Clara est une ancienne journaliste, elle est française, vit en France, elle a élevé ses enfants dans un esprit profondément civique, fait de respect. L’un de ses fils, David, l’a informé, un jour par surprise, qu’il avait cheminé pour rejoindre les rangs de Tsahal, l’armée israélienne, qui lui a transmis ensuite une très solide formation. Depuis quelques jours, il est au Sud d’Israël aux proches abords de Gaza, d’où a surgi l’attaque terroriste du Hamas qui a fait, selon un bilan encore provisoire, 1 200 victimes civils, hommes, femmes, personnes âgées, enfants… Evidemment sous le choc de cet acte terroriste sans précédent, et naturellement inquiète pour son fils, cette mère de famille exemplaire et courageuse témoigne (nous avons changé les prénoms pour des raisons de sécurité) ici dans La Revue Civique, elle nous dit aussi sa « fierté ».
-La Revue Civique : quel a été précisément le cheminement en France de votre fils David, les étapes de son engagement, lui qui a intégré les rangs de l’armée israélienne et se trouve au sud d’Israël ?
-Clara: David est le troisième d’une fratrie de quatre. Au milieu de ses trois sœurs, il a grandi à Paris dans un environnement tout à la fois profondément républicain et intimement juif. A titre personnel, sa personnalité de « petit mec » a été significativement contrebalancée par ses sœurs qui lui ont inculqué -tout comme sa mère !- des valeurs fondamentales de respect et d’égalité. Très sportif, il a toujours aimé le collectif, préférant le foot au tennis. Comme ses sœurs, il a été enthousiasmé, le mot n’est pas trop fort, par ses dix années de scoutisme au sein des Eclaireurs israélites : des chants, des chahuts monstres, des camps et des retrouvailles mais plus que tout le sens de l’entraide et du partage. Il s’y est formé, me semble-t-il, un corps de valeurs pour toujours.
Son adolescence a été évidemment percutée par les attentats de Charlie et plus encore de l’Hyper-Cacher. Sans aucune appétence pour la réflexion théorique, pour l’analyse politique, il s’est inscrit en Fac d’éco et y a passé sa licence, avec une certaine désinvolture. Nous l’imaginions banquier ou trader…jusqu’à un soir de juin, où il nous a mis devant le fait accompli : tous ses dossiers étaient bouclés au millimètre (et D. sait si c’est complexe !), il partait s’engager à Tsahal ! C’était il y a trois ans. Grâce à cette merveilleuse technologie qu’est parfois le téléphone, nous avons pu suivre sa formation pas à pas. En trois mois d’Oulpan, il a maitrisé parfaitement l’hébreu. Il s’est soumis à un entrainement physique incroyable : on voyait presque sa carrure s’élargir à chaque vision (là, c’est la mère juive qui exagère, je sais). A l’issue d’une petite année, il a passé les épreuves de sélection pour intégrer une unité, basée dans le sud d’Israël. Il est pour moi essentiel de souligner combien il a été soutenu, accompagné, encouragé par les Israéliens, les militaires bien sûr mais, plus largement, toute la population qui témoignent d’une affection sans limite aux « soldats seuls ».
« Le message de mon fils samedi à 6 h 30:
Je pars. Pas joignable. Pas de téléphone. »
-Dans son cheminement de David, le judaïsme a-t-il eu un rôle pour aboutir à un tel engagement civique ?
-David n’a jamais été un grand « mystique », loin s’en faut. Il a suivi le Talmud Thora dès l’âge de 7 ans, puis a fait sa Bar-Mitsvah dans une synagogue traditionnelle dont son père est l’un des piliers ! Adolescent, il rechignait à s’y rendre le samedi matin, préférant les grasses matinées ! En revanche, j’ai l’intime conviction que les fêtes, la chaleur des grandes tablées, la dimension festive du judaïsme ont constitué son identité. Comme beaucoup d’adolescents de la communauté, il se « sentait » juif mais rechignait devant une pratique traditionnelle qu’il a dû parfois ressentir comme contraignante. Un point sur lequel il n’a (quasiment) jamais transigé, c’est la cacherout. D’ailleurs, son plus grand bonheur quand nous allions en vacances en Israël, c’était de manger « Mac Do cacher ».
–Etait-il dans les rangs de Tsahal dés le début de l’attaque terroriste lancée par le Hamas au sud d’Israël ?
-Oui. Il a envoyé sur le Whatsapp familial, le samedi 7 octobre à 6h30 du matin, un simple message : « Je pars. Pas joignable. Pas de téléphone». Sept mots terribles. Et après, le silence jusqu’à dimanche soir où il a eu droit à 4 ou 5 minutes pour appeler sa famille. C’était bouleversant, évidemment. J’ai eu le sentiment en l’écoutant qu’il avait fait un bond de maturité : il était calme, inflexible, déterminé et entièrement voué à sa tâche. Il était grave et dense, lui qui a toujours eu la légèreté d’un papillon…
-Sans bien sûr atteindre un secret Défense, quel est le type d’unité combattante dans laquelle il est, le genre de rôle qui est ou peut être le sien, du point de vue militaire, en cette période ?
-Impossible de répondre précisément. Disons qu’il est à quelques centaines de mètres de Gaza et pourrait être amené, avec sa brigade, à y intervenir si les chars rentrent.
« Je suis avant tout une Maman très fière ! »
-Quels sont les sentiments qui vous traversent, depuis le début de son engagement et de sa mission, en tant que mère bien sûr d’abord mais aussi en tant que citoyenne ?
-Je suis avant tout une Maman fière. Et à travers David, fière de toutes celles et tous ceux qui sont à ses côtés. Mon fils est un Mensch. Mais évidemment, la fierté n’atténue en rien l’angoisse de l’avenir et un chagrin sans limite au regard des scènes que le monde entier a découvert depuis dimanche.
-Quels sont les témoignages que vous avez personnellement reçus en France ?
-Ils sont innombrables, précieux. Ce qui me bouleverse le plus, c’est qu’ils proviennent de gens très différents, bien au-delà de la seule communauté juive de France. C’est l’humanisme et le civisme qui s’expriment, au-delà de l’émotion. Un seul mot : merci.
– Avez-vous reçu des expressions d’hostilités aussi ? Les craignez-vous, sachant qu’on a pu mesurer, malheureusement, une montée inquiétante en France des actes antisémites ?
-À titre personnel – et c’est la même chose pour tous les membres de ma famille – je n’ai été ni témoin ni objet de manifestation d’hostilité. Mais quand, mercredi soir à la télévision, je vois un rassemblement à Marseille avec des femmes, brandissant des drapeaux palestiniens, je suis glacée d’horreur et d’incompréhension. Mais pour reprendre une expression devenue célèbre : je ne leur ferai pas cadeau de ma haine.
« Deux mots me viennent, sur lesquels nous ne
transigerons pas : dignité et civisme. »
-Les combats, en Israël et à Gaza, ne font sans doute que commencer. Est-ce que votre fils est, au-delà de la préparation militaire, psychologiquement prêt aussi à cette épreuve qui peut être longue et dure ?
-Je fais une confiance absolue à son encadrement, à la qualité de la formation qu’il a reçue, et plus que tout au soutien inconditionnel du peuple israélien à Tsahal. L’inquiétude, c’est le jour d’après : comment vit-on, à 23 ans, après avoir vu ce que David a vu. Et fait aussi (en terme de combats) sans doute.
-Quelles sont vos attentes ou espoirs, qu’il s’agisse des comportements et des expressions publiques, concernant les responsables français, du monde politique par exemple mais aussi du monde culturel ou médiatique ?
-Tous les combats politiques peuvent s’entendre et se mener dans un cadre démocratique. En France, chacun a la liberté de s’exprimer, en tant que citoyen, en pleine conscience. Je ne peux m’empêcher de noter, même si c’est dérisoire dans ces circonstances, le silence prudent des pétionnaires patentés et de certains acteurs de premier plan du monde médiatique et culturel. Deux mots me viennent, sur lesquels nous ne transigerons pas : dignité et civisme.
Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET
(11/10/2023)