Les déclarations de Jean-Marie Le Pen minimisant la souffrance des victimes du nazisme, qu’il s’agisse des juifs, des résistants ou des habitants d’Oradour-sur-Glane, révèlent pour l’historien et essayiste Marc Knobel une stratégie délibérée de transgression mise au service de l’affirmation d’opinions propres à l’extrême droite la plus dure. Ce court article, adressé à la Revue Civique au lendemain de la mort du leader du Front national (FN devenu RN), explore les implications de ses discours, leur impact sur sa carrière politique et les répercussions juridiques qui en ont découlé.
Lorsque Jean-Marie Le Pen minimise la souffrance des victimes du nazisme, qu’il s’agisse des juifs, des résistants ou des habitants d’Oradour-sur-Glane, il poursuit un objectif clairement transgressif, défini depuis de nombreuses années. Son intention était, entre autres, de faire parler de lui à tout prix. Plus ses propos étaient choquants, plus la polémique enflait, plus le « dérapage » froissait et insultait nos consciences, plus Jean-Marie Le Pen semblait se délecter du scandale qu’il provoquait. Par exemple, il semble évident que lorsque Le Pen utilisait des termes aussi insultants que « Durafour crématoire », lors d’un discours prononcé en septembre 1988 à l’université d’été du Front national faisant explicitement référence à Michel Durafour (alors Ministre de la Fonction publique), le patron du FN était visiblement conscient de l’impact que ses mots pouvaient avoir.
L’occupation allemande « n’a pas été particulièrement inhumaine »…
Cependant, au-delà de l’énième provocation, ses déclarations étaient ancrées dans des certitudes idéologiques et des convictions personnelles. Par exemple, lorsqu’il a mentionné le « drame d’Oradour-sur-Glane » dans l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol le 7 janvier 2005, Jean-Marie Le Pen faisait référence à ce village où 643 personnes, dont des femmes et des enfants, avaient été massacrées par la division SS Das Reich, le 10 juin 1944. A quelques jours de la commémoration de la libération du camp d’Auschwitz, Le Pen a ainsi fait des déclarations controversées, qui minimisent toutes les souffrances des victimes d’Oradour.
Dans cet entretien, Le Pen a déclaré que « l’occupation allemande » en France « n’a pas été particulièrement inhumaine » et qu’« il y aurait beaucoup à dire » sur le massacre d’Oradour-sur-Glane. Il a également soutenu que si les Allemands avaient réellement multiplié les exécutions massives comme souvent rapporté, il n’aurait pas été nécessaire d’avoir des camps de concentration pour les déportés politiques. Il a conclu en plaidant pour l’abrogation des lois antiracistes qu’il qualifiait de « liberticides », affirmant ainsi sa volonté de réexaminer l’histoire de France durant cette période : « ce n’est pas seulement de l’Union européenne et du mondialisme que nous devons délivrer notre pays, c’est aussi des mensonges sur son histoire, mensonges protégés par des mesures d’exception. D’où notre volonté constante d’abroger toutes les lois liberticides Pleven, Gayssot, Lellouche, Perben II », disait-il.
Jean-Marie Le Pen faisait ainsi écho, sans s’y référer explicitement, à certaines pseudo thèses négationnistes défendues par Vincent Reynouard, un militant négationniste connu pour ses positions extrêmes. D’ailleurs, Reynouard avait été exclu de l’Éducation nationale en raison de ses convictions radicales et avait accumulé plusieurs condamnations en France pour contestation de crimes contre l’Humanité. Vincent Reynouard soutenait que les SS avaient emmené les femmes et les enfants dans l’église pour les protéger et affirmait que c’était la Résistance qui aurait causé l’explosion de l’église, une théorie rejetée par les historiens. Reynouard reprenait ainsi des « opinions » émises après la guerre par Otto Weidinger, un officier de la Waffen-SS qui tentait d’innocenter sa division en attribuant la responsabilité du massacre à d’autres acteurs.
Les répercussions juridiques et politiques
Les déclarations de Jean-Marie Le Pen en janvier 2005 ont eu des répercussions juridiques significatives. En 2012, Jean-Marie Le Pen est condamné à trois mois de prison avec sursis et à une amende de 10 000 euros. Cette condamnation s’inscrit dans un contexte plus large de poursuites judiciaires visant ses propos jugés incitatifs à la haine ou négationnistes. Ces déclarations et les condamnations qui en ont découlé ont contribué à établir un « cordon sanitaire » autour de sa personne. De nombreux partis politiques, y compris ceux traditionnellement classés à droite, ont refusé toute alliance avec le Front national en raison de ses positions extrêmes et de ses discours controversés. Ce phénomène a été particulièrement marqué lors des élections, où les autres formations politiques ont cherché à se distancier du FN pour éviter toute association avec l’extrême droite.
Cependant, malgré ces obstacles, Jean-Marie Le Pen a su établir le Front national comme une force politique incontournable. Son ascension culmina en 2002, lorsqu’il atteignit le second tour de l’élection présidentielle, un moment qui marque un tournant dans l’histoire politique française et révèle la capacité de l’extrême droite à mobiliser un électorat significatif. Mais, ce succès électoral a mis en lumière les préoccupations croissantes d’une partie de la population face à des enjeux tels que l’immigration, l’insécurité et la mondialisation. Ces thèmes ont été habilement exploités par Jean-Marie Le Pen et ils sont devenus au fil du temps la pierre angulaire de l’idéologie du FN. Mais cela, c’est une autre histoire…
Marc KNOBEL est historien. Ancien membre du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBTQ (DILCRAH). Il est notamment l’auteur de « Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet » (Hermann, 238 p., 24 €).
(8/01/2025)