Dans une intervention au Conseil de Sécurité de l’ONU (30/11/16), l’Ambassadeur de France, Francis Delattre, tirait le signal d’alarme sur le sort de la population civile d’Alep (Syrie), pilonnée par les armées syriennes et russes. « Plus de 200 000 personnes demeurent prises au piège », soulignaient alors l’Ambassadeur, « la situation humanitaire est simplement dramatique » ajoutait-il, avant de préciser: « Les zones encore contrôlées par l’opposition (au régime de Bachar El Assad) ne disposent plus d’infrastructures sanitaires opérationnelles, les hôpitaux d’Alep-Est ayant été bombardés sans répit. Les réserves de nourriture d’urgence des Nations unies sont épuisées depuis plus de dix jours et l’accès à l’eau potable est insuffisant pour l’ensemble de la population. Alep est en train de sombrer sous nos yeux ».
Ces protestations diplomatiques sont restées sans effet… La Russie (et la Chine) opposant leur veto à toute résolution destinée à stopper les massacres perpétrés par l’armée du dictateur syrien et ses alliés (russes, iraniens), à Alep.
Dans le texte complémentaire que nous publions ici, l’historien et chercheur Marc Knobel, essayiste et membre du conseil éditorial de la Revue Civique, auteur d’ouvrages (notamment sur la diffusion du racisme et de l’antisémitisme par Internet et les réseaux sociaux), en appelle désormais à manifester contre cette impunité qui laisse le champ libre au dictateur El Assad et ceux sans lesquels il ne pourrait sans doute rien faire, l’autocrate du Kremlin, Vladimir Poutine, et le régime iranien. « Si nous nous rassemblons, si une chaîne citoyenne se forme et qu’une marche est organisée devant les ambassades de Russie et d’Iran, nous pourrons peut-être faire entendre notre voix, celle de la conscience, celle de l’Humaine condition, celle de la fraternité, celle de la résistance, écrit Marc Knobel, qui précise: « La résistance à l’oppression, la résistance lorsque l’on torture, emprisonne et assassine tout un peuple ». Le fondateur de la Revue Civique co-signe ce texte, qui en appelle à un sursaut citoyen, à Paris, sursaut de solidarité avec des populations civiles qui sont écrasées par les bombes, et cette dictature.
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Depuis plusieurs mois, la Russie communique et fanfaronne allégrement. Grâce à de puissants médias, notamment sur l’Internet et des réseaux performants, d’importants relais lobbyistes et l’aide enthousiaste de collabos et/ou de politiques véreux qui flirtent dangereusement avec le régime de Poutine, la Russie organise méthodiquement et par là-même son intense/immense propagande bouffonne. Elle fait savoir qu’elle lance des « opérations humanitaires » en Syrie, notamment à Alep ; qu’elle ouvre des corridors et/ou des couloirs humanitaires pour les civils et les combattants ayant accepté de rendre les armes ; qu’elle vient en assistance aux réfugiés ; qu’elle distribue de la nourriture et de l’eau ; qu’elle prodigue des soins aux blessés et aux nécessiteux. Qu’il faut donc se réjouir des initiatives prises par son armée et rendre grâce à l’ours de Russie, pour sa haute bienveillance et sa générosité. Parallèlement, elle organise aussi des négociations, qui sont comme de grands écrans de fumée. Parce que son intention est connue et que la Russie fait ce qu’elle veut.
La Syrie est vassalisée
La Syrie est vassalisée définitivement. De l’autre main, lorsqu’elle ne tend pas l’amère carotte vitriolée, la Russie punit. Elle asservit, elle massacre allégrement, quotidiennement. Les bombardements russes dévastent des ruelles, des rues, des quartiers, des hôpitaux. Les frappes intensives sèment la désolation et la mort et lorsque l’ONU dénonce «des crimes de guerre» et l’implication de la Russie, Poutine défie un peu plus les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux. Les timides protestations occidentales ? Les résolutions de l’ONU, ce « machin » qui ne sert plus à rien ? Les jeux diplomatiques dans les salons feutrés de Paris et d’ailleurs ? Les déclarations de principe : «… la Russie et le gouvernement syrien doivent au monde plus d’une explication sur les raisons pour lesquelles ils effectuent des frappes sur les hôpitaux, les installations médicales, sur des femmes et des enfants» (Déclaration du secrétaire d’Etat américain après sa rencontre avec le Ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, le 7 octobre 2016).
De quoi effrayer l’ogre de Russie ? Que quoi paralyser les Mollahs iraniens et les alliés du Hezbollah libanais ? Tandis que les rebelles sont de plus en plus acculés dans les dernières poches de résistance à l’est d’Alep, symbole du terrible conflit qui ravage le pays depuis cinq ans, Moscou prépare l’après. Quant au régime des Mollahs iraniens -dont on prétend bêtement en Occident qu’il serait de plus en plus ouvert politiquement- il soutient politiquement, logistiquement et militairement son allié, l’alaouite Assad. C’est d’un intérêt stratégique pour l’Iran, qui cherche à renforcer son emprise sur la région. Les iraniens savent ce qu’ils font. Leur but ? Déstabiliser toute cette région. C’est ainsi qu’ils menacent les grandes puissances sunnites du proche et Moyen-Orient. Car cette guerre -qui est aussi une guerre de religion- permet aux iraniens de marquer des points et de s’implanter durablement. L’Iran, l’ennemi des sunnites parachèvent ainsi son (autre) œuvre de mort.
Ce n’est pas parce que nous sommes au loin et que nous n’entendons pas le bruit assourdissant des bombes à fragmentation lâchées quotidiennement par les avions du régime de Bachar el-Assad, des iraniens et des russes ; ce n’est pas parce que, de nos confortables salons et restaurants parisiens, nous ne voyons pas ces milliers d’éclats qui se répandent dans la ville, semant la mort et le chaos en pulvérisant, en dynamitant les rues et les ruelles, ainsi que les hôpitaux, comme si nous étions à Varsovie, en 1944 ; ce n’est pas parce qu’Alep, la martyrisée et la dévastée, est si loin de nos côtes ou de notre cher vieux continent, que nous devrions ne pas ressentir comme de la honte. De la honte devant une telle indifférence.
Nous n’entendons pas les cris,
nous ne voulons pas voir ce carnage
Notre honte ? Parce que nous n’entendons pas les cris et la souffrance. Parce que nous ne voulons pas voir ce carnage. Parce que nous fermons les yeux. Parce que nos oreilles se bouchent. Parce que nous fermons notre bouche lorsque l’ogre de Russie et son allié iranien pulvérisent tout un peuple. Parce qu’il ne se trouve pas une forme d’opposition citoyenne, parce qu’il n’est pas un appel qui soit lancé, parce qu’il n’y a personne pour appeler à manifester devant l’ambassade de Russie ou l’ambassade d’Iran, parce que les indignés -qui s’indignent si sélectivement en temps ordinaire- ignorent magistralement cette autre réalité et parce que ce silence est insupportable, parce que ce silence est une honte. La Russie et l’Iran commettent des crimes de guerre et nous nous taisons. C’est là, l’évidence et la triste réalité. Ne devrions-nous pas voir honte de nous taire ? D’ignorer le plus souvent ? D’être indifférents ?
Comme le disait Martin Luther King : « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants, c’est l’indifférence des bons. » Au peuple de Paris et de France, à toutes les personnes qui se sont rassemblées et ont formé des chaînes d’humanité, tous ceux et toutes celles qui disaient qu’elles voulaient défendre la Liberté, il est temps, encore temps de réagir. Si nous nous rassemblons, si une chaîne citoyenne se forme et qu’une marche est organisée devant les ambassades de Russie et d’Iran, nous pourrons peut-être faire entendre notre voix, celle de la conscience, celle de l’Humaine condition, celle de la fraternité, celle de la résistance. La résistance à l’oppression, la résistance lorsque l’on torture, emprisonne et assassine tout un peuple. Tout simplement, parce que les armes et les canons russes et iraniens ne feront pas taire notre indignation. Peuple de France, réveille-toi !
Marc KNOBEL et Jean-Philippe MOINET
(13 décembre 2016)
► Des executions sommaires dénoncées par l’ONU. L’article du Monde
► La vidéo de l’interview de Raphaël Glucksman, écrivain, qui interpelle les pro-Poutine, Jean-Luc Mélenchon et François Fillon
► La tribune de Jean-Pierre Filiu sur « l’impérialisme russe » qu’il faut désigner
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Ci-dessous, le texte précédent de Marc Knobel, qui mettait en perspective la tragédie d’Alep.
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Cette tragédie humaine commence en février 2011 dans la ville de Deraa, située au sud de la capitale syrienne, Damas. Dans la foulée du Printemps arabe qui agite plusieurs capitales de Tunis au Caire, des manifestants réclament la libération d’une quinzaine d’adolescents, emprisonnés pour avoir écrit quelques graffitis contre le régime de Bachar el-Assad, en Syrie. Le 15 mars, les protestations s’étendent au reste du pays. La répression est rapide. Elle est surtout féroce car, comme son père avant lui (Hafez el-Assad), Bachar sait mater le peuple, dans un bain de sang. Trois jours plus tard, il y a des morts. Et, ce qui avait commencé comme une sorte de protestation pacifique contre un régime sanguinaire se transforme très vite en un conflit armé, sanglant et brutal.
Ville et Syrie martyrisée
Ce n’est pas parce que nous sommes au loin et que nous n’entendons pas le bruit assourdissant des bombes à fragmentation lâchées quotidiennement par les avions du régime de Bachar el-Assad ; ce n’est pas parce que, de nos confortables salons et restaurants parisiens, nous ne voyons pas ces milliers d’éclats qui se répandent dans la ville, semant la mort et le chaos en pulvérisant, en dynamitant les rues et les ruelles, ainsi que les hôpitaux, comme si nous étions à Varsovie, en 1944 ; ce n’est pas parce qu’Alep, la martyrisée et la dévastée, est si loin de nos côtes ou de notre cher vieux continent, que nous devrions ne pas ressentir comme de la honte.
La honte de savoir que près de 250.000 personnes sont enfermées, sont emprisonnées, sont sacrifiées dans un réduit misérable et que les forces obscurantistes préparent le grand et final assaut. Car, nous ne faisons rien pour empêcher que le pilonnage d’Alep achève son œuvre de mort.
Et, ce n’est pas la visite de Jean-Marc Ayrault, le Ministre français des Affaires étrangères à Moscou, qui changera cette donne et pourrait faire plier les russes.
En vérité, les russes n’ont que faire des considérations et molles protestations diplomatiques. Et, si jamais une résolution devait être proposée par la France et votée au Conseil de sécurité, les russes y apposeraient tout simplement leur veto.
Et, que peuvent les Français, lorsque les atermoiements de l’administration d’Obama sont si importants, si étonnants, si désespérants ? Les américains protesteront, le dialogue avec les russes pourrait être rompu (pendant quelques jours). Mais, de toute évidence, les russes comptent sur les hésitations et autres valses hésitantes et dansantes occidentales : un pas en avant, deux pas en arrière. D’ailleurs, l’aviation russe s’emploie méthodiquement à détruire tout ce qui peut l’être. Nous nous rappelons alors que ces dernières années, ils ont utilisé la force et avec quelle brutalité, avec quelle férocité, tant… en Tchétchénie, qu’en Géorgie et en Ukraine. Ils récidivent en Syrie.
Le calcul cynique de Poutine et de l’Iran
Le nouveau Tsar de toutes les Russies sauve le régime et la tête d’Assad, pour mieux s’implanter dans la région. Un calcul cynique, au mépris des conventions internationales et du droit humanitaire. S’affirmer, car la nature a horreur du vide (occidental). Et, par là-même, dans ce/un nouveau contexte de guerre froide, Poutine remplit des cases, affiche et affirme que la Russie est une grande puissance et qu’elle n’a que faire des timides protestations occidentales.
Et, à Alep, c’est le chaos, un invraisemblable chaos.
Le régime d’Assad peut également compter sur ses chers amis, les milices féroces du Hezbollah libanais, financées et armées par l’Iran. Les terroristes du Hezbollah sont les vrais supplétifs du régime, ils peuvent poursuivre leur œuvre de mort. Semer la mort, ils connaissent, ils savent (trop bien) faire.
Quant au régime des Mollahs iraniens -dont on prétend bêtement en Occident qu’il serait de plus en plus ouvert politiquement- il soutient politiquement, logistiquement et militairement son allié, l’alaouite Assad. C’est d’un intérêt stratégique pour l’Iran, qui cherche à renforcer son emprise sur la région. Les iraniens savent ce qu’ils font. Leur but ? Déstabiliser toute cette région. C’est ainsi qu’ils menacent les grandes puissances sunnites du proche et Moyen-Orient. Car cette guerre -qui est aussi une guerre de religion- permet aux iraniens de marquer des points et de s’implanter durablement. L’Iran, l’ennemi des sunnites parachèvent ainsi son (autre) œuvre de mort.
Le conflit syrien dépasse alors l’entendement.
Et nous n’entendons pas, et nous ne voyons pas et nous ne réfléchissons même plus tant nous nous habituons à cette folie. Alep peut ou pourra donc être sacrifiée. Le régime d’Assad s’en trouvera totalement fortifié. Les iraniens pavoiseront et s’implanteront un peu plus dans la région avec l’aide de leurs alliés, ceux du Hezbollah, par exemple. Les russes pourront conforter leur position.
Et, tout ce petit monde pourra danser sur un vif charnier, celui d’Alep.
Marc Knobel, historien et écrivain.
octobre 2016