Psychanalyste à Paris, Catherine Krespine analyse pour La Revue Civique les effets psychologiques, positifs et négatifs, de l’expérience inédite, pour la population à l’échelle du pays, du confinement et de la « distanciation sociale ». Entretien sur les effets contrastés de cette double expérience humaine.
-La Revue Civique : dans les impacts psychologiques du confinement, quels sont, selon vous, les effets dominants et peut-être durables, les effets négatifs ou les effets positifs ?
-Catherine Krespine : Il est difficile bien sûr de généraliser, chacun réagit un peu différemment à cette situation inédite et exceptionnelle. Mais il y a chez beaucoup de mes patients et dans les témoignages qui me reviennent un aspect positif de « redécouverte » qui apparaît souvent : redécouverte un peu de soi-même et beaucoup de ses proches, de ses enfants notamment, qui apportent beaucoup aux adultes, qu’ils soient antérieurement en difficultés psychologiques ou non. Une relation renouvelée a pu se nouer avec les enfants à cette occasion exceptionnelle d’un confinement, une prise de conscience s’est produite: les enfants sont apparus beaucoup plus calmes, réceptifs et joyeux et il est clair que c’est la disponibilité des parents qui en est l’origine ! Ce ressourcement dans la sphère privée est souvent très bien vécu.
Hors cas extrêmes (de tensions), le confinement a plutôt eu un effet apaisant ou temporisateur »
Bien sûr, dans des couples ou des familles, il peut y avoir un effet inverse, le confinement accentuant de graves tensions antérieures, qui peuvent prendre dans ce contexte une dimension paroxystique et inquiétante, avec les violences intra-familiales. Mais, en dehors de ces cas extrêmes, on peut voir aussi des couples où des tensions, qui ont pu être fortes avant la crise du coronavirus, ont été soumises à un effet apaisant ou temporisateur lié au confinement. Ainsi des couples qui étaient par exemple prêts à se séparer en sont venus à reporter cette décision, à revisiter leur relation, et cela a pu ouvrir une nouvelle étape qui pourra peut être durer, où une relation positive se rétablira.
En ce qui concerne le retour sur soi, ce que j’ai pu aussi observer est que cette redécouverte a été assez relative. Le temps laissé à la réflexion (sur soi-même), à la lecture de livres classiques ou à l’écoute de musique, a été soit très limité, soit très passager. Il ne s’est apparemment pas prolongé démesurément pendant le confinement, les personnes n’ayant pas toutes un penchant pour la méditation… Les êtres humains sont fait de relations, ils les ont entretenues dans la sphère privée, la question est davantage de savoir, à l’avenir, s’il sera facile ou non de sortir du confinement.
-Vous pensez que le déconfinement sera psychologiquement difficile ?
-En tout cas, je pense qu’il ne sera pas très simple pour beaucoup de monde de se déconfiner rapidement car beaucoup de personnes ont apprécié des choses qu’ils ne percevaient pas auparavant. Par exemple, le plaisir d’entendre les oiseaux dans de grandes villes comme Paris, le plaisir de bénéficier d’un air plus pur dans les métropoles, d’avoir moins de bruit dans les rues. Tout cela est nouveau, n’était pas forcément vécu, ni même perçu auparavant, comme un manque mais les perceptions ont beaucoup changé, à grande échelle, en ces domaines.
Une bonne partie des personnes, mêmes actives, ont apprécié leurs nouvelles conditions de vie pendant le confinement et appréhendent sûrement ‘d’en sortir’ « .
Un de mes patients, gestionnaire de Fonds et très actif, m’a confié sa satisfaction de travailler chez lui, encore plus et mieux me dit-il, sans les contraintes des grandes tours de La Défense qui faisaient son quotidien. Autrement dit, une bonne partie des personnes, mêmes actives, ont apprécié leurs nouvelles conditions de vie pendant le confinement et appréhendent sûrement en quelque sorte « d’en sortir ».
En région parisienne par exemple, le désagrément de la foule dans les transports publics, le métro ou le RER, paraît une histoire ancienne, et un mauvais souvenir. Il va falloir sans doute y retourner mais ce ne sera pas facile, et sans doute pas bien vécu pour beaucoup de gens. La parenthèse du confinement a été ouverte, il ne sera pas facile de la refermer complètement.
Je ne vois en revanche que de la souffrance (psychologique) dans la ‘distanciation sociale’.
Sur la durée, il peut y avoir un effet dépressif lié à cette obligation de distanciation ».
-Par ailleurs, comment percevez-vous les effets de la fameuse « distanciation sociale », de ces gestes « barrières » qui sont devenus des normes dans la vie de tous les jours, avec le confinement ?
-De ce point de vue, je pense que le négatif domine plutôt dans l’expérience. Autant le confinement a pu apporter, pour une partie de la population, quelques vrais agréments, autant je ne vois que de la souffrance psychologique dans la « distanciation sociale ». L’être humain est un être social qui, sans revenir au temps des « hordes », n’aime pas la distance entre les individus. Il aime se retrouver, se regrouper, pour des activités collectives qui nécessitent une proximité et appellent même un certain contact.
-La distanciation sociale, qui va sans doute devoir être prolongée même après le déconfinement peut-être pendant plusieurs mois, va donc poser des problèmes psychologiques importants ?
-C’est possible. Il peut y avoir un effet dépressif lié à cette obligation de distanciation. Pour ceux qu’on apprécie, dans le cercle familial et amical, la tendance naturelle et humaine est l’inverse de la distanciation, c’est la proximité, le contact, le toucher. Je pense qu’il y a même, et y aura de plus en plus, une envie de rompre cette distanciation, qui a déjà duré très longtemps. Il y aura une tentation de la transgression en la matière : celle des embrassades ! Bien sûr, la précaution sanitaire commandera de maintenir les fameux « gestes barrières », mais pour pas mal de personnes, celles qui souffrent le plus de l’isolement et qui apprécient le plus la proximité des échanges, cela va être difficile d’appliquer à tout moment ces « gestes barrières » dans la longue durée.
Pour cette raison aussi, d’équilibre psychologique général, il faut donc espérer que la contagion du virus s’affaiblisse au plus vite pour que la fin de la distanciation soit autorisée et généralisée. En ce domaine, le retour à la vie d’avant est largement souhaité : le retour à « la normale » sera un bienfait pour « le moral ».
(21/04/20)