Saisissement foudroyant, le 24 février a été un jour tragiquement historique, pour l’Ukraine, l’Europe et le monde.
Aucune menace ne pesait sur son pays, et pourtant un dictateur nommé Poutine a déclenché une guerre de grande ampleur contre un pays européen voisin, démocratique et souverain. Acte de guerre sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale et réveil brutal: un État dictatorial – qui emprisonne et empoisonne ses opposants, qui assassine des journalistes (une quarantaine a précisément documenté l’ONG Reporters Sans Frontières) – a franchi la ligne rouge tracée par la charte des Nations Unies, en faisant voler en éclat l’inviolabilité des frontières d’un État souverain.
Toutes les démocraties et particulièrement en Europe sont bien sûr concernées car elles sont visées par cet acte de guerre provoquée dans la plus grande duplicité (les discussions étaient ouvertes avec les Occidentaux, la France en particulier) et dans la plus grande brutalité (les crimes de guerre rapidement commis en Ukraine) par un chef d’Etat qui s’est maintenu au pouvoir, depuis 22 ans, en militarisant son régime et en provoquant méthodiquement des déstabilisations en dehors de ses frontières. Comme pour tous les dictateurs, les fuites en avant extérieures qui pointent des ennemis étrangers sont la méthode éprouvée pour masquer les échecs intérieurs, compenser les faiblesses qui en découlent, et se maintenir artificiellement au pouvoir. Jusqu’à quand ?
« Les complaisances et complicités avec le dictateur russe doivent alerter les Français et mettre l’Europe en vigilance active contre les dangers que porte le semeur de guerre avec ses relais, colporteurs des pires thèses révisionnistes sur l’Histoire en cours et des pires postures autoritaires »
Cette guerre en dit long sur la nature du pouvoir russe mais aussi sur une forme d’aveuglement qui a pu caractériser une partie des dirigeants européens, qui se sont bercés d’illusion – ou se sont laissés impressionner ou amadouer -, en Allemagne et en France par exemple jusqu’à de très hauts niveaux (de l’ancien Chancelier socialiste Shröder à l’ancien Premier ministre LR Fillon), sur les intentions de la « grande Russie », dont la dangerosité du régime autoritaire a été relativisée sous couvert de la prise en considération d’une « tradition ancestrale ». Que les forces nationalistes, populistes d’extrêmes droites et de gauche radicale, se soient aussi ostensiblement alignées pendant des années sur le dictateur russe doit bien sûr, rétrospectivement, alerter les Français et mettre l’Europe en vigilance active contre les dangers que porte le semeur de guerre avec ses complices, colporteurs des pires thèses révisionnistes sur l’Histoire en cours et des pires postures autoritaires, qui mettent frontalement en cause les fondements même de nos démocraties. Tout le monde en a-t-il conscience, en France en particulier ?
Car la démocratie à défendre, c’est bien de cela dont il s’agit aujourd’hui à l’échelle du continent, c’est même malheureusement un combat d’avenir ! Les chefs d’Etat et de gouvernement européens l’ont d’ailleurs parfaitement et rapidement compris, au-delà de leurs différences d’orientations politiques et elles sont nombreuses sur le Continent. Mais l’agression militaire de Poutine a réussi à ressouder comme jamais les 27 Etats-membres de l’Union européenne, et à remobiliser les dispositifs de défense de l’alliance atlantique, notamment au niveau du premier cercle du bouclier défensif, à l’Est: des pays baltes à la Bulgarie, en passant par la Pologne, la Slovaquie et la Roumanie. Autant de pays de l’ex-bloc soviétique, qui n’ont naturellement aucune envie de perdre les acquis de leurs « jeunes » démocraties et de retomber 40 ans en arrière dans l’obscurité du totalitarisme.
Cette guerre a saisi de sidération d’abord, d’effroi ensuite, toutes les opinions publiques européennes qui ont très bien vu, dés le 24 février, qui était l’agresseur et qui était l’agressé, qui était à protéger et soutenir, qui était à craindre et à bloquer. L’extraordinaire force résistante des Ukrainiens eux-mêmes a impressionné les citoyens d’un Continent qui croyaient, depuis plus de sept décennies et trois générations, que les horreurs de la guerre n’étaient qu’un vieux et très mauvais souvenir.
Les démocraties doivent se réarmer. Au sens moral et militaire. Non pas pour mener une guerre injuste mais pour simplement se défendre, avec justesse et fermeté.
Les images des villes ukrainiennes bombardées et de leurs habitants abrités dans les caves ont provoqué un puissant élan de solidarité avec les Ukrainiens et réveillé les Européens qui ne peuvent plus penser, désormais, que les dangers d’un régime autoritaire et expansionniste ne les concernent pas. Oui, la démocratie, une société de libertés et de contre-pouvoirs, avec une justice, des ONG et des médias indépendants, avec la paix civile qui en découle, l’ensemble de ce bien si précieux et si chèrement acquis est clairement menacé par des régimes qui peuvent user de la pire force meurtrière qui soit et qui se nomme la guerre. L’Europe en subit la dure épreuve. Qui appelle à tout, l’Histoire nous l’a appris, sauf à la faiblesse ou à une nouvelle complaisance.
Face à cette menace, il est clair que les démocraties doivent donc, dans la durée et sans faillir, se réarmer. Au sens propre comme au sens figuré. Un réarmement moral et militaire. Non pas pour mener une guerre injuste mais simplement pour se défendre avec justesse et fermeté. Pour protéger ce précieux patrimoine de libertés qui fait le socle de valeurs de l’Union européenne, qui n’a jamais été atteint depuis la chute du Mur de Berlin.
Nous devons donc nous sentir portés par un devoir civique renouvelé qui exige, en ce moment d’accélération de l’Histoire, une mobilisation citoyenne qui, dans les mois et les années qui viennent, concerne et réunit tous les démocrates, au-delà de toutes les frontières, qu’elles soient idéologiques, culturelles ou géographiques.
Jean-Philippe MOINET, auteur, chroniqueur, fondateur de La Revue Civique.
(19/03/2022)