution du récit de l’Europe
L’histoire de l’Europe a été marquée par la splendeur et la misère. Ses fondements juifs, gréco-romains et chrétiens ont toujours été confrontés aux croyances d’autres religions et systèmes de gouvernement. L’état d’esprit de l’Europe a mûri. Il vient seulement d’atteindre un équilibre, au lendemain des terribles séismes qui l’ont secouée au cours du XXe siècle et qui ont conduit à l’idée d’unité dans la diversité.
Trois épreuves et transformations capitales ont marqué le siècle s’étalant de 1914 à 2014.
La fin de la guerre
Le projet d’intégration européenne naît, tel un phénix, des cendres de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Il y a cent ans, l’Europe perd son âme sur les champs de bataille et dans les tranchées. Plus tard, elle s’enlise dans les camps de concentration et les régimes totalitaires associés à un nationalisme extrême, à l’antisémitisme, à l’abolition de la démocratie et de l’État de droit, au sacrifice de la liberté individuelle et à la suppression de la société civile. Mais à la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle trouve son salut dans l’idée d’une Europe unie par un principe de respect mutuel et par les valeurs de liberté et de démocratie. L’Europe retrouve son âme. Aujourd’hui, le processus d’intégration européenne s’oppose à toute forme de guerre.
La chute du rideau de fer
L’Europe entre dans une nouvelle ère en 1989. La mobilisation de l’énergie, de la passion et de la résistance face aux régimes communistes et leur idéologie à courte vue se renforce au fil des ans en Europe centrale et orientale. Dans les années qui suivent 1989, la valeur de démocratie est rétablie et le marché libre devient une réalité dans toute l’Europe. La mise en place de la libre circulation des personnes, des biens, des services et des idées est une victoire éclatante sur les esprits qui cherchaient à imposer une vision unique de la réalité et à dresser des obstacles. Le passage d’une Europe polarisée à une Europe multipolaire inaugure une nouvelle ère d’interconnexion et d’interactions parmi les citoyens et les pays. C’est l’Union européenne qui fournit le cadre visionnaire et le sens de la mission à réaliser nécessaires pour relever le défi colossal que représentait la réunification de l’Europe. Celle-ci commence à battre à l’unisson, ses nombreuses artères s’étant trouvées reliées à un cœur.
L’éclatement de la bulle
L’année 2008 marque le début de la crise économique, qui entraîne la perte de millions d’emplois et la hausse du chômage à des niveaux inimaginables dans les pays européens. Le discours dominant du moment, avec sa croyance en la capacité d’autorégulation des marchés et son éloge de la spéculation mue par la recherche du profit, se heurte de plein fouet à la réalité. Les systèmes de contrôle économique et financier doivent modifier leur trajectoire de façon spectaculaire et sont brusquement contraints d’assumer leurs responsabilités. L’Union européenne prend des mesures afin d’accélérer ce changement de cap vers un renforcement de la gouvernance politique des systèmes financiers. Il est à présent nécessaire que cette évolution soit renforcée par une gouvernance civile fondée sur les modèles conjugués de démocratie participative et de durabilité, ouvrant de nouveaux horizons d’espoir, de solidarité et de responsabilité pour tous les Européens.
À une époque où la culture est perçue comme davantage facultative qu’essentielle, il est devenu difficile de partager la plus simple des histoires, et encore plus d’énoncer des théories passionnantes au sujet des valeurs qui sous-tendent notre société. Néanmoins, l’heure est aux récits envoûtants, plutôt qu’aux simples calculs.
Le carrefour entre la Renaissance et le cosmopolitisme
L’Europe a besoin d’une révolution conceptuelle de sa société. Il lui faut tout simplement une «nouvelle Renaissance». Ce terme renvoie aux révolutions de la pensée qui ont émaillé les XVe et XVIe siècles. La société, les arts et les sciences bouleversent alors l’ordre établi et jettent les bases de la société de la connaissance dans laquelle nous vivons. L’Europe possède les moyens pour se placer à l’avant-garde de cette période. Elle se doit également d’occuper la première place mondiale en termes de conditions de vie durables et d’être un élément moteur et mobilisateur aussi bien pour définir que pour mettre en œuvre un programme mondial d’actions pour le développement durable. Cet objectif, il nous faut l’atteindre en nous focalisant non seulement sur la biodiversité, mais également sur la diversité et le pluralisme culturels.
Une réorientation urgente des priorités au sein de l’organe politique européen est nécessaire, sans toutefois négliger l’importance de la législation économique et financière. L’Europe doit également reconnaître que la culture constitue une source d’inspiration majeure pour son organe politique et social.
- L’Europe en tant qu’organe politique a besoin que les sciences (naturelles, techniques et sociales) trouvent des réponses innovantes à l’intensité et à l’importance de la consommation d’énergie, encouragent l’utilisation des énergies renouvelables et mettent au point ou redécouvrent des médicaments, des thérapies et des modes de vie qui amélioreront le bien-être de l’humanité. Les technologies doivent devenir un prolongement de la créativité et de la société favorisant une autonomie accrue.
- L’Europe en tant qu’organe politique a besoin que l’art génère de nouvelles formes radicales d’imagination qui contribueront à façonner sa sensibilité. L’art moderne était à l’origine un mouvement européen, qui s’inspira grandement d’autres cultures non européennes. Il relia à travers l’ensemble du continent les courants artistiques qui partageaient une affinité sans limite pour les différences et une volonté d’émancipation.
- L’Europe en tant qu’organe politique doit reconnaître la valeur du patrimoine culturel, tant matériel qu’immatériel. Rétrospectivement, le patrimoine européen s’est forgé non seulement à travers les générations, mais aussi à travers l’ensemble des communautés et territoires. Le patrimoine culturel révèle ce qu’a signifié être européen au cours du temps. C’est un instrument puissant qui offre un sentiment d’appartenance parmi et entre les citoyens européens.
Afin de libérer ce potentiel, l’Europe en tant qu’organe politique doit inventer un nouveau cosmopolitisme pour ses citoyens. Celui-ci devra comporter des environnements urbains dynamiques et créatifs ainsi qu’une concurrence saine entre les villes. Les villes européennes doivent être plus que de simples centres urbains; elles devraient s’efforcer de devenir des capitales de la culture, améliorant la qualité de vie de tous les Européens. Pourquoi ne pas commencer à imaginer l’Europe comme étant une seule grande mégalopole interconnectée par des moyens de transport et de communication?
L’Europe en tant qu’organe politique doit déployer pleinement son pouvoir d’influence non seulement sur l’ensemble du continent, mais aussi au-delà de ses frontières afin de devenir un partenaire international respecté et respectueux, défendant un nouveau modèle mondial de société basé sur des valeurs éthiques, esthétiques et durables.
Afin que ce nouvel organe politique prenne forme, l’Europe a besoin d’un engagement collectif solide:
- L’Europe a besoin de dirigeants politiques courageux, imaginatifs et éclairés, qui parlent et comprennent la langue de l’Europe en tant qu’organe politique, animé et alimenté par la culture.
- L’Europe a également besoins d’artistes et de scientifiques, d’éducateurs et de journalistes, d’historiens et de sociologues, d’entrepreneurs et de fonctionnaires qui sont prêts à abandonner le confort de leur autonomie pour assumer de nouvelles responsabilités à l’égard de l’Europe en tant qu’organe politique.
Enfin, l’Europe a besoin de citoyens pour faire entendre sa voix et participer au débat public européen en partageant leurs histoires et leurs préoccupations. Ces récits décriront ce que signifie être européen au XXIe siècle.
En tant qu’artistes, intellectuels et scientifiques, il est de notre devoir de livrer, en récit, notre point de vue. Ce récit, nous en avons la ferme conviction, stimulera le débat sur l’avenir de l’Europe. La Renaissance et le cosmopolitisme sont deux idéaux culturels auxquels nous aspirons et que nous considérons comme essentiels pour l’Europe d’aujourd’hui et de demain.
Membres du Comité Culturel du projet « Un nouveau récit pour l’Europe », premiers signataires : Kathrin DEVENTER – Paul DUJARDIN – Olafur ELIASSON – Rose FENTON – Cristina IGLESIAS – Michal KLEIBER – György KONRAD – Rem KOOLHAAS – Yorgos LOUKOS – Peter MATJASIC – Jonathan MILLS – Michelangelo PISTOLETTO – PLANTU – Sneska QUAEDVLIEG-MIHAILOVIC – Thomas SEDLACEK – Luísa TAVEIRA