L’historien Benjamin Stora, auteur d’un rapport important sur la colonisation et la guerre d’Algérie, et les mémoires relatives à cette période encore sensible, répond ici aux questions de Jean-Philippe Moinet, auteur, chroniqueur et fondateur de La Revue Civique (accessoirement natif d’Algérie), sur deux axes principaux :
1/ Le temps de la « réconciliation des mémoires » (fragmentées) est-il venu, enfin, en tout cas possible plus de deux générations après la fin de la guerre d’Algérie et l’indépendance de l’Algérie ? Ou est-ce trop optimiste de le dire, vues les tensions encore visibles des deux côtés de la Méditerranée sur ce sujet ?
2/ Même si les deux pays ont beaucoup évolué, n’y a-t-il pas une certaine « asymétrie » dans le travail des historiens et l’effort non sélectif de mémoire venant des dirigeants politiques, entre le Nord de la Méditerranée (la société civile, historiens, médias, etc… étant totalement libres en France) et le Sud de la Méditerranée (où la tradition dirigiste, voire autoritaire, de l’Etat laisse moins de latitude à l’autonomie de la société civile en Algérie) ? Et pourquoi des blocages perdurent actuellement ?
Dans cet entretien, les réponses de l’historien sont à la fois précises et très intéressantes pour la compréhension actuelle des approches et des politiques mémorielles, en France et en Algérie. « Nous sommes à la veille d’un processus », « mon rapport ne termine pas quelque chose », il s’emploie « à ouvrir des pistes », commence Benjamin Stora. Qui tient à bien distinguer ce qui relève du travail des historiens et des démarches de la société civile d’une part, et ce qui relève des mesures venant des responsables politiques et étatiques d’autre part. Il estime que la vision du grand écart qui sépare la démocratie France et le régime Algérie est à relativiser, compte tenu de « la pluralité » qui traverse la société algérienne. Cf l’intégralité de l’entretien, ci-dessous :
Benjamin Stora nous précise que, dans le travail actuel des historiens et le sien en particulier, il est préférable de s’arrêter sur une série de « questions pratiques » – « plutôt que refaire l’énième récit des affrontements, des invectives et même si l’inventaire des récits est fait dans mon rapport », précise-t-il. Oui, ce qui l’a intéressé et le motive bien davantage, c’est de faire « l’inventaire de ce qui reste à faire, d’un point de vue pratique ». Et de citer, par exemple, la question des cimetières, parfois abandonnés en Algérie, « cimetières européens, cimetières juifs »: « des gens formidables, sur-place » en Algérie sont volontaires et disponibles pour s’occuper de cette question, notamment de l’entretien des cimetières, sujet qui renvoient naturellement à la mémoire des résidents d’Algérie, avant l’indépendance du pays.
Benjamin Stora évoque aussi dans cet entretien pour La Revue Civique le sujet des archives, les progrès accomplis, beaucoup d’entre elles étant disponibles ou déjà restituées à l’Algérie, la question continuant néanmoins à se poser d’un point de vue pratique également. « Les historiens algériens désirent aussi accéder aux archives algériennes », nous explique-t-il, qu’il s’agisse des archives de l’avant 1962 (année des accords d’Evian et de l’indépendance de l’Algérie) ou des archives de l’après 1962, certaines zones d’ombres étant aussi à éclaircir, naturellement, après cette date. « Comment faire l’histoire du nationalisme (algérien) en s’arrêtant en 1962 ? » interroge, logiquement, l’historien. Qui reste relativement optimiste sur les évolutions actuelles, notamment venant de la jeune génération de chercheurs et d’historiens algériens.
(12/05/21)