Le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, réunis à Bruxelles lors de la journée internationale des Droits de l’Homme, a annoncé l’adoption d’un nouveau régime de sanctions ciblées à l’encontre de responsables de graves violations des droits humains, quelle que soit leur nationalité ou le pays où elles ont été perpétrées. Ce nouveau régime de sanctions est inspiré des législations “Magnitski” – adoptées en 2012 par les États-Unis puis dans d’autres pays – qui ciblaient les responsables de la mort de Sergueï Magnitski, avocat russe mort en 2009 en détention provisoire après avoir été violenté. Parmi les personnalités françaises engagées dans ce combat, André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, répond aux questions de La Revue Civique.
-La Revue Civique : un accord sur une loi européenne dite « Magnitski » vient d’être annoncé, pouvez-vous d’abord nous rappeler ce que recouvre l’affaire de cet avocat retrouvé assassiné à Moscou ?
-André GATTOLIN : Sergueï Magnitski était un avocat fiscaliste russe qui travaillait pour une société dirigée par Bill Browder, investisseur et homme d’affaires américain implanté en Russie, qui lui avait demandé en 2007 de mener une enquête interne sur un cas de fraude et de corruption massive, mêlant des officiers du ministère russe de l’Intérieur à la puissante mafia de ce pays. M. Browder, qui avait été illégalement spolié de ses sociétés, avec le soutien de certaines autorités russes, avait précédemment été expulsé du pays en raison de son activité de lanceur d’alerte, puis accusé d’évasion fiscale. Après avoir témoigné en justice sur cette affaire, Magnitski fut arrêté, placé en détention provisoire pendant un an, maltraité et battu, bien que gravement malade, jusqu’à sa mort, en novembre 2009.
« Un scandale retentit dans le monde entier. Des initiatives, ensuite, ont été prises pour empêcher la répétition de ce type d’actes criminels. »
Le scandale retentit dans le monde entier et, depuis, Bill Browder se bat sans relâche pour que justice et vérité soient rendues, à travers une campagne internationale visant à empêcher la répétition de ce type d’actes criminels. Grâce à cette campagne, en 2012, le Président des États-Unis, Barack Obama, promulgue le premier Magnitski Act, qui sanctionne les principaux responsables du meurtre de Sergueï Magnitski en leur interdisant l’entrée et la détention de biens sur le territoire américain. La liste des personnes sanctionnées sera ensuite élargie à d’autres crimes ou violations flagrantes des droits humains, jusqu’à comprendre aujourd’hui 250 noms. Six autres pays, comme le Canada ou le Royaume-Uni, suivront cet exemple en adoptant des législations similaires. Après des années de divisions entre ses États membres, l’Union européenne se dote elle aussi de ce type innovant de sanctions ciblées.
« Ce dispositif permettra de cibler des responsables – personnes physiques ou organismes, étatiques ou non – responsables de graves violations des droits humains ».
-Un accord vient donc d’avoir lieu à l’échelle de l’Union européenne, mais quel est l’objet et le champ de cette « Loi européenne », et en quoi elle renforce réellement la protection des Droits de l’Homme ?
-Ce nouveau régime de sanctions permettra de cibler des responsables de graves violations des droits humains, telles que le génocide, les crimes contre l’humanité, la torture ou les détentions arbitraires. C’est un périmètre très large, qui ne comprend d’ailleurs pas la corruption mais qui permettra de cibler non seulement des personnes physiques, mais aussi morales, qu’elles soient étatiques ou non.
Ces sanctions sont plus efficaces et plus justes que des sanctions économiques générales, qui frappent des pays entiers de façon indiscriminée. Cependant, la procédure choisie suscite des interrogations, car seul le Conseil des Ministres de l’UE sera autorisé à prononcer des sanctions et ce à l’unanimité de ses 27 gouvernements nationaux. Les relations qu’entretiennent certains États membres avec des puissances tierces risquent en effet de créer quelques difficultés d’application…
« Décerner en 2021 le Prix Sakharov à Bill Browder honorerait ce long et utile combat ».
– En quoi le prochain Prix Sakharov pourrait avoir son importance, en 2021, pour le combat que vous menez ?
-L’Union européenne n’a pas souhaité nommer ce nouveau régime de sanctions en mémoire de Sergueï Magnitski car il ne s’agit pas de cibler certains pays en particulier. Décerner le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit à Bill Browder serait une manière d’honorer ce long combat, ce que le Parlement européen a déjà appelé de ses vœux, en ayant longtemps poussé pour une “loi Magnitski” européenne. C’est pourquoi j’invite l’ensemble des député.e.s au Parlement européen à soutenir sa candidature en 2021.
(11/12/20)
Egalement active pour promouvoir cette nouvelle disposition européenne, la députée de la Drôme Mireille Clapot, membre de la Commission des Affaires étrangères, observe que «l’adoption de ce nouveau cadre juridique marque le passage à un nouveau type de sanctions ciblées et transversales, en complément des traditionnelles sanctions économiques et technologiques générales utilisées jusqu’ici par l’UE, comme cela est le cas depuis l’annexion de la Crimée par la Russie. Nous jugeons ce nouveau type de sanctions plus efficace et plus juste parce qu’il frappe exclusivement les responsables effectifs de ces violations graves des droits humains, ainsi que ceux qui les financent ou soutiennent, en interdisant leur entrée sur le territoire de l’Union européenne et en gelant les avoirs qu’ils pourraient détenir dans les États membres».