Des solutions pour la démocratie de demain

L’institut de sondage Viavoice publie, en ce triste anniversaire du 21 avril 2002, son premier Observatoire de la Démocratie, réalisé en partenariat avec Terra Nova, Le Monde, France Inter, LCP et la Revue Civique. François Miquet-Marty en dresse ici les premiers enseignements.

La démocratie en France « fonctionne mal » : près des deux tiers des personnes interrogées (64 %) le pensent. En regard de cet état des lieux, ce baromètre annuel ne consiste pas en une nouvelle exploration des pathologies de la démocratie. De nombreux travaux ont déjà été consacrés à cette réflexion. Il nous semble maintenant nécessaire de passer de l’analyse à l’action, aux hypothèses de transformation concrètes de notre démocratie. Si cette mutation doit légitimement mobiliser les politiques, les juristes, les experts, elle ne pourra s’accomplir sans le soutien, voire l’impulsion des citoyens eux-mêmes. Pour cette raison, cette enquête vise à identifier quelles sont, pour l’opinion française aujourd’hui, les meilleures voies d’optimisation de la démocratie au cours des années qui viennent : une quarantaine de solutions ont été évaluées. Les données obtenues révèlent une aspiration profonde visant à replacer la démocratie au coeur de la société. Et cette aspiration apparaît bien plus importante que les souhaits de réformes de la citoyenneté ou des institutions. Elle constitue une réponse au divorce alarmant résumé par un électeur : « Il y a leur démocratie et il y a ma vie… ».

1. Placer l’action publique sous « l’oeil du peuple » Le premier registre de solutions consiste à placer l’action publique sous « l’oeil du peuple » et notamment :

  • Avoir « des dirigeants qui expliquent davantage le sens de leur action, leur vision » (85 %) ;
  • Avoir « des dirigeants qui présentent davantage le bilan de leur action » (86 %) ;
  • « Rendre systématique l’évaluation des politiques publiques deux ou trois ans après leur mise en oeuvre » (81 %) ;
  • « Permettre à une assemblée de citoyens de démettre des élus qui ne respectent pas leurs engagements » (82 %). Dans son principe, ce dispositif correspond à la procédure de « recall » appliquée notamment aux États-Unis, et permettant à des citoyens, par pétition, de demander un référendum pouvant conduire à la destitution d’un gouverneur (État de Californie). Ces attentes sont fondamentales parce qu’elles traduisent :
  • La défiance envers la politique, qui justifie un contrôle plus étroit de l’action publique par les citoyens ;
  • Une vision contractuelle de la démocratie, en vertu de laquelle des candidats s’engagent sur un projet sur la base duquel ils peuvent être remerciés si la mission n’est pas menée à bien. Il s’agit d’une politique envisagée à la manière d’une « prestation de service », choisie et éventuellement réprouvée par des « clients-citoyens ».

2. Renouveler plus fréquemment les élus

Le deuxième registre consiste à « renouveler davantage le personnel politique ». L’un des principaux reproches adressés à notre démocratie vise en effet une classe politique trop professionnalisée, et pour cette raison éloignée des citoyens. Concrètement, 80 % des personnes interrogées estiment que ce renouvellement constitueraient une « bonne solution ». Et cette opinion ne constitue pas la traduction d’un clivage entre sensibilités politiques : les Français de tous horizons la partagent. Cette exigence conduirait par exemple à « imposer aux élus de ne détenir qu’un seul mandat à la fois » (84 %) ou à « imposer aux élus de ne détenir que deux mandats successifs d’une même fonction » (75 %).

3. Ouvrir les institutions politiques sur la société Le troisième registre de solutions souhaitées vise à ouvrir les institutions politiques sur la société :

  • En « généralisant l’organisation de primaires ouvertes aux citoyens pour choisir les candidats aux élections » (63 %) ; cette idée, promue notamment par Olivier Ferrand et Arnaud Montebourg (Primaire : comment sauver la gauche, Seuil, 2009), s’inscrit dans l’héritage de pratiques à l’oeuvre aux débuts de la IIIème République, avant l’apparition des partis politiques. Son succès pour départager les candidats socialistes en vue de la présidentielle de 2012 lui a conféré une légitimité supplémentaire ;
  • En ouvrant « davantage les partis politiques sur la société » (75 %) et en rendant « le fonctionnement des partis politiques plus transparent » (88 %) ; – En introduisant « davantage de proportionnelle dans les assemblées élues » (64 %).

4. Instituer des passeurs entre société et politique

Le quatrième registre entend instituer des « passeurs » entre société et politique :

  • Ces « passeurs » peuvent être des « personnes-relais », instituées « dans les quartiers » au plus près des habitants, « expliquant la démocratie et incitant les citoyens à participer aux élections et à la vie démocratique » (66 %) ;
  • Ils peuvent être également des dirigeants politiques, dont on aimerait qu’ils soient obligés « de partager, plusieurs jours par an, la vie quotidienne d’une famille modeste » (63 %), ou qu’ils « échangent directement en face-à-face avec les électeurs (réunions publiques, marchés, porte-à-porte) » (77 %), ou dans une moindre mesure sur Internet (61 %).

5. Apprendre la démocratie

Enfin, la quasi-totalité des personnes interrogées (90 %) estiment que « la démocratie est quelque chose qui s’apprend, qu’il faut transmettre et expliquer ». Ce souhait est lui-même essentiel parce qu’à la différence des démocrates de la IIIème République qui s’estimaient investis d’un devoir d’éducation dans un contexte de lutte contre la conservation, nous considérons souvent la démocratie comme « naturelle ».

Les trois éléments à transmettre, « au collège ou au lycée » pourraient être « les valeurs de la démocratie » (93 %), « le fonctionnement de notre système démocratique » (93 % également) et « l’histoire de la démocratie » (89 %).

Réformer la citoyenneté ou les institutions

En revanche, les hypothèses de réformes de la citoyenneté ou des institutions sont moins prisées :

  • La suppression de « la fonction de président de la République » est considérée comme une « mauvaise solution » par 64 % des personnes interrogées, celle du « Premier ministre » par 58 % ; mais de manière singulière dans le contexte actuel, 69 % qualifient de « bonne solution » l’idée de décerner « davantage de pouvoirs aux collectivités territoriales », en lien direct avec les publics ;
  • En termes de citoyenneté, l’abaissement de l’âge légal de la majorité à 15 ans est cité comme une « mauvaise solution » par 88 % des personnes interrogées, et l’extension du droit de vote à « tous les étrangers résidant en France depuis plus de dix ans » par 61 %.

Conclusion : souveraineté et représentation, plus que citoyenneté et institutions

L’aspiration dominante visant à replacer la démocratie au coeur de la société constitue une réponse aux deux urgences auxquelles notre démocratie est confrontée : un déficit de souveraineté, et un déficit de représentation. Vouloir mettre la démocratie au coeur de la société, cela signifie simultanément assurer une meilleure souveraineté du peuple, et une meilleure représentation du peuple. Longtemps, ces missions ont été autorisées par une vision conceptuelle du « peuple », puis par le lien sociologique du « peuple » avec les notables ou la bourgeoisie.

Aujourd’hui, c’est cette refondation majeure qui est attendue. Elle est bien plus ambitieuse, politiquement, sociétalement et conceptuellement, qu’une extension de la citoyenneté ou une révision des institutions. C’est n’est pas de changer de République dont il s’agit ; c’est bien de refaire démocratie.

François Miquet-Marty, Président de Viavoice
Les oubliés de la démocratie, Michalon, 2011

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