Bien sûr, cela s’impose comme une évidence en toute démocratie, tout accusé a besoin d’un avocat, commis d’office s’il le faut. Cette procédure d’avocat « commis d’office » est d’ailleurs précisée en notre droit et c’est l’un des honneurs de notre République de la mettre parfois en pratique. Dans le cas du procès Merah, l’avocat Eric Dupond-Moretti était particulièrement volontaire, il y a même vu une cause formidable, « un honneur » a-t-il osé même proclamer sur France Inter, à des centaines de milliers d’auditeurs qui n’en ont pas cru leurs oreilles, abasourdis d’entendre que « l’honneur » pouvait être du côté de ceux qui défendent un associé du criminel terroriste, vous savez ce Merah qui a tiré une balle dans le dos et dans la tête d’une enfant, dans une école juive, après avoir abattu deux soldats musulmans.
L’honneur, Monsieur Dupont-Moretti, parlons-en quelques instants, au-delà des envolées déclamatoires que tout avocat a pris l’habitude de mettre en scène, y compris devant micros et caméras. Oui, parlons-en, vous concernant. Naturellement, l’Etat de droit dans lequel nous vivons nécessite de réunir des éléments factuels et très précis, des éléments de preuve ou des éléments approchants, ce qu’on appelle en droit des « faisceaux d’indices », avant de pouvoir juger. En l’occurrence, comment être à ce point aveuglé – par sa propre et égocentrique cause d’avocat réputé éloquent ? – pour ne pas reconnaître le faisceau de tous les indices, ces signaux faibles qui traversent clairement une partie de la famille Merah, et qui font constater, après des mois d’instruction et des jours denses de procès, que Mohamed Merah, criminel djihadiste en action, était non seulement un assassin d’enfants (juifs) et de jeunes soldats (musulmans) mais qu’il était entouré, jusque dans sa famille, d’une complicité « idéologique » très prononcée, qui a contribué à ce passage à l’acte, le plus meurtrier et odieux.
Comment tenter, à ce point M. Dupont-Moretti, une redoutable la confusion des sentiments ?
Comment ne pas vouloir reconnaître ce faisceau d’indices ? Surtout, comment tenter de retourner la situation, prétendre que le frère Merah serait injustement accusé et, par exemple, implorer que nous pensions à la mère du terroriste, « par ce que c’est une mère » ?! Comment vouloir jouer, dans ce cas précis, la corde émotionnelle parentale pour mieux tenter d’écraser le souvenir de ces parents, qui ne se remettront jamais de l’assassinat, froid et méthodique, de leur enfant ? Comment tenter à ce point la confusion des sentiments, entre des parents de victimes et les parents d’un assassin ? Serait-ce la même chose, M. Dupont-Moretti ?! Il n’y aurait plus de frontières, entre la situation humaine des victimes et celle des assassins ???
Comment, donc, M. Dupont-Moretti en est-il arrivé là ? Certes, tout avocat joue sur toutes les palettes de la subjectivité, pour défendre sa cause du moment, qui peut être à géométrie très variable. Mais de quelle cause s’agit-il, précisément ? Celle de défendre un ennemi public ? Tout le monde est d’accord, ou presque, pour constater que la France n’est pas l’Iran, qui fait exécuter des « coupables » sur la place publique, le pays des Ayatollahs et des fatwas criminelles nous renvoyant au temps de Terreur des guillotines les plus expéditives.
Non, la cause de M. Dupont-Moretti n’est pas celle qu’on croît, ou qu’il invoque. Il a d’ailleurs estimé lui-même, toujours sur France Inter, que la cause de « l’islamisme radical », n’était « pas défendable », sa cause n’est assurément pas celle de l’idéologie de l’assassinat individuel – d’enfants et de soldats ciblés – et de l’assassinat collectif – au Bataclan par exemple. On respire. Non, sa cause est à rechercher ailleurs. Et une question se pose : et si la cause que M. Dupont-Moretti défendait avec tant de fougue outrancière n’était pas, finalement, la sienne ?
Et si celui qui, comme tout avocat, a perdu des combats judiciaires, du procès d’Outreau au procès Bettencourt, ne cherchait pas à faire croire, quoiqu’il arrive et quelque soit le sujet, qu’il réussissait à « faire acquitter » ? Une image me revient de lui, celle de ce « ténor » du barreau comme on dit comme on parle d’un Opéra comique, que j’ai connu quand il était tout jeune et déjà tonitruant sur les bancs de la Fac de Droit, à Lille. On avait tous remarqué cet étudiant remuant, qui gueulait parfois en pleine amphi, devant mille étudiants de 1ère et 2ème année de droit. Ce « fils du peuple », il rigolait bien et on rigolait bien aussi de le voir interpeller les professeurs, il portait sur son torse corpulent un tee-shirt populaire, un « Marcel » comme on disait, pour mieux arborer sa condition sociale d’origine ouvrière (réelle) alors que tous les autres étaient en chemises, et parfois en cravates. Dès ces années là, la « grande gueule » Dupond-Moretti se faisait remarquer, et c’était déjà spectaculaire !
M. Dupond-Moretti n’est-il pas aveuglé par son propre spectacle ?
Plus tard, on était quelques uns, ex-étudiants de cette Fac de Droit, à être assez admiratifs de voir qu’il s’était si rapidement tracé un chemin au barreau de Lille, avant de devenir ce « ténor » célèbre que des clients, plus ou moins fortunés, s’arrachent pour tenter de défendre leur cause. Mais 30 ans après ses éclats de voix, qui remuaient des amphis endormis, Dupond-Moretti n’est-il pas aveuglé par son propre spectacle, le comédien ne s’est-il pas beaucoup usé, au point de ne pas voir, avec la lucidité qui devrait s’imposer à tous – juges comme avocats – que l’idéologie islamiste est une idéologie qui peut tuer, à tour de bras, qu’elle a provoqué une guerre civile ayant fait plus de 100 000 morts en Algérie il y a une vingtaine d’années, qu’elle continue de tuer au Proche-Orient, en Afrique, dans une école juive de France et des salles de concert à Paris ?
On s’interroge encore plus sur cet avocat, peut-être boursouflé par son propre ego et un rôle théâtral sur-joué, quand il ose dire, sur les ondes de France Inter, que le procès de Nuremberg, qui jugea les criminels nazis, était « plus digne » que le procès Merah ?! Comment Dupond-Moretti a-t-il pu dire aussi, entre deux phrases sur cette antenne radio très écoutée, que son client avait « été acquitté » de l’accusation de complicité d’acte terroriste alors que le jugement du tribunal venait de se traduire par une condamnation, 20 ans de prison (pour « association de malfaiteurs terroristes ») ? Non, Maître, le frère Merah n’a pas été « acquitté », il a été « condamné », excusez du peu, il y a plus qu’une nuance !…
Comment Dupond-Moretti peut-il ainsi faire mine de ne plus voir les réalités, non seulement de cette décision de Justice (qui est d’ailleurs contestée et fait l’objet d’un appel) mais du danger que représente l’idéologie djihadiste en France comme ailleurs, idéologie dont certains membre de la famille Merah, un frère, une mère, ont été manifestement les porteurs ?
L’un des frères Merah a cautionné l’idéologie islamiste, qui a fini par tuer
Dupond-Moretti devrait se reposer. Prendre du recul. Et peut-être, un peu plus tard, avoir une pensée, une seule, le temps de sortir de son rôle, pour les parents de ces enfants assassinés dans une école de Toulouse, pour ces parents, pas plus consolables, des soldats de la République tués, ou pour ce soldat condamné à vie, lui, à rester peut-être cloué dans un fauteuil roulant pour avoir été l’une des cibles de Mohamed Merah. Ce criminel n’a assurément pas agi tout seul, dans son coin de solitude méditative, lui qui était enivré d’images de djihadistes armés, ces images que son frère n’a non seulement pas filtrées pour sortir son frère de ses démons mais qu’il a lui-même cautionnées, encourageant de fait toutes les dérives que cette idéologie propagandiste provoque, sur les esprits les plus faibles.
Elie Wiesel disait, évoquant les crimes totalitaires, qu’il y a trois catégories de gens quand l’idéologie du crime absolu entre en action : les victimes, les bourreaux, et les spectateurs. M. Dupont-Moretti s’est sans doute servi de sa cause, d’avocat en perte de repères, pour être aujourd’hui, non pas dans le camp des bourreaux djihadistes mais dans celui, condamnable, des spectateurs complices.
Jean-Philippe MOINET, auteur, chroniqueur,
Fondateur de la Revue Civique
Compte Twitter : JP_Moinet
(novembre 2017)