C’est de l’amateurisme, doublé d’un symptôme. Un rapport OVNI sur l’intégration a eu les honneurs du site du Premier ministre de la France, portant des propositions allant à l’encontre de tout ce qu’a pu souligner Jean-Marc Ayrault sur le sujet, désireux qu’il est (avec bien d’autres) d’affirmer la ligne de « l’intégration républicaine » à la française, qui associe naturellement cette ligne à l’intransigeance en ce qui concerne la lutte contre les discriminations et la lutte contre l’une d’entre elle, qui peut aller très vite, on le sait, jusqu’au racisme et à l’antisémitisme.
Ce rapport qui a fait polémique il y a quelques jours propose notamment de revenir sur l’arsenal législatif qui a été le fruit d’un long travail d’experts et d’auditions, aboutissant finalement à un résultat rare : un consensus républicain et national, qui a conduit le législateur à interdire les signes religieux ostensibles à l’école publique ; puis, quelques années plus tard, à interdire le port de la burqa dans l’espace public. Publier un rapport, fut-il iconoclaste, n’est évidemment et heureusement pas un problème en démocratie. En revanche, ce qui est problématique et même source d’inquiétude, c’est la gouvernance qui a présidé à la commande de ce rapport et à sa publication sur ce site, institutionnel s’il en est.
Ce qui semble incompréhensible en effet, en ce domaine précis de l’intégration, est qu’une instance faite pour cela – éclairer le gouvernement et les pouvoirs publics de ses avis et propositions – a été instauré par la République française, par la volonté d’un Premier ministre, nommé Michel Rocard, en 1989, qui avait compris que les décisions politiques du plus haut niveau pouvait être bien inspirées de s’appuyer aussi sur des compétences de personnes qualifiées, issues de la société civile. Après lui, tous les chefs de d’Etat et de Gouvernement avaient d’ailleurs compris, précisément sur ces sujets sensibles de l’intégration, que les mesures à prendre opportunément pouvaient passer aussi au crible de l’analyse de cette instance, nommée Haut Conseil à l’intégration (instance que l’auteur de ces lignes a d’ailleurs apprécié servir pendant trois ans, de 2003 à 2006, entouré d’une quinzaine de membres pour la plupart issus de la société civile, universitaires, acteurs associatifs…).
Il se dit, et c’est là que la politique politicienne à courte vue est à la fois mauvaise conseillère et désastreuse, que du côté de Matignon et de l’Elysée, il était considéré que le HCI actuel était trop marqué « sarkozyste » – son Président, Patrick Gaubert, ayant eu un mandat électif européen sous bannière UMP -, trop marqué « laïciste » aussi (de cet étiquette, plutôt péjorative, qui tend à déconsidérer les tenants d’une intransigeance en ce qui concerne la défense et la promotion de la Laïcité). Pour ces deux raisons cumulées, cette instance devait être « mise sur la touche » et même, à terme, supprimée.
C’est ainsi que d’autres auteurs de rapport sur le sujet de l’intégration sont apparus comme « utiles » au Gouvernement actuel et que les membres du HCI – équipe administrative comprise – ont été mis au placard de la République, en attendant le renouvellement (ou la surppression ? ) du HCI, juridiquement prévu au printemps 2014.
Au-delà de cet aspect inconnu de la controverse, qui reflète un certain manquement à la logique de la continuité républicaine des instances qui devraient échapper aux variations des saisons électorales, sur le fond, ce rapport est également un signe inquiétant. Car beaucoup de forces, et de structures privées qui ne sont pas toutes à but non lucratif, s’activent en coulisses sur le thème de « la promotion de la diversité » en entreprises, en en faisant parfois un bon fonds de commerce. C’est ainsi que des structures, qu’on retrouve représentées parmi les auteurs de ce rapport, se voient sensibles, sous couvert de « lutte contre les discriminations », à un discours « différentialiste » qui en vient à nous expliquer que, finalement, en France aujourd’hui, ce n’est pas « l’intégration » dans un espace commun, ni autour de valeurs communes, qu’il faut offrir en partage aux personnes issues de l’immigration mais un « droit à la différence », qui peut aller jusqu’au port ostensible de signes religieux (les plus radicaux) : dans l’espace public, à l’école publique, et dans l’espace privé de l’entreprise.
Il est intéressant de voir qu’un des co-auteurs du rapport qui a fait polémique, Khaled Hamdani, dont la personne n’est bien sûr pas en cause, est certes un adepte sincère de la lutte contre les discriminations mais aussi un « entrepreneur » de la promotion de la diversité en entreprise qui, en l’occurrence, n’a pas su dire « non » à ceux qui aimeraient que la France revienne sur la suppression des signes ostensibles religieux (et donc du voile islamique) à l’école. Ce « conseil RH » s’est ainsi fait embarqué, par ce rapport, dans une direction qui relève de la promotion du communautarisme des ultras religieux, tendance virulente qui s’est vue heureusement opposer les principes de la République par les représentants de tous les groupes parlementaires. En cela, cette histoire de rapport mérite un suivi particulier. Et qu’en soient tracés tous les bons enseignements.
Jean-Philippe MOINET
Fondateur de la Revue Civique
Texte publié sur Rue89