Les époux Serge et Beate Klarsfeld se sont rendus récemment, une énième fois, à Perpignan, ville que Serge connaît bien: « j’y suis allé au moins 30 fois » a-t-il raconté à la soirée des « Amis du Crif » à laquelle la Revue Civique a participé. Sauf que la dernière fois, c’est des mains du Maire RN de Perpignan, Louis Aliot, candidat à la présidence du parti lepéniste de surcroît, qu’il a accepté de recevoir la « médaille de la Ville » au titre de son action mémorielle (remarquable, bien sûr). Le célèbre « chasseur de nazis » déclarant en outre que ce candidat lepéniste n’était « pas antisémite », qu’il soutenait Israël, les actions mémorielles en faveur des victimes de la Shoah et du régime de Vichy et donc qu’il mériterait lui-même d’être distingué.
Ces prises de position, répétées et a-t-il dit assumées, et la reconnaissance publique qu’elle a représenté ont suscité une vive controverse, au sein de la communauté juive et bien au-delà. Car, au-delà de la personne de Louis Aliot (qui a d’ailleurs milité activement plus de trente ans au FN, devenu RN, y compris du temps de Jean-Marie Le Pen sans jamais quitter ce parti), c’est bien sûr le candidat à la présidence de ce parti et le parti d’extrême droite tout entier qui sont en cause, dans la mesure où la position des Klarsfeld est apparue aussi comme « une courte échelle » à la respectabilité recherchée, depuis des années, par les dirigeants du RN, toute la stratégie de Marine Le Pen (dite de « dédiabolisation ») allant dans ce sens, en vue d’accéder un jour au pouvoir en France.
La relation de combativité globale
avec l’extrême droite RN en question
Il est clair en effet, qu’au-delà de la ville de Perpignan et du cas Louis Aliot (qui s’est d’ailleurs habilement fait élire Maire de Perpignan en effaçant l’étiquette RN), c’est bien la relation de combativité globale avec le premier mouvement d’extrême droite d’Europe qui est à l’évidence en question. Peut-on distinguer dans ce parti en ascension, « le bon grain de l’ivraie » ? Le pari d’une subtile distinction est-il possible alors que le RN fait bloc depuis ses succès de la présidentielle et des législatives ? Serge Klarsfeld évoque l’action de division qu’il dit avoir menée, en contrant « les durs » du RN (qui seraient tous uniquement derrière Jordan Bardella): « Diviser le FN, c’est affaiblir le FN » a-t-il ainsi déclaré, sur la défensive, lors de la soirée des Amis du Crif.
Le Président du Crif, Yonathan Arfi, en accueillant les époux Klarsfeld à cette réunion (programmée de longue date, bien avant le surgissement de cette polémique), a tenu à relever « le trouble » suscité et à rappeler la ligne de l’institution qu’il préside, à savoir la nécessité d’établir clairement « un cordon sanitaire » de protection « vis-à-vis de l’extrême droite et de l’extrême gauche ». Il observait aussi l’importance de l’enjeu, en cette période où des espaces s’élargissent malheureusement, laissant libre cours au relativisme des principes et à la banalisation des extrémismes, sous couvert de vents populistes. En accédant à la présidence du Crif, a-t-il confié ce soir-là, « j’ai senti le grand défi: tenir les digues contre l’extrême droite » et « une crainte: qu’elles soient de plus en plus contestées ». On y est. D’où le malaise et les incompréhensions, par exemple quand le fils Klarsfeld, Arno, a jugé bon renverser la réalité du sectarisme flamboyant qui caractérise les extrêmes: Louis Aliot aurait « changé », a-t-il dit, et ne pas le reconnaître serait une attitude « sectaire »…
Il va sans dire que tout le monde, loin s’en faut, n’est pas de cet avis. Et, comme l’ont précisé plusieurs intervenants, dont Jean-Philippe Moinet, auteur, chroniqueur et fondateur de la Revue Civique (qui avait fondé et présidé un « Observatoire de l’extrémisme pour une vigilance républicaine » il y a 25 ans, avec le soutien notamment des époux Simone et Antoine Veil), c’est bien une essentielle question de principe qui est en jeu. Principe à maintenir, quelles que soient les affichages calculés et les déclarations personnelles de tel ou tel élu RN, principe à maintenir compte tenu de la dangerosité de ce « mouvement national » devenu, de démagogies xénophobes en racolages populistes, le premier mouvement d’extrême droite d’Europe.
La vigilance doit redoubler
La vigilance doit même d’autant plus redoubler que l’époque est, précisément, à la banalisation de toutes les virulences et violences, qui colportent toutes formes de complotismes et conduisent à la négation des principes de la République et de l’Histoire qui lui est attachée.
L.T (21/10/22)