Dans un contexte de crise qui s’annonce dure, le dernier sommet européen a représenté un heureux sursaut européen, et une salutaire démarche collective, à grand sens pour l’avenir.
Certes, les discussions ont été âpres, douloureuses même, entre certains Etats, les « frugaux » ou « radins » (ils étaient 5) ayant entretenu un bras de fer avec la France, l’Allemagne et 20 autres Etats qui ont, finalement obtenu gain de cause sur l’essentiel.
Cet essentiel était dicté par l’urgence. Comme l’a souligné la Chancellière allemande Angela Merkel, « à circonstances exceptionnelles (de crise), mesures exceptionnelles ». Le Président Français a parlé d’accord « historique » et il n’a pas tort, tant l’enjeu était crucial pour l’Europe et la décision utile pour un « nouveau chemin » européen: la crise Covid ayant enclenché une grave crise économique et sociale à échelle mondiale, il fallait que les dirigeants européens soient collectivement à la hauteur de l’événement. Ils l’ont été. A plusieurs titres.
Un énorme budget européen, inédit, est consacré à la relance économique, la cohésion sociale et la transition écologique.
Tout d’abord par l’exceptionnel montant global du plan de relance décidé par l’Union européenne : 750 milliards d’euros. Certains nationaux populistes ont cru bon, en France, prétendre que ce n’était « pas grand-chose » (le député LFI Quatennens sur BFMTV) ! Les jeunes, les chômeurs, les commerçants et artisans en difficulté apprécieront. Cet énorme budget européen contient non seulement 360 milliards de prêt spécial, levé par l’Union européenne elle-même et c’est une première, mais aussi 390 milliards de subventions directes, qui iront donc abonder les plans de relance nationaux sans nécessité de remboursement ultérieur.
Une aide directe et substantielle, qui sera précieuse, dans le cas de la France notamment, pour limiter la montée inévitable du chômage (notamment des jeunes), pour soutenir les PME, le commerce et l’artisanat, par exemple dans les domaines de la restauration ou du tourisme, secteurs qui ont été particulièrement touchés par la crise Covid et la nécessité d’un confinement qui a mis à l’arrêt l’économie.
Ces aides européennes représentent environ 40% du plan de relance français (estimé à 100 milliards d’euros) et permettront donc de mieux faire face à une crise économique et sociale, la plus redoutable que nous avons à traverser depuis 1945. Elément important, souvent oublié dans le débat public français, ce plan européen va provoquer également, au-delà de la « distribution » dans tel ou tel Etat-membre, un effet de levier pour toutes les économies européennes prises dans leur ensemble et dans la même période: le déversement de 750 milliards ‘euros aura ainsi une vertu, économique et sociale, pour l’ensemble du Continent indépendamment des frontières intérieures, tant les économies européennes sont interdépendantes. C’est ce qu’ont compris et voulu les dirigeants européens, allemands compris (longtemps accusés d’être des rigoristes égoïstes) : ce qui vaut pour toute l’Europe, vaut pour chacun des Etats-membres et finalement, en retour, pour tous ses citoyens.
« L’effet d’entraînement, collectif et continental, est sans doute ce qui dérange le plus les forces nationalistes ».
Cette logique d’entraînement, collectif et continental, est sans doute ce qui dérange d’ailleurs le plus les forces national-populistes, qui tentent depuis des années de faire croire le contraire : à la gauche de la gauche comme à l’extrême droite, les nationalistes ont toujours, profitant des crises, cherché à faire croire que l’Union européenne était l’empire de « l’austérité », d’un « néo-libéralisme » sauvage pour les plus faibles. Rien de plus faux dans le Continent le plus « social-démocratisé » du monde, où les niveaux de prélèvements obligatoires comme des systèmes de redistributions sociales sont les plus élevés du monde.
L’intervention budgétaire massive décidée par le dernier sommet européen démontre que, au-delà des décisions financière des Etats (et la France en matière d’intervention sociale est championne d’Europe), c’est désormais l’Union européenne elle-même, secouée et menacée par la crise, qui prend des décisions inédites et exceptionnelles, à la fois par leur ampleur financière et par leur nature politique.
Alors bien sûr, il a fallu faire des compromis avec quelques petits pays « frugaux » (les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, l’Autriche, la Finlande), pour qu’il y ait à l’avenir quelques rabais sur leur contribution annuelle au budget européen. Mais ces quelques rabais (sur lesquels les forces national-populistes se sont accrochées pour protester) sont bien peu de choses par rapport à la dynamique induite par l’accord et cet exceptionnel plan de relance. Qui porte aussi en germe, des évolutions de politiques publiques particulièrement vertueuses.
La crise produit un effet démultiplicateur de volontés et un effet accélérateur de transformations.
Ainsi, 30% des budgets engagés devront servir la transition écologique et, à l’échelle de l’Europe, assurer le respect des engagements de l’accord de Paris sur le Climat. Ce n’est pas rien. La crise produit ainsi un effet démultiplicateur de volontés et accélérateur de transformations. La transformation économique est donc couplée, et marquée par cette décision européenne, avec une transformation écologique. Une direction majeure pour l’avenir.
Aussi, le financement de l’extraordinaire plan de relance devra être réalisé à l’avenir par des « ressources propres » de l’Union européenne, une première très importante aussi. Pour la première fois, l’Union organise et réalise un prêt à l’échelle des 27. Et pour la première fois, les Etats-membres ne devront pas puiser dans la ressource des impôts nationaux mais dans une nouvelle fiscalité européenne en devenir. Une étape clé est ainsi franchi, la plus importante depuis la création de l’Euro, comme l’a souligné le chef de l’Etat français Emmanuel Macron.
Il y aura, dès 2021, une taxe européenne sur les plastiques à usage unique, qui viendra abonder le budget européen. Il y a ensuite, en projet, la taxation européenne des géants du numérique, les fameux GAFAS américains (Google, Amazon, Facebook etc…) qui produisent pour eux d’énormes profits sans contribuer, à un juste niveau, pour la collectivité publique.
Certes, cette taxe européenne n’existe pas encore, ce que se plaisent à souligner les nationalistes protestataires. Mais le haut niveau du plan de relance sera à l’évidence une motivation supplémentaire pour tous les Etats-membres désormais, en vue de mettre sur pieds cette mesure de fiscalité européenne et de suivre la voie que la France a déjà ouverte.
Enfin, troisième type de ressources propres envisagée par les dirigeants européens, un « taxe carbonne » aux frontières de l’Union européenne, qui s’appliquerait aux produits venant du reste du monde et qui n’appliquent pas les normes environnementales vertueuses pour la planète. Cela rehausserait d’autant le prix de ces produits importés mais cela montrera que les Européens veulent aussi se protéger des agressions commerciales, qu’elles viennent d’Amérique du Nord ou d’Asie, de Chine notamment, qui s’emploient depuis des années à faire du dumping commercial, sans scrupules, ni égards pour les normes élémentaires de respect de l’Environnement.
Il s’est agi, pour les 27 Etats de l’Union, de faire valoir une certaine idée de l’Europe, qui protège et s’organise face à la crise.
Pour les 27 Etats de l’Union européenne, il s’est donc finalement agi, dans ce sommet européen exceptionnel, de faire valoir une certaine idée de l’Europe, qui protège, qui agit, qui s’organise : pour faire de l’Europe, grand marché unique, une « Europe puissance » qui sait se défendre. Une façon, dans les rapports de force géopolitiques qui ont beaucoup évolué ces dernières années, de montrer au reste du monde que l’union fait bien la force et que les divisions intérieures ont des limites.
La solidité du couple franco-allemand a été un point déterminant, qui a pu, cette fois, emporter une décision forte qui est non seulement exceptionnelle sur le plan conjoncturelle en cette année 2020 de crise, mais qui aura des conséquences positives de longue durée. N’en déplaise, à l’extérieur, à l’isolationisme peu amical façon Trump, ou à l’agressivité, commerciale et parfois politique, du géant chinois. Et n’en déplaise, à l’intérieur, aux grincheux « frugaux » d’un côté, aux nationaux-populistes protestataires de l’autre.
Jean-Philippe MOINET, chroniqueur, fondateur et directeur de La Revue Civique, est aussi Président de l’institut Marc Sangnier.
(23/07/20)