Dominique Baudis, ancien président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et ancien président de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (son titre au moment de cet entretien) et Loïc Armand, le président de l’Union des annonceurs (UDA) et président de L’Oréal France, s’entretiennent pour la Revue Civique des enjeux très actuels de la responsabilité sociale ou sociétale appliquée au secteur de la communication. Des enjeux qui imposent aux acteurs de la publicité de nouvelles réflexions et de nouvelles règles. Entretien.
La REVUE CIVIQUE : Quels sont les enjeux réels aujourd’hui de ce qu’on appelle la «communication responsable » ?
Loïc ARMAND : Pour nous, annonceurs, la réponse est évidente : sans responsabilité, il ne peut y avoir de confiance, et sans confiance, il n’y a pas de consommation. Cela m’évoque un passage des entretiens de Confucius. A son disciple qui le questionnait sur l’art de gouverner, le Maître le résuma en trois éléments : «assurer la subsistance, assurer la défense, et inspirer la confiance à la population ». Interrogé à nouveau sur celui des trois auquel renoncer si l’on ne pouvait pas faire autrement, le Maître répondit « à la défense ». Relancé pour finir sur celui des deux restants auquel renoncer si nécessaire, le Maître conclut : « aux subsistances. La mort est le lot de chacun, mais sans la confiance la population ne se dressera plus pour l’affronter». Les entreprises doivent mériter chaque jour la confiance des consommateurs envers leurs produits, leurs marques et leur communication. Cela passe nécessairement par le développement de pratiques professionnelles toujours plus responsables.
Dominique BAUDIS : En plus des difficultés liées à la récession, de la volatilité de certains prix de matières premières, des contraintes sur le pouvoir d’achat des consommateurs, des mutations numériques… puis de la lente reprise, toujours incertaine, qui continuent d’impacter le marché publicitaire depuis quelques années, la publicité est une activité économique qui fait l’objet de critiques de toutes parts, particulièrement en France. Les questions sociétales, légitimes – environnement, obésité, protection des publics sensibles, égalité des chances, diversité… – visent la profession publicitaire, qui doit démontrer qu’elle est respectueuse des intérêts publics et qu’elle sait depuis très longtemps se réguler, avant même l’intervention de tout texte législatif ou réglementaire. Cela demande des efforts sans relâche des professionnels – annonceurs, agences, supports publicitaires – puisque l’efficacité économique de leurs investissements en communication en dépendent directement. Il est d’ailleurs regrettable qu’on leur en sache trop rarement gré.
Concrètement, qu’est-ce que l’enjeu de responsabilité impose comme précautions ou contraintes complémentaires aux professionnels du secteur ?
Loïc ARMAND : la communication responsable suppose de se poser trois questions simples. Est-ce que mes messages sont de nature à induire mes publics en erreur ? Est-ce qu’ils sont de nature à les choquer ? Est-ce qu’ils sont de nature à nuire à la société au sens large ? Si ces questions sont simples, les réponses ne le sont pas forcément, tant elles varient selon les époques, les contextes, les pays et les secteurs (plus ou moins sensibles). D’où l’importance d’une institution comme l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), dont le rôle est d’aider les professionnels à mieux calibrer leurs messages au regard de leurs enjeux de responsabilité.
Pour une publicité « loyale, véridique, saine »
Dominique BAUDIS : être responsable, pour les professionnels de la publicité, c’est d’abord définir au sein de l’ARPP les règles que la publicité doit respecter, au-delà des obligations légales, pour ne pas altérer la confiance que lui accordent les consommateurs et faire en sorte que la publicité demeure « loyale, véridique et saine ». Pour autant, si les règles sont rédigées, adoptées, appliquées par les professionnels, conseillés et contrôlés par l’ARPP, le système de régulation professionnelle mis en place, volontairement, reste ouvert sur les parties prenantes de la publicité. Il est remarquable que ces professionnels s’engagent à respecter leurs règles forcément contraignantes, souvent davantage en France que chez nos voisins européens, qui ont pourtant tous une autodiscipline publicitaire comparable à l’ARPP. Les adhérents de l’ARPP financent ainsi un service conseil opérationnel (une vingtaine de salariés à Paris), sans aucune contribution publique, chargé de veiller à leur bonne application idéalement avant diffusion (35 000 conseils et avis rendus en 2010), mais aussi le Jury de Déontologie Publicitaire, instance de sanction intervenant sur les publicités diffusées.
Mais comment est-il possible de concilier la nécessaire liberté de création propre au métier de la communication avec cet impératif de responsabilité sociale ?
Dominique BAUDIS : Par la régulation professionnelle justement, et ce, dès l’origine en 1935. Ce mode de gouvernance résolument moderne et adapté à nos économies complexes et ouvertes est en effet le mieux à même de s’adapter aux contraintes du secteur, aux évolutions permanentes des technologies et moyens de communication devenus transfrontières, tout en restant en prise avec la société et les attentes des consommateurs ou des pouvoirs publics.
Loïc ARMAND : Vous savez, la contrainte n’a jamais empêché la création. La plupart des chefs d’œuvres que nous ont laissés les artistes des siècles passés étaient des œuvres de commande. Du reste, la créativité publicitaire est tout sauf totalement libre : elle se déploie dans le cadre contraint par le «brief» de l’annonceur. Mais il est vrai que, pour être solubles dans la créativité, les règles déontologiques doivent être réalistes et appropriables par les praticiens. D’où l’importance, dans un dispositif comme celui de l’ARPP, de confier la rédaction et la validation des règles déontologiques aux seuls professionnels, ce qui les rend pleinement légitimes aux yeux de tous ceux qui doivent les appliquer au quotidien.
Une auto-discipline plus ouverte à la société civile
Trois ans après la création de l’ARPP, quelles sont pour vous les avancées les plus importantes obtenues grâce à la réforme de la régulation professionnelle ?
Dominique BAUDIS : Au-delà du changement d’identité, le BVP devenu ARPP correspond à une réforme de fond du dispositif de régulation professionnelle de la publicité, qui a permis de renforcer l’efficacité de l’autodiscipline en la rendant plus transparente et plus ouverte à la société civile par la constitution d’instances associées en amont et en aval des règles déontologiques de l’ARPP, socle d’une publicité responsable. L’avancée la plus marquante repose sans doute dans la création d’un Jury indépendant qui a représenté un vrai défi pour les professionnels, parfois difficile à accepter. Le JDP a démontré depuis bientôt trois ans d’existence son efficacité. Que les plaintes de personnes physiques ou morales – déposées et traitées gratuitement ! – soient fondées ou rejetées, je m’associe aux professionnels pour saluer la qualité des décisions motivées et publiées chaque mois, délibérées par ses membres sous la présidence exemplaire de Marie-Dominique Hagelsteen.
Loïc ARMAND : La réforme de 2008 a réussi le tour de force qui consiste à préserver le cœur du dispositif – à savoir la responsabilisation des professionnels – avec une ouverture et une transparence accrues. Pour ma part, participant aux travaux du Conseil paritaire de la publicité, qui accueille des représentants de la société civile (associations de consommateurs et environnementales), je suis particulièrement sensible à la qualité du dialogue qui s’y est développé sur les enjeux de responsabilité de la publicité. Grâce à cela, le dispositif est aujourd’hui plus en phase avec et mieux compris par la société civile. C’est pourquoi on parle aujourd’hui de « régulation professionnelle concertée ».
(In la Revue Civique n°5, Printemps-été 2011)