Alors que des crimes violents d’Etat, allant jusqu’à la torture, sont commis en Russie, les démocraties occidentales, la France en particulier qui se veut exemplaire pour faire pleine lumière sur le passé, ne doivent-elles pas éclairer aussi le présent ? Chroniqueur, le directeur de La Revue Civique, ajoute dans cette tribune publiée par Le HuffPost: pour les emprisonnés et torturés en Russie, les autorités françaises et européennes se doivent d’intervenir, au moins par une parole forte et intransigeante.
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Aubin (1957), Sentsov (2018): que toute la lumière soit faite, sans frontière du temps et de l’espace, sur des crimes d’Etat.
Arrestations arbitraires, violences folles, tortures immondes, sous couvert d’uniformes militaires : le combat de la vérité, historique, est évidemment juste concernant le militant communiste pro-FLN Maurice Audin, dont la disparition a été officiellement passée sous silence, dans une incroyable perpétuation d’un mensonge d’Etat. Geste historique à portées multiples, le Président de la République française, Emmanuel Macron, vient de reconnaître une chose : le simple énoncé de la vérité sur des faits criminels inacceptables. L’amalgame n’est en rien fait d’ailleurs, dans la lettre qu’il a adressée à la veuve du torturé disparu et qui met en cause un « système » d’Etat, avec les officiers et soldats français, restés en grande majorité dans l’honneur d’un combat qu’ils allaient perdre en Algérie.
Mais la voie est ainsi largement ouverte au sommet de l’Etat pour que la vérité, même la plus dérangeante pour les institutions (le pouvoir exécutif, le Parlement français, l’Armée d’alors), soit complètement faite et que les plus atroces sévices, commis d’ailleurs par les deux camps en conflit armé pendant la guerre d’Algérie, soient enfin totalement connus et dénoncés. Il y a encore beaucoup de chemin à faire, comme l’a relevé l’historien Benjamin Stora (1), y compris sur l’autre rive de la Méditerranée bien sûr, pour que les archives soient ouvertes…
Un scandale criminel d’Etat ne doit pas
être commis en Russie dans l’indifférence
2018 : à 3 heures d’avions de Paris, des hommes et des femmes, qui s’opposent sans violence à un pouvoir militarisé, subissent depuis des mois et des années les pires répressions, parfois dans une terrible indifférence, assez générale. Un cinéaste ukrainien, Oleg Sentsov, a été arrêté, torturé, il se trouve aujourd’hui entre la vie et la mort dans une sale prison russe, pour s’être opposé à l’annexion de sa terre natale, la Crimée, par une armée que lui et bien d’autres européens considèrent comme une armée d’occupation aux méthodes totalitaires. Ce scandale d’Etat ne frappe malheureusement pas, depuis 4 ans, qu’un seul homme. Ils sont des dizaines, ukrainiens ou russes, a être physiquement violentés par des hommes en uniforme ou des agents en civil du FSB (l’ex-KGB), qui ont pour dirigeant suprême et grand commanditaire d’actions meurtrières, l’ancien patron de ce service de renseignement connu pour ses méthodes les plus expéditives : Vladimir Poutine, chef d’un Etat autocratique, que se plait aussi à faire régulièrement intrusion, pour tenter de les déstabiliser, dans les démocraties occidentales.
Des frontières mentales qui agissent
comme un nouveau rideau de fer
Oui, une histoire tragique est en train de se dérouler sous nos yeux, parfois voilés par une indifférence générale et coupable, à l’intérieur des frontières de cet Etat, à l’intérieur de frontières mentales et politiques qui agissent comme un nouveau rideau de fer. Un opposant, comme ce malheureux Piotr Verzilov, qui avait eu le courage de s’introduire sur un terrain de foot lors du joyeux Mondial, espérant ainsi sensibiliser en quelques secondes d’antennes à la cause des opposants au régime russe, ce militant Pussy Riot de la liberté a du être subitement hospitalisé. Accident de la route ? Non, violents étourdissements, une vue altérée, un homme au bord de l’aveuglement : et voilà ce qui apparaît bien comme un empoisonnement d’Etat, commis quasiment à ciel ouvert, comme pour intimider et faire régner une terreur sur toutes les oppositions franches au régime poutinien. Oui, voilà l’empoisonnement moyenâgeux devenu une arme contemporaine pour un pouvoir qui, au même moment, déploie une armée de 300 000 hommes en manœuvres militaires pour bien faire sa démonstration de force. On n’est plus à une imitation de la guerre froide mais bien à ce qui ressemble à une menace de guerre bien chaude !
Les témoignages sont accablants, ils sont nombreux à converger en ce qui concerne l’usage de la violence physique et de la torture, actuellement, par le système d’Etat russe. Des actes, qu’on croyait d’un autre âge, sont révélés, encore cette semaine par un hebdomadaire (2) sur les tortures subies par Oleg Sentsov lui-même : « son corps couvert d’ecchymoses n’est plus qu’un bleu ». La version officielle rappelle les pires procès stalinien de Moscou: « conséquence de pratiques sadomasochistes », ose prétendre les services officiels russes. Oleg Sentsov, qui a héroïquement résisté jusqu’à aujourd’hui à toutes les violences physiques et mentales, tel un Jean Moulin contemporain, cet homme de 42 ans qui ne pèse plus qu’une quarantaine de kilos, n’avait que pour seule arme sa caméra et son intransigeance. En grève de la faim depuis des mois, il ne doit sa survie qu’à une sonde que le service pénitencier russe lui impose encore, peut-être en attendant l’heure fatale de la lui enlever. C’est un supplice chinois.
Alors, une question s’impose désormais pour tous ceux, heureusement très nombreux en Russie et ailleurs dans le monde, qui sont très attachés au respect des droits élémentaires de la personne humaine : les démocraties occidentales, la France en particulier qui se veut exemplaire pour faire pleine lumière sur le passé, ne doivent-elle pas se montrer exemplaires et volontaristes aussi pour le présent, en ce qui concerne cette cause des droits fondamentaux et des principes élémentaires de la démocratie ?
Une question d’intérêt national
pour les démocraties européennes
N’y a-t-il pas, pour les cas des emprisonnés ukrainiens et russes actuels qui souffrent des pires violences et d’injustices flagrantes, un devoir des autorités politiques, françaises et européennes, pour intervenir au moins par l’usage d’une parole forte sur cet enjeu majeur ? Bien sûr, il s’agit d’abord d’une question morale, essentielle, celle d’une Humanité qui doit être protégée contre toutes les violences d’Etat. Mais c’est aussi, et que ceux (malheureusement trop nombreux en France aussi) qui stigmatisent un soit disant « angélisme droits-de-l’hommiste » (expression favorite par exemple d’un Hubert Védrines) l’entendent bien : oui, il s’agit aussi d’une question d’intérêt national pour les démocraties européennes qui, si elles abdiquaient sur ce terrain des droits fondamentaux, rompraient des digues de protection au risque d’être elles-mêmes emportées.
C’est ce qu’ont d’ailleurs compris les parlementaires européens de toutes sensibilités, au sujet des sanctions à opposer au gouvernement hongrois de Victor Orban. Une large majorité du Parlement Européen, et en son sein une majorité (plus faible, mais majorité quand même) des députés du groupe PPE (droite et centre droit, incluant le parti démocrate-chrétien allemand d’Angela Merkel), souhaite en effet que le Conseil européen enclenche un mécanisme de sanctions contre ce gouvernement hongrois, liberticide vis-à-vis notamment de multiples acteurs de la société civile (ONG, médias…).
Le signal n’est-il donc pas venu de ce Parlement, M. le Président Macron, Mme la Chancelière Merkel, et même Mme la Premier Ministre May aussi, pour oser enfin regarder plus à l’Est de notre Europe et élever une voix de condamnation sans réserve contre tous les actes de violences d’Etat qui sont actuellement perpétrés en Russie et qui vont jusqu’aux tortures, lentes mais répétées, certifiées et donc insupportables, qui frappent de simples opposants politiques ?
La France et l’Europe se renforceraient et s’honoreraient plus encore, au-delà de reconnaître avec courage les crimes odieux de son passé, à dénoncer ceux qui sont commis aujourd’hui à ses portes. Pour éviter que le poids du silence et le plomb de l’indifférence pèsent, encore des décennies, sur le dos des victimes et de leurs familles.
Jean-Philippe MOINET,
auteur, chroniqueur, ancien président de l’Observatoire de l’extrémisme,
est le fondateur et directeur de La Revue Civique.
Compte twitter: @JP_Moinet
(1) Texte de l’historien Benjamin Stora, publié dans Le Monde daté du 14 septembre.
(2) Article édifiant de trois pages, signé Jean-Baptiste Naudet, dans L’Obs de ce 13 septembre.