La complexité du monde est telle que tenter, aujourd’hui, une analyse au milieu du chaos serait devenu quasiment mission impossible. Le nouveau livre de Pascal Lamy et Nicole Gnesotto, « Où va le monde ? Le marché ou la force ? » (Odile Jacob), tente pourtant d’éclairer ce qui apparaît comme un grand désordre mondial, au moment où les passions semblent l’avoir remporté sur la rationalité…
Sous forme de dialogue, le livre alternent des chapitres écrits par chacun des deux auteurs, conjugue des analyse pointues et des propositions communes pour préparer l’avenir. Chacun apporte une vision, contrastée, voire opposée, ancrée dans son propre parcours personnel : Pascal Lamy, ayant été Commissaire européen et directeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), confère un regard de praticien, qui se veut plus optimiste ; alors que Nicole Gnesotto, professeure de la chaire sur l’Union européenne au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) à Paris et membre du Conseil d’administration du think tank « Notre Europe », fait une lecture plus politique et nécessairement plus sombre, appuyée sur la conjoncture actuelle.
Une Europe remise en question,
mais qui a de grands atouts
À l’approche du 60ème anniversaire du Traité de Rome, avait lancé la dynamique du « Marché commun », personne ne peut nier que l’Europe est aujourd’hui soumise à une forte crise de crédibilité. Gnesotto et Lamy, des européens convaincus, le notent avec tristesse mais refusent de rester impassibles : après une explication détaillée en toute connaissance de cause des dysfonctionnements internes, ils proposent des pistes pour relancer le projet européen. Selon eux, c’est aux Européens, compte tenu de leur expérience historique incomparable, compte tenu aussi de leurs valeurs, de leur nombre et de leurs atouts, de construire le monde de demain. Pour cela, les auteurs affirment comme essentiel de civiliser la mondialisation car l’inverse, la « démondialisation » et ses logiques de déconstructions, n’est pas une option viable.
Les menaces et l’irrationnel
L’après-guerre a été un moment historique marqué par des décennies de croissance économique en Occident et par la suprématie américaine sur l’Europe, renforcée après l’effondrement de l’URSS en 1989. Ces années de forte prospérité ont pris fin. Il y a eu les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, qui ont signé le retour de la violence terroriste sur la scène internationale. Depuis, beaucoup de crises : le crash financier de 2008, le djihadisme menaçant, la guerre en Syrie, le national-populisme, le Brexit. Les auteurs analysent, dans ce nouveau contexte, l’ascension de la Chine comme puissance mondiale ou d’autres éléments, comme l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui montre que même le progrès économique, social et scientifique « ne protège pas de l’irrationel ».
La mondialisation a aussi ses progrès
La mondialisation a imposé un changement de paradigme dont les effets négatifs sont en train de l’emporter sur les effets positifs. Même si Gnesotto note qu’il y a eu une forte dynamisation économique durant ces dernières décennies, la promesse d’un avenir meilleur n’est plus palpable, d’où l’anxiété et les mécontentements, qui traversent les pays les plus développés. Pourtant, Pascal Lamy nous rappelle que la mondialisation, comme la révolution industrielle au XIXème siècle, n’est pas univque, elle a produit « à la fois du progrès humain et des situations inacceptables ». Là où Gnesotto souligne que le commerce n’a pas empêché les guerres, Lamy explique que ce sont précisément dans les « trous de la mondialisation », là où elle n’a pas pénétré, qu’éclatent les conflits.
Pourtant, selon Lamy, ces situations ne sont pas imputables à la mondialisation elle-même mais à l’incapacité du capitalisme à corriger localement ses imperfections. Nous arrivons à ce constat, qui doit nous incite à une profonde réflexion : si au Nord, après une longue période de prospérité, peut être observé une stagnation des revenus des classes moyennes et une certaine montée des inégalités (moins accentuée en Europe qu’en Amérique du Nord ou ailleurs), dans les pays émergents la mondialisation a produit rapidement des effets positifs et favorisé une réduction massive de la pauvreté. Tout est donc question d’équilibre mondial à trouver, et aussi d’affirmation du principe de régulation.
Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ
(mars 2017)
► « Où va le monde ? Le marché ou la force ? » (Odile Jacob), par Pascal Lamy et Nicole Gnesotto