Des indicateurs d’opinion publique montrent clairement qu’en cette période de crise, inédite, la marge d’expansion de Marine Le Pen a été limitée et même réduite. Ses certitudes – son systématisme critique et ses postures national-populistes tendance crypto-complotiste – sont apparues bien décalées dans une période dominée par les incertitudes, qui appellent sérieux et crédibilité. L’analyse ici du chroniqueur et fondateur de La Revue Civique, Jean-Philippe Moinet.
Et si, dans la crise inédite que nous vivons, les Français voyaient (encore plus) que la démagogie n’était (surtout) pas la voie d’avenir ? Et si une redistribution des cartes avait lieu actuellement, dans l’opinion publique, sur le terrain du réalisme ? Et si Marine Le Pen avait raté une occasion historique (pour elle et son mouvement) de gagner en sérieux et en crédibilité ?
En martelant depuis deux mois « on nous ment sur tout », posture favorite (et crypto-complotiste) propre au populisme d’extrême droite, ne s’est-elle pas enfermée dangereusement dans un créneau, dont elle pouvait penser qu’elle lui ouvrirait un boulevard, alors qu’il s’avère n’être qu’une avenue assez étroite ? Et n’y-a-t-il pas, en conséquence, un doute supplémentaire qui pèse sur elle, y compris chez ses électeurs de 2017, concernant sa capacité à diriger le pays ?
Un plafond de briques qu’elle s’est elle-même contruit au-dessus de la tête »
Deux récentes études d’opinion viennent illustrer le plafond de briques que la Présidente du RN s’est elle-même construit au-dessus de la tête, et qui bloque son expansion. Parmi les indicateurs qui indiquent en tout cas qu’elle n’a pas fait la percée qu’elle escomptait, il y a notamment celui-ci : Marine Le Pen n’apparaît même pas dans le top 25 des personnalités politiques les mieux appréciées des Français, tel qu’il est régulièrement établi par l’IFOP dans le tableau des personnalités qui recueillent une « bonne opinion » (étude pour Paris-Match, Sud Radio, Fiducial, ce mois de Mai). Elle n’arrive qu’au 28ème rang des personnalités politiques, au même niveau de « bonne opinion » que Nicolas Dupont-Aignan : c’est dire si la candidate RN déjà déclarée à la présidentielle de 2022 ne suscite pas un attrait décisif, en une période qui est pourtant potentiellement favorable aux oppositions.
Autre indicateur et autre question révélatrice de l’état de l’opinion, posée par l’IFOP pour le JDD cette fois : « Pour chacune des personnalités suivantes, diriez-vous qu’elle ferait mieux, moins bien ou ni mieux ni moins bien qu’Emmanuel Macron si elle était aujourd’hui au pouvoir ? » Dans le tableau des réponses « ferait mieux », Marine Le Pen arrive certes en tête (à égalité avec Nicolas Sarkozy) mais avec un score de 20% des réponses : ce n’est pas rien, mais ce niveau peut paraître particulièrement faible si on se souvient que la même Marine Le Pen avait recueilli 34% des voix au 2d tour de la présidentielle de 2017.
Une période où on attend bien davantage que des caricatures «
Si on compare ces deux pourcentages, cela veut bien dire qu’une bonne partie des électeurs et sympathisants de Le Pen eux-mêmes pensent qu’elle ne ferait « pas mieux » : la crédibilité de la leader du RN plafonne donc, y compris chez ses sympathisants qui savent que, si elle fait peut-être « le boulot protestataire » attendu par ses troupes, son systématisme caricatural dessert une crédibilité nécessaire pour une présidentiable, en une période où on attend en outre bien davantage que des caricatures. C’est l’étau redoutable dans lequel semble coincée la Présidente du premier mouvement national-populiste et d’extrême droite d’Europe.
Elle doit répondre à sa « base », radicale dans les protestations, friande de thèses crypto-complotistes du « On nous ment sur tout » : c’est un fonds de commerce qui fonctionne bien pour canaliser 20% au moins de l’opinion. Mais pour tenter de se glisser dans le costume du présidentiable, ça coince forcément ! En période de crise surtout, une forme d’irrationalité dans les peurs peut se répandre dans une partie de l’opinion mais une demande, bien supérieure et plus forte, de sérieux, voire de rigueur celle-là, a surgi fortement (qui a fait par exemple que, dans la période, la cote du Premier ministre Edouard Philippe est montée de 14 points en deux mois, dans le baromètre de l’IFOP précité).
En résumé, il apparaît que la crise du Covid a peut-être ouvert une séquence nouvelle, peut-être pas durable mais novatrice en tout cas en ce qui concerne les attentes actuelles de l’opinion : les démagogies populistes ne paient pas alors que le rigorisme de gestion de crise a valu quelques crédits d’opinion favorables, plutôt inattendus. C’est un point fondamental dans les évolutions possibles, relatives aux attentes démocratiques, actuelles et peut-être futures en France.
La crise a ouvert une période d’incertitudes, où les certitudes idéologiques sont décalées «
La crise historique du Covid a ouvert un horizon fait d’incertitudes, sur le plan de la situation sanitaire au niveau mondial, sur le plan économique et social aussi, période où les certitudes idéologiques apparaissent, du coup, fortement décalées.
Ce qui est frappant et révélateur aussi dans l’étude évoquée, c’est que Marine Le Pen (avec Jean-Luc Mélenchon d’ailleurs) arrive largement en tête, avec le plus haut score… dans les réponses « ferait moins bien » : 41% des Français le pensent (et elle recueille par ailleurs le plus faible score des personnalités d’opposition pour la réponse « ne ferait ni mieux, ni moins bien »).
Stratégiquement, tous ces éléments posent donc un problème de débouché politique qui peut, potentiellement, s’aggraver pour elle dans la période qui s’ouvre. Même si ses partisans diront, qu’une fois refermée la parenthèse de la crise Covid par exemple à l’automne, un nouvel espace de prospérité politique pourrait s’ouvrir pour elle. Sauf que d’autres prétendants d’opposition auront pris des marques, jugées sans doute plus sérieuses et plus sûres.
Jean-Philippe MOINET, chroniqueur, fondateur de La Revue Civique (a été Président de l’Observatoire de l’extrémisme.
(15/05/20)