Historien et essayiste, Marc Knobel est auteur notamment de « L’internet de la haine » (Ed Berg International), conseiller et ami de La Revue Civique, il nous a remis ce texte, inspiré par le discours prononcé par le polémiste Eric Zemmour, au meeting qui réunissait les amis de Marion Maréchal-Le Pen.
Une chaîne de télévision a retransmis en direct, la très longue allocution d’un polémiste -anciennement journaliste- particulièrement redoutable, redouté et déchaîné, en la personne d’Éric Zemmour. Certes, LCI ne pouvait préjuger de ce qui pourrait se dire et/ou se proclamer lors de ce meeting nommé « Convention de la droite », cette sorte de tremplin électoraliste et propagandiste au service de l’intérêt particulier, militant et politique de la seule Marion Maréchal (Le Pen).
Mais quelle obligation avait LCI de retransmettre ce long monologue ? Sans contradicteur aucun (pendant ce direct), sachant par ailleurs qu’il était probable que des propos inappropriés puissent se développer et s’y tenir, devant un parterre subjugué de militants, conquis d’avance ? S’il eut été possible et peu contestable de diffuser des extraits en différé des interventions et de les commenter sur le plateau, il est pour le moins désolant qu’une chaîne ait pu se prêter à ce jeu, probablement intéressé par le seul effet de « buzz » et par les scores d’audience qu’elle obtiendrait, ce faisant.
Un exercice que le polémiste affectionne (depuis longtemps): la provocation.
L’audimat constitue-t-il une politique (éditoriale) ? L’audimat doit-il être le seul marqueur ? Quid de l’éthique et de la réflexion que les chaînes devraient avoir lorsqu’elles diffusent des programmes, en direct notamment ? C’est ainsi que, le polémiste Eric Zemmour s’est livré à un exercice qu’il affectionne particulièrement, celui de la provocation.
La provocation consiste -devant son public- à asséner les expressions les plus folles, les comparaisons les plus douteuses en vue de décrire les musulmans comme des envahisseurs et des « colonisateurs ». Ce qui d’évidence, compte tenu du danger que cela pourrait représenter en son esprit (et de son public), nécessiteraient d’appeler, au moins implicitement, à résister contre les populations concernées.
Zemmour clame ainsi : « Mais on continue à nous seriner que l’immigration est une richesse. Cherchez l’erreur. La question qui se pose donc à nous est la suivante : les jeunes Français vont-ils accepter de vivre en minorité sur la terre de leurs ancêtres ? Si oui, ils méritent leur colonisation. Sinon, ils devront se battre pour leur libération. » Zemmour clame encore : « Ainsi se comportent-ils comme en terre conquise, comme se sont comportés les pieds noirs en Algérie et les anglais en Inde. Ils se comportent comme des colonisateurs. »
Ce genre de propos qui veut faire peur : « C’est le djihad partout et le djihad pour tous et par tous » !
Plus loin encore, Zemmour clame : « Il y a une continuité entre les vols, trafics, jusqu’aux attentats de 2015 en passant par les innombrables attaques aux couteaux dans les rues de France (…) C’est le djihad partout et le djihad pour tous et par tous. » Et nous en revenons à « l’Islam », un peu plus loin. Citons encore Zemmour : « Dans les années 30, les auteurs les plus lucides dénonçaient le danger allemand, comparaient le nazisme à l’islam. Oui, ils disaient l’islam et personne ne leur reprochait de stigmatiser l’islam. A la limite, beaucoup trouvaient qu’ils exagéraient un petit peu bien sûr, disaient-ils : « Le nazisme est parfois un peu raide et intolérant, mais de là à le comparer à l’islam… » (rires dans la salle)
Ces propos assénés aussi froidement criminalisent, jettent l’opprobre, généralisent à l’excès, caricaturent à volonté, salissent démesurément et à l’envie. Par ailleurs, Eric Zemmour se livre à un véritable réquisitoire, sans appel aucun, d’une brutalité sans nom. Certes, le texte est bien écrit, il manie avec forte habilité la belle langue française. Pour mieux décortiquer, atomiser, pulvériser ces adversaires innombrables : la « mondialisation heureuse », le « progressisme », le « néo-libéralisme », « l’universel droit de l’hommisme », le « libre échange mondialisé », « les juges, conditionnés par la propagande de gauche », etc. Bref, tout ceux qui provoquent des poussées de fièvre et des boutons purulents aux populistes, revanchards décomplexés de la droite extrême et de l’extrême-droite. Justement, parce qu’ils fantasment à l’envie sur leurs adversaires.
Qu’il soit possible de caricaturer ainsi, relève assurément de la provocation folle, mais pas seulement. Dans son monde, Eric Zemmour se vit et se veut probablement comme une sorte de résistant. Il doit penser qu’il lui appartiendrait de réveiller les « Français de souche », de mobiliser les énergies. Se pourrait-il qu’il soit la nouvelle Jeanne d’Arc ?
Dans sa représentation folle, la France serait assiégée, dépecée…
Car, dans cette représentation folle du monde, la France serait assiégée, la France serait dépecée. Alors, faudrait-il construire une immense ligne Maginot pour empêcher les nouveaux « barbares » d’envahir notre beau pays et nos beaux terroirs qui fleurent bon le camembert ? Mais, de quelle France rêveraient Eric Zemmour et ses amis ? Si ce n’est une France recroquevillée sur elle-même, cherchant dans un Panthéon ringardisé, les derniers soubresauts d’une ancienne puissance coloniale.
S’il n’est pas interdit, bien évidemment, c’est même notre devoir de citoyen, de dénoncer le danger mortel que fait encourir l’islamisme par exemple, il faut se garder de ces faiseurs d’apocalypse. Ils sont à mille lieux de panser les plaies de nos sociétés. Par contre, ils sont prêts à raviver des guerres civiles.
Marc KNOBEL, auteur de « L’Internet de la haine ».
Oct 2019
NDLR: Le fondateur et directeur de La Revue Civique tient à préciser aussi – ce qui n’enlève rien à « l’erreur » reconnue par la direction de LCI à propos du direct qui a fait polémique (et plus de 600 signalements au CSA) – qu’il a pu participer, avec trois autres co-invités qui convergeaient sur ses positions de dénonciation, à un débat qui a duré plus d’1 heure programmé dans la foulée de ce direct, débat animé professionnellement par Magali Lunel, puis Philippe Ballard.
Jean-Philippe Moinet, qui était sur ce plateau en compagnie notamment de Marie-Eve Maloines, éditorialiste, et de l’essayiste Dominique Jamet, a pu contribué à fortement déconstruire le propos apocalyptique et extrêmement dangereux d’Eric Zemmour, dont la dérive extrémiste n’a échappé à aucun de ces commentateurs. Juste avant ce direct, JP Moinet a d’ailleurs eu l’occasion de rappeler les termes de la condamnation de Justice, validée par la plus haute juridiction française, la Cour de Cassation, qui a notamment condamné « l’exhortation à la discrimination » portée par le polémiste et le fait qu’il présentait les migrants et les musulmans comme « des envahisseurs ».
Le polémiste avait auparavant déjà été condamné pour incitation à la haine raciale. Ce qui, jusqu’à présent, ne l’a pas beaucoup empêché – bien installé dans de grands médias reconnus (ITélé, RTL, Le Figaro, Paris-Première…) – de proférer des propos xénophobes, des provocations (souvent aux moments de parution de ses livres…) et d’être rétribué par des employeurs médias.