Daniel Karyotis, ancien Président du directoire de la banque Palatine, membre du directoire du groupe BPCE depuis le 1er décembre dernier, développe un plaidoyer en faveur des ETI, ces entreprises à taille intermédiaire trop peu nombreuses en France, trop peu présentes à l’international malgré leur dynamisme. Alors que le « made in France » ne cesse de perdre du terrain, il est convaincu qu’avec les ETI « la France dispose de sérieux atouts pour réussir à inverser cette tendance » : « plus fortes que les TPE et les PME, plus agiles que les grands groupes, les ETI ont aussi été plus résistantes » dans les crises. Il avance une série de propositions. Comme celle « d’identifier 500 repreneurs d’entreprises, pour que nos pépites restent tricolores ! » Ou de « favoriser les regroupements de PME ou d’ETI pour les rendre plus compétitives ». Quant au pacte de compétitivité : « la fiscalité, le marché du travail, les démarches administratives doivent être réformés pour que la France et ses entreprises conservent leur rang ».
Malgré un déficit commercial record en 2011, proche de 70 milliards d’euros, la France reste la cinquième puissance économique mondiale. Mais pour combien de temps ? Et peut-elle demeurer dans les 10 premières au cours des 20 prochaines années ?
Ces questions méritent d’être posées car tous les autres clignotants de l’économie tricolore sont dans le rouge. Même au sein de la zone euro qui concentre les deux tiers de nos partenaires commerciaux, le « made in France » ne cesse de perdre du terrain. Selon une très récente étude de l’institut COE-Rexecode, les exportations françaises de biens et de services ont reculé de 0,3 % sur un an au cours du deuxième trimestre 2012. Sur la même période, celles de la zone euro ont progressé de 5,7 %. Aussi, la part des exportations françaises dans les exportations européennes de biens et services en valeur a fléchi à 12,9 %, un niveau rarement atteint. Et, malheureusement, à moins d’un retournement brutal de la situation, tout laisse à penser que le déficit commercial devrait encore se creuser en 2012.
Les ETI au secours de la balance commerciale
Cependant, le tableau n’est pas totalement sombre. En s’appuyant sur les entreprises de taille intermédiaire (ETI) de 250 à 5000 salariés, auxquelles on peut associer les entreprises à fort potentiel de croissance, la France dispose de sérieux atouts pour réussir à inverser cette tendance inquiétante.
Plus fortes que les TPE et les PME, plus agiles que les grands groupes, les ETI ont été plus résistantes au cours des crises financières et économiques de 2008-2009.
Comme le détaillait le rapport du sénateur Bruno Retailleau publié en février 2010, « malgré leurs effectifs réduits, elles ont un poids économique non négligeable, entre 20 et 30 % de tous les grands indicateurs. C’est dans l’industrie qu’elles pèsent le plus : 33 % de l’emploi industriel. Mais c’est surtout en matière d’exportation qu’elles obtiennent la meilleure performance puisqu’elles génèrent le tiers de notre chiffre d’affaires à l’export ».
Le défi de la transmission
Malgré ces performances remarquables, les ETI pourraient avoir une contribution plus forte dans notre économie ! Selon l’enquête annuelle d’OSEO et de la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) publiée en juillet 2012, les prévisions de croissance des ETI augmentaient très sensiblement avec la part de l’activité réalisée à l’international. Or, 58 % des ETI réalisent à l’export moins de 5 % de leur chiffre d’affaires ! Pour 18 % d’entre elles, les ventes à l’international oscillent entre 5 % et 25 %. Enfin, elles ne sont que 24 % à afficher un chiffre d’affaires à l’export au moins supérieur à 25 % du chiffre d’affaires global.
Par ailleurs, elles sont peu nombreuses en France. On n’en recense que 4 700 : un chiffre plus de deux fois inférieur à celui observé en Allemagne, en Grande-Bretagne, ou encore en Italie. Les explications existent et sont connues : réglementation foisonnante et instable, charges fiscales et sociales élevées, marché du travail encore trop rigide, logique successorale et familiale moins développée qu’en Allemagne… En outre, les chefs d’entreprises français sont trop réticents à ouvrir une partie de leur capital à des investisseurs, se privant ainsi de ressources financières, d’appuis qui pourraient leur permettre d’accélérer leur développement. Alors, peut-on augmenter rapidement leur nombre ? Cette question est cruciale car la force de frappe d’une ETI à l’export est mécaniquement plus forte que celle d’une PME.
Plusieurs leviers peuvent être identifiés. La transmission est à mon sens un sujet prioritaire. Si l’on peut se réjouir de la vitalité de la création d’entreprises, il faut également se pencher sur le passage de témoin. Je rappelle que l’Insee estime à 700 000 le nombre de chefs d’entreprises qui partiront à la retraite dans les dix prochaines années.
Des milliers d’emplois, des savoir-faire et des expertises sont menacés. Pourtant relever le défi de la transmission est l’une des pierres fondatrices du renouveau industriel dont notre pays a besoin.
Identifier 500 repreneurs
Il faut que nos jeunes talents sachent qu’ils auraient beaucoup à gagner à s’éloigner du mirage des grands groupes. Dans une entreprise en forte croissance et de taille intermédiaire, ils auraient l’opportunité de se voir confier rapidement des responsabilités élevées et peut-être même d’en devenir rapidement actionnaires s’ils sont talentueux.
D’autre part, les entrepreneurs doivent intensifier leurs efforts de séduction auprès des diplômés, davantage séduits, après leurs études, par une expérience dans un grand groupe plus rémunératrice et a priori plus confortable ! Pour réussir la transmission, privilégions les meilleurs cadres de nos ETI ou de grandes entreprises qui sont prêts à franchir le pas ! Faute d’avoir su partager le pouvoir avec la nouvelle génération, dont la culture internationale est un atout, de nombreuses ETI françaises, souvent des champions internationaux, ont récemment disparu ou sont passées sous pavillon étranger.
Je propose d’identifier 500 repreneurs d’entreprises à l’échelle nationale, qui pourraient être accompagnés et même parrainés, pour que nos pépites restent tricolores ! Rompus au management, au marketing des produits et des marchés, avec une vraie culture internationale… ils auraient le profil idéal pour permettre à ces entreprises de poursuivre leur chemin et de grandir, encore et toujours…
Il me semble également qu’il faudrait multiplier les « spin-off » c’est-à-dire les scissions, par les grands groupes, d’activités qui ne font pas partie de leurs métiers-coeur. Arkema et Nexans en sont deux exemples emblématiques. Arkema aurait-il connu le même succès s’il était resté dans le giron de Total ? Nexans serait-il devenu l’un des leaders mondiaux du câble électrique sous la coupe d’Alcatel ? Cela est peu probable ! Une autre solution consisterait à favoriser les regroupements de PME ou d’ETI pour les rendre plus compétitives à l’international.
Enfin, selon une étude réalisée par Oliver Gottschalg, professeur à HEC et membre de l’Observatoire du private equity*, les fonds d’investissements auraient également un rôle à jouer pour augmenter le nombre d’ETI, via la construction de build-up. Cette méthode consiste, pour un fonds, à prendre une participation dans une entreprise puis à lui faire racheter d’autres activités pour les consolider, permettant de créer plus de valeur qu’une opération de private equity classique. Selon cette étude, « le taux de réussite des fusions et acquisitions par des stratèges industriels est très faible, une opération sur deux ne réussit pas. Les build-up réalisés par des fonds de private equity, en revanche, sont moins risqués ». Plus précisément, l’étude estime que 34,5 % des opérations de build-up ont obtenu un retour au moins entre 2 et 3,5 fois l’investissement, contre 32,2 % pour les opérations classiques.
Les banques sont incontournables
Une évidence et une certitude : les banques ont un rôle essentiel à jouer. Par leurs connaissances de leurs clients et de leurs marchés, les banquiers sont les mieux placés pour identifier les entreprises potentiellement exportatrices. On reproche beaucoup aux banques de ne pas soutenir efficacement les entreprises ayant des projets à financer. Mais, comme trop souvent en France, il faut distinguer deux choses. D’une part, les financements à court terme, c’est-à-dire les besoins de trésorerie, et les financements à long terme capables d’accélérer le développement des entreprises. Frappées par le ralentissement brutal de l’activité en 2012 et par le niveau très élevé des défaillances depuis 2009, les entreprises voient leur trésorerie fondre malgré un ralentissement de leur investissement. Dans le même temps, les contraintes réglementaires en cours poussent les établissements financiers à être plus rigoureux lorsqu’ils étudient des dossiers de financement. Par conséquent, les tensions sur la trésorerie des entreprises s’accentuent aujourd’hui. Et les banques ne sont pas responsables d’une telle situation car est-ce leur faute si les grands donneurs d’ordre privés mais également publics ne paient pas en temps et en heure leurs fournisseurs, leurs sous-traitants ? Pourtant, en allongeant les délais de paiement au delà de la limite fixée par la loi – 45 jours fin de mois ou 60 jours date d’émission de la facture – ils imposent à ces derniers de jouer le rôle de banquier, malgré leur fragilité financière. Selon le rapport 2011 de l’Observatoire des délais de paiement, le crédit inter-entreprises représente en France environ 605 milliards d’euros, soit environ 73 % de la totalité des crédits bancaires utilisés par les entreprises résidentes qui s’élevait à 825,1 milliards en décembre 2011, et cinq fois la part court terme de ces crédits (117,4 milliards d’euros en décembre 2011).
Si la loi de modernisation économique (LME) votée en 2008, et qui est censée encadrer ces délais de paiement, était strictement respectée, si les rapports inter-entreprises étaient plus sains, les banques pourraient consacrer leur énergie à financer des projets de long terme susceptibles d’accélérer la réussite des entreprises et in fine du « made in France ».
Esprit de solidarité
Cet esprit de solidarité entre les acteurs économiques et les établissements financiers est l’une des clés du succès du Mittlestand allemand, ce « continuum d’entreprises, pour la plupart familiales et indépendantes, qui se trouvent toutes sur le chemin de la croissance », comme le définit le récent rapport de la Documentation française commandé par le Fonds stratégique d’investissement (FSI). Il faut s’en inspirer – enfin – en créant à notre tour des écosystèmes performants, où les intérêts des uns ne seraient pas en contradiction avec ceux des autres.
N’oublions pas que la pérennité du développement d’une économie est assurée en grande partie par les banques. Nous devons retrouver cette singularité, naguère enviée, d’être des banquiers partenaires.
Pourquoi également ne pas mettre l’épargne des Français au service du financement des entreprises ?
Trop d’ETI voient leur développement (notamment à l’international) freiné par manque de fonds propres. Il est nécessaire de réfléchir collectivement au fait de pouvoir drainer une partie de l’épargne des Français, qui n’a jamais été aussi abondante depuis 30 ans, vers le financement des entreprises. Si les banques sont en mesure de proposer des produits d’investissement dans le capital d’une ETI exportatrice, qui procure un taux de rendement intéressant, je suis intimement persuadé que les Français répondraient présents.
L’arrivée d’un nouvel acteur : la BPI.
Dans ce contexte, on remarquera le lancement très (trop ?) attendu de la Banque publique d’investissement (BPI), qui doit être opérationnel en début de cette année 2013. Elle devrait apporter un peu de clarté aux chefs d’entreprises dans le domaine du financement public, organisé aujourd’hui autour de nombreuses structures. Je note avec satisfaction la création d’un volet export au sein de la BPI qui devrait favoriser le développement à l’international en apportant aux PME et aux ETI des crédits à l’exportation, en leur permettant de renforcer leurs fonds propres et d’accélérer ainsi leur croissance. Lors de la parution en septembre du 19e Observatoire Challenges – iTélé – Banque Palatine des PME/ETI, réalisé par l’institut OpinionWay, 83 % des dirigeants de PME/ETI se déclaraient favorables à la création d’une Banque publique d’investissement. Une adhésion plus large encore que celle que recueillait le projet, présenté en octobre 2011 (73 %) avant même de connaître les détails de cette nouvelle structure. Parmi les dirigeants favorables, 47 % des chefs d’entreprise envisageaient d’y avoir recours. Les besoins des entreprises dans le domaine du financement sont bien réels, notamment pour soutenir leur stratégie export. Je porte également un regard positif sur le pacte de compétitivité que le gouvernement souhaite élaborer pour redresser la santé des entreprises tricolores. Il ne devra faire l’impasse sur aucun sujet, éluder aucun tabou. La fiscalité, le marché du travail, les démarches administratives doivent être réformés pour que la France et ses entreprises conservent leur rang dans l’Hexagone et hors de ses frontières.
Un rôle central à valoriser
La responsabilité du chef d’entreprise demeure essentielle.
Toutes ces initiatives vont dans le bon sens. Mais elles soulèvent une question, cruciale à mes yeux. Comment mieux valoriser encore le rôle central du chef d’entreprise dans notre écosystème ? Car, finalement, c’est lui qui détient toutes les clés. S’il a la fibre du commerce international, et une appétence naturelle pour l’export, son entreprise partira naturellement à la conquête des marchés étrangers. En revanche, si l’international inquiète le dirigeant, il ne portera pas son entreprise et ses salariés au-delà des frontières.
À moins d’être dos au mur, confronté à une chute de la demande sur le marché domestique, il ne prendra pas la décision de se lancer à l’export. À un moment où la croissance économique se tarit fortement en Europe et en France, l’enjeu de l’international et de l’export n’a jamais été aussi important pour nos entreprises. À moins d’être positionnés sur une niche très pointue, préservée d’une concurrence trop marquée – vous en connaissez beaucoup ? – les dirigeants de PME/ETI qui souhaitent assurer le développement de leur entreprise n’ont plus le choix. À peine moins risqué serait de limiter sa stratégie à l’export à l’Europe, qui peine à afficher une croissance supérieure à 2 %. C’est pourtant le choix de la grande majorité des entreprises françaises exportatrices. Composé à 95 % de PME, notre bataillon d’exportateurs réalise les deux tiers de ses ventes dans la zone euro.
Pourtant, sans traverser les océans, de belles opportunités s’offrent à nos chefs d’entreprises. On pourrait citer la Turquie, un pays affichant une croissance annuelle supérieure à 5 % depuis une décennie, dont la population et les entreprises sont avides de produits occidentaux, que ce soit des biens d’équipement ou des biens de consommation. Par ailleurs, la Turquie est une porte d’entrée pour d’autres marchés en pleine croissance au Proche et au Moyen-Orient, dans les anciennes Républiques socialistes de l’ex-URSS.
Parce qu’elles sont mieux armées humainement et financièrement que les TPE et les PME, les ETI ont la capacité de voir plus grand. Une fois de plus, les enseignements de l’Observatoire Banque Palatine de la performance des PME/ETI sont précieux. Interrogés en mai sur les pays dans lesquels une PME/ETI devrait aujourd’hui être présente, la Chine arrivait en tête avec 43 % des votes, devant l’Inde et le Brésil ex-æquo à hauteur de 14 % chacun. A la question de savoir s’il est important pour une PME/ETI d’être présente en Chine, les deux tiers des dirigeants ont répondu positivement. Parmi ces dirigeants, 66 % perçoivent la Chine comme un marché prometteur et 57 % y voient un pays en pleine croissance. Reste à concrétiser ces bonnes intentions car, si la Chine apparaît donc pour les dirigeants de PME/ETI comme LE pays où il faut aujourd’hui être présent, seules 23 % des ETI y sont déjà présentes ou envisagent de s’y implanter. La route vers le succès est longue, mais elle est clairement tracée. Un premier pas a donc été franchi !
Daniel KARYOTIS, ancien Président du directoire de la Banque Palatine, membre du directoire du groupe BPCE
(in la Revue Civique n°10, Hiver 2012-2013)
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* Private equity : ou capital-investissement, consiste en une prise de participation au capital d’une entreprise non cotée en Bourse..