La crise Covid19 est une épreuve. Elle est aussi un baromètre de résilience, qui mesure les capacités (ou les difficultés), pour une personne comme pour une collectivité (en l’occurrence nationale, européenne et mondiale) à surmonter l’épreuve, et à s’adapter rapidement.
L’enjeu de l’adaptation, et de la mobilisation des bons moyens aux bons moments, est central dans la résolution de toutes les crises, qu’elle soit sanitaire, économique, ou encore humanitaire ou militaire. Face à la pandémie, la France est comme les autres pays très rudement mise à l’épreuve, avec ses forces et ses faiblesses, en sa capacité de réaction rapide. Freiner la contagion du virus, préserver le système hospitalier du risque d’engorgement, c’est propager les bonnes pratiques civiques: les gestes personnels (les fameux « gestes barrières ») sont essentiels pour le succès de la stratégie du « freinage » de la contagion du virus. Une course de vitesse est aussi intensément engagée en coulisses cette fois, en matière de recherche scientifique et d’expérimentation médicale (en cours) pour qu’aboutissent rapidement les meilleurs traitements et, à terme, la découverte du vaccin salutaire.
Avec la décision de ‘mobilisation générale’, la responsabilité individuelle et la responsabilité collective sont, plus que jamais en France, liées. Avec une possibilité de dépassement du ‘Je’ pour prendre en compte le ‘Nous’ »
L’histoire des 40 dernières années a été celle de la victoire de la science contre toutes les pandémies. Pour le coronavirus comme pour toutes les autres qui ont précédé, l’espoir est donc à terme permis. La question bien sûr est le délai, la durée de cette épreuve sanitaire à laquelle est confronté le pays, et l’ampleur des dégâts humains que fera malheureusement, dans l’intervalle, le terrible virus qui a surgi en Chine avant de se répandre sur la planète.
En attendant les résultats tangibles des recherches, la France, notamment depuis la décision de « mobilisation générale » – qui a débuté par la fermeture de toutes les écoles et universités, décision prise par le Président de la République Emmanuel Macron le 12 mars, complétée par celle, annoncée par le Premier ministre Edouard Philippe, de fermer tous les lieux publics non essentiels à la vie des citoyens, puis par la décision du confinement de la population, prise le 18 mars – est entrée dans une période exceptionnelle et historique, où la responsabilité individuelle et la responsabilité collective sont plus que jamais liées, où l’individualisme de la précaution sanitaire rejoint l’impératif de la protection collective.
En cela, la crise n’est pas totalement négative: elle porte aussi en germe un potentiel de nouvelle conscience civique, une possibilité du dépassement du « Je » pour prendre en compte le « Nous », une occasion aussi de changer des habitudes dans des domaines clés (et nombreux) de la vie sociale : le rapport au travail (pour les élèves comme pour les adultes, par le télé-travail) se voit rapidement bouleversé par les circonstances, le rapport aux autres aussi revisité (avec un mélange de méfiance naturelle et de solidarité accentuée), le rapport à l’Etat dît « Providence », à l’entreprise et à l’économie (qui porte l’essentiel de l’emploi, des revenus et de la solidarité de fait) est revu aussi, comme les règles de vie quotidienne (comme les gestes « barrières ») intégrés par étapes, diversement selon les personnes, mais en accéléré pour une large majorité. Le tout produit d’impressionnantes mutations, dans divers domaines-clés qui font société.
Le public jeune a été le maillon faible de la contagion, la fermeture des écoles est devenu la première mesure forte, qui a entraîné toute la société dans un mouvement inédit, qui consiste en premier lieu à changer toutes les habitudes antérieures. 15 millions de personnes concernées par l’école, 10 à 15 millions d’autres personnes (notamment parents) concernées par la garde des enfants et le télétravail, 8 à 10 millions de personnes âgées appelés à rester chez elles: c’est bien un mouvement de société qui s’est opéré d’un seul coup avec des effets multiples et à forts impacts sur le plan économique, social, culturel (en terme de règles de vie commune changées), politique également sans doute, dans la mesure où des fondamentaux, de l’Etat-Providence à l’Europe, en passant par les sujets antérieurs qui formaient les clivages et les confrontations, sont eux aussi, au moins conjoncturellement, revisités.
La question est de savoir ce qui va dominer dans le court terme, et subsister dans le moyen terme: l’esprit de responsabilité, ou l’individualisme forcené ? La capacité d’adaptation rapide ou l’incapacité à s’adapter et faire face solidairement aux changements ? «
Les évolutions sont donc multiples, interactives, accélérées, sans doute plus importantes que ce qu’on peut percevoir en début de cycle. Et la question est de savoir ce qui va dominer, dans le court terme, et subsister dans le moyen et long terme : l’esprit de responsabilité (par exemple des élèves et des adultes dans la pratique autonome, qui se massifie, du télé travail), ou l’esprit d’irresponsabilité (dans les taches à accomplir, pour son éducation quand on est élève ou étudiant, comme pour son entreprise ou sa structure quand on est adulte) ? L’individualisme forcené (qui parfois se manifeste, y compris dans les crises) ou un esprit civique mieux partagé ? Et globalement, dans la société et face à la pandémie, ce qui va dominer sera la capacité d’adaptation rapide (y compris sur le plan économique) du pays ou l’incapacité à faire suffisamment face, avec agilité et efficacité ?
Pour ces trois questions, les réponses ne sont pas écrites, les citoyens le feront mais il n’est pas sûr que le négatif, au final, domine totalement. Sur le moyen terme, pourquoi l’optimisme serait-il interdit ? L’épreuve est réelle, son caractère multi-dimensionnel, l’échelle économique, sociale et civique du défi en fait une épreuve essentielle, déterminante pour l »avenir: à partir d’un événement totalement imprévu en France, et qui se nomme la menace Covid-19, cette épreuve renvoie à la capacité, très concrète du pays, à faire face à une nouvelle donne, à la fois déstabilisatrice et éprouvante mais aussi porteuse de résilience, d’innovations et de progrès.
Un test national de notre capacité, ou non, à faire face avec confiance à l’idée même d’un avenir incertain ».
La bataille engagée l’est sur quatre fronts : front sanitaire bien sûr, et il est essentiel ; front économique (et donc social), pour tenir dans la période sans fléchir gravement et durablement (des mesures exceptionnelles ont été prises à cette fin); front sociétal aussi, par l’adoption de nouvelles règles de vie et de nouvelles pratiques quotidiennes ; front civique enfin, car le regard sur le lien d’interdépendance de chaque individu avec les autres et avec l’ensemble de la collectivité se trouve, de fait, changé. Pour des semaines et des mois au moins.
C’est en cela un test grandeur nature, à échelle du pays tout entier (et même au-delà, au niveau européen et mondial), d’une capacité individuelle et collective à faire face, ou non, à l’inconnu qui met à l’épreuve. Test national aussi de notre capacité, ou non, à faire face avec confiance, cohésion et efficacité à l’idée même d’un avenir incertain.
Jean-Philippe MOINET, chroniqueur, fondateur de La Revue Civique, intervenant en analyses pour divers médias.
(14/03/20; actualisé 25/03)